Lettre d’Argula Von Stauffen au duc de Bavière Guillaume IV, 1523
Commentaire de texte : Lettre d’Argula Von Stauffen au duc de Bavière Guillaume IV, 1523. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar b_sct • 2 Février 2022 • Commentaire de texte • 1 782 Mots (8 Pages) • 339 Vues
Commentaire de texte
Lettre d’Argula VON STAUFFEN au duc de Bavière Guillaume IV, 1523
Dans le contexte de la Réforme de Martin Luther qui bouleverse l’Europe du XVIe siècle, les contestations contre le pouvoir catholique ne cessent de croître. La parole se libère notamment en 1523, en Bavière, à la suite d’un évènement qui fait polémique : « l’Affaire Seehofer », celle de ce jeune homme emprisonné par l’Université d’Ingolstadt après avoir découvert dans ses affaires personnelles des écrits de Luther et d’un de ses disciples Melanchthon. Menacé du bûcher, il est contraint d’abjurer. En effet, la politique antiprotestante du duc de Bavière et prince dans le Saint-Empire romain germanique, Guillaume IV impliquait une forte répression des hérétiques. Face à cette grande injustice ressentie, une « dame de la noblesse » Argula von Grumbach, née von Stauffen, ne put s’empêcher d’écrire une lettre de type pamphlet au duc pour exprimer son indignation. Par sa culture biblique, elle s’adresse au duc mais aussi à un lectorat plus large : les lettrés, les Etats chrétiens, et les autorités ; et ainsi les incités « à se satisfaire de la vérité et la parole de Dieu et à en faire, conformément au devoir chrétien, bon et sérieux usage » comme l’est indiqué dans le titre de la lettre. Par ailleurs, celle-ci a été publié par une imprimerie et connaissant un grand succès éditorial a été réédité quatre fois dans les grandes villes du Saint-Empire romain germanique. Ce pamphlet, menacé de censure témoigne du courage et du déterminisme de l’auteure, d’autant plus que c’est une femme. Nous étudierons de multiples extraits de cette lettre argumentée en différents paragraphes. La défense de certaines idées de Luther nous amène à nous demander quelles positions religieuses Argula von Stauffen défend-elle dans son pamphlet ? Ainsi nous verrons le rôle central de la Bible comme outil pour dénoncer les abus du clergé et enfin faire appel à la moralité du duc.
La Bible constitue l’élément fondateur du pamphlet. En effet, le lecteur est immédiatement frappé par l’abondance de citations bibliques qui prend une place conséquente dans l’ensemble du texte. Avec pas moins de huit extraits, celles-ci apparaissent comme de véritables arguments destinés à étayer le propos du pamphlet. Les citations suivies de leur référence permettent de justifier l’authenticité de la source utilisée. De manière rusée et efficace, l’auteure se sert de la parole sacrée de Dieu, parole incontestée, inébranlable et perçue comme vérité absolue afin de ne subir aucune contradiction. Par ailleurs, on peut se demander quelle version de la Bible Argula a-t-elle utilisée : la traduction classique de l’Ecriture et/ou la traduction de Luther (plus fidèle à la parole de Dieu) ? L’auteure opère également un processus répétitif avec l’accumulation du mot « Parole de Dieu » qui apparaît neuf fois et de ses substantifs tel que l’« Evangile » (l. 6 ; 14 ; 16) ou encore l’« Ecriture » (l.19) pour qualifier la Bible. Argula martèle son discours cherchant à insister notamment sur la nécessité de réaffirmer la parole de Dieu face à la Tradition qui prend une place trop importante dans la foi des chrétiens, mais qui n’est qu’arbitrairement définie par l’Eglise, les apôtres, elle ne vient pas de la parole révélée. « Nous ne pouvons nous contenter de dire : je crois ce que mes parents ont cru. C’est en Dieu que nous devons croire, non pas en nos parents. » (l.20, 21). Elle rejette tout comme Luther cette source de dogme et veut un retour aux sources, à l’Ecriture seule (sola scriptura) et invite les dirigeants autorités politiques et religieuses et le peuple à respecter cette loi morale car le salut, question fondamentale des chrétiens, « dépend entièrement de l’écoute de la parole de Dieu ».
