Compte-rendu de l'ouvrage de Serge Gruzinski, La Pensée métisse
Compte rendu : Compte-rendu de l'ouvrage de Serge Gruzinski, La Pensée métisse. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Louise Esioul • 9 Décembre 2023 • Compte rendu • 1 864 Mots (8 Pages) • 204 Vues
Introduction
Serge Gruzinski (1949-) est un historien français spécialiste de l’Amérique latine et enseignant à l’EHESS. Archiviste-paléographe motivé par l’entre choc des cultures, il est l’auteur de nombreuses publications sur les manifestations de la mondialisation ibérique au XVIème siècle1. La Pensée Métisse (1999), éditée dix ans après la parution de l’ouvrage pionnier de J.L Amselle Logiques métisses. Anthropologies de l’identité en Afrique et ailleurs (1990) poursuit le travail de reconnaissance d’une micro-histoire globale, et s’inscrit ainsi dans le sillon historiographique d’une histoire connectée qui repense les notions de métissage et d’hybridation dans un contexte post-colonial.
S. Gruzinski base son développement au croisement de nombreuses disciplines, de l’histoire des arts aux sciences de la communication, en laissant tout de même une place centrale à une anthropologie culturelle et religieuse dénuée de toute fascination pour les peuples sauvages. Les sources primaires utilisées sont diverses et couvrent de nombreux points de vues, qui mêmes s’ils restent parfois subjectifs dans leur déchiffrage, sont autant européens (écrits dominicains et jésuites) qu’indiens (fresques, chants et danses). L’auteur établit également de multiples parallèles avec des œuvres plus modernes, musicales comme celle du violoncelliste Yo-Yo Ma, ou cinématographiques comme The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway.
La Pensée Métisse illustre les processus complexes de créations métisses à travers l’Europe de la Renaissance et l’Amérique de la Conquête. S. Gruzinski cherche à comprendre les tenants et aboutissants des chemins détournés empruntés par les colonisés. Il se questionne et nous incite également à réfléchir sur les liens qui rattachent les phénomènes de métissages à la diffusion mondiale du néolibéralisme. Pour ce faire, il place son étude au Mexique espagnol pendant les premières vagues de métissages planétaires entre 1570 et 1640.
Le développement suivant propose un compte-rendu des grands axes de La Pensée Métisse pour comprendre les enjeux et les apports de l’œuvre dans le monde de la recherche.
Défis et habitudes culturelles
Comment aborder ces mondes mêlés ? S. Gruzinski pose quelques prérequis à une compréhension nuancée qui se veut la plus complète possible.
Tout en se détachant des métissages comme phénomènes sociaux à la mode ou comme objets d’exotisme pourvoyeurs de clichés, l’auteur les accepte tels qu’ils apparaissent dans leur globalité. Les analyser ne revient pas à les isoler. Il défait ainsi les habitudes intellectuelles qui préfèrent des approches manichéennes et la création de catégories rigides. Il évite les grilles de lecture européennes qui engendrent l’utilisation de termes génériques, comme ce que nous appelons la « culture » : notion qui présuppose juste que nous en définissions un contenu arrêté. S. Gruzinski replace les concepts occidentaux d’identité, de métissage et d’hybridation comme outils de vocabulaire ambigus dont il faut se méfier car ils incitent à développer une vision faite de frontières perméables. La Pensée Métisse est un ouvrage qui dépasse une représentation dualiste s’attachant aux conséquences de la rencontre entre conquérants civilisateurs et indiens sauvages. La réflexion menée comprend les « espaces de médiations », c’est-à-dire les échanges d’un monde
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- Jeanne (B.), « Entretien avec Serge Gruzinski » in Tracée. Revue de sciences humaines, 12, 2017, p. 195-206.
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- l’autre, les croisements et les individus qui font office d’intermédiaires2. Elle s’oppose ainsi à celles des chroniqueurs du XVIème siècle, qui répartissaient des caractéristiques en rubriques et sous-rubriques, sans réellement prendre en compte le contexte amérindien.
S. Gruzinski présente ses observations avec cette idée que les métissages ne s’intègrent pas dans une évolution inéluctable vers le progrès. En cassant cette vision linéaire que nous pouvons avoir de l’histoire, il fait apparaitre des phénomènes omniprésents, multiformes et donc difficiles à cerner.
Des productions avant tout politiques
Quel est le contexte d’émergence des créations métisses ? Bien que chaotique dans sa dimension imprévue et aléatoire, la volonté colonisatrice des Européens a engendré des mélanges.
Les métissages s’inscrivent dans une phase d’expansion de l’Europe qui a mené à des famines, à des épidémies, au travail forcé, à l’esclavage des populations indiennes. Cela a également eu pour conséquence la montée en puissance de la délinquance, du déracinement et de violentes rivalités entre Espagnols. S. Gruzinski affirme que le XVIème siècle n’est pas le théâtre d’une rencontre entre deux civilisations stables et intactes mais « entre des fragments d’Europe, d’Amérique et d’Afrique »3. À cela s’ajoutent les barrières des langues parlées et le mépris des Conquistadores. En résulte que la totalité du contexte de la Conquête a échappé aux deux camps, qui ont dû s’adapter à des situations précaires et instables. Ils ont ainsi déduit, appris et inventé pour réussir à échanger.
Après leur victoire par les armes, les Espagnols se sont acharnés à vouloir dupliquer l’Europe de la Renaissance dans les territoires conquis, dans un but de domination et de régulation des perturbations provoquées. S. Gruzinski parle d’occidentalisation. Ils ont introduit les mécanismes du marché, le livre, l’image, mais surtout, la religion catholique comme mode d’existence. De grandes entreprises d’éducation ont notamment été lancées par les Franciscains. Par mimétisme, les Indiens (nobles, aristocrates) se sont très vite appropriés les techniques européennes en matière d’écriture, de musique, de calligraphie et de peinture. Ces derniers, en leur qualité d’intermédiaire avec les masses indiennes, disposaient d’une certaine marge de liberté. S. Gruzinski base les analyses de son étude sur l’élasticité de la notion de copie dans ce contexte. La production indigène se doublait en effet toujours de juxtapositions et d’amalgames quant aux modèles occidentaux de références.
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