Le pamphlet en premier lieu destiné au duc Guillaume IV et aussi adressé à un public plus large en particulier au clergé. En effet, la lettre est particulièrement critique et polémique envers les ecclésiastiques. Exagérant les stéréotypes particulièrement immoraux du clergé, l’auteure cherche à le diaboliser et à le condamner. Une offensive d’abord contre les théologiens de l’Université d’Ingolstadt des paragraphes 1 à 3, elle s’étend plus largement à l’Eglise des paragraphes 12 à 16. Selon elle, l’immoralité du clergé menacerait l’intégrité des chrétiens. « « Gardez-vous des faux prophètes qui […] sont des loups rapaces ». Dieu, il me semble, les a en partie désignés : ce sont les moines, les nonnes, la prêtraille. » (l.35-37). L’auteure mène une attaque explicite contre les clercs, d’autant plus que le terme « prêtraille » est un terme péjoratif. Ici, elle interprète à sa manière une citation biblique puisque a priori il n’y aucun rapport entre la parole de Dieu et son affirmation. Par ailleurs, la généralisation qu’elle commet l’empêche de présenter une opinion nuancée, ce qui pourrait lui portait préjudice vis-à-vis de son raisonnement qui se veut persuasif. Elle met en lumière et dénonce les rapports pervers des clercs à l’argent, au sexe et au pouvoir. « Les princes qui se font appeler religieux et les prélats ont l’argent, les laïcs ont la bourse. » (l.44) Autrement dit, les religieux se sont emparés du pouvoir et de l’argent tandis que les laïcs n’ont qu’une bourse vide ; vidée par la cupidité des ecclésiastiques qui sont prêts à mentir pour gagner toujours plus. Cet extrait peut faire référence à l’affaire des Indulgences dénoncée six ans plus tôt par Luther. Le prédicateur qui a prêté serment d’être fidèle à jamais à Dieu est accusé d’être un profanateur, ce qui constitue un sacrilège. De plus, au stéréotype du clergé avare, cupide et voleur s’ajoute celui des ecclésiastiques dépravés qui probablement entretiennent des prostituées puisque le mariage leur est interdit. « Faire vœu de chasteté […] n’est pas en notre pouvoir » « cette grâce n’est pas accordée à tous ceux qui portent la robe et la tonsure » (§ 13). Cependant, il est difficile d’identifier si l’accusation vise directement les prêtres ou si cela sous-entend une nécessité de réformer le système pour autoriser le mariage car aucun homme, au fond, ne peut contenir ses pulsions sexuelles. A-t-elle adopté la vision luthérienne qui affirme que l’homme est fondamentalement mauvais ? Aussi, l’auteure montre l’inversion de pouvoir opérée : « C’est à vous et non aux clercs qu’appartient le glaive du châtiment. » (l.41) ; inversion illustrée par « l’affaire Seehofer » lorsque les théologiens de l’Université ont pris seuls la décision de condamner le jeune homme sans s’en remettre à l’autorité supérieure, le duc de Bavière « sans tenue d’aucune dispute ». Elle nie volontairement la politique du duc lui-même qui interdit de discuter publiquement des thèses luthériennes. Argula rend coupable les clercs d’être des gardiens de la Tradition contre la parole sacrée de Dieu. En effet, elle réussit à prouver (efficacement) que renier les écrits de Luther (ce que Seehofer a été contraint de faire), c’est trahir l’Ecriture, étant donné que celui-ci a traduit avec précision la Bible. Ce discours ne fait que rendre encore plus illégitime leurs agissements qualifiés d’abus puisqu’en ce sens, ils calomnient « un bon prédicateur ».
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