La construction des Etats-nations en Europe (1870-1914)

Ivan Touati                                  

Histoire contemporaine

« Nous avons fait l’Italie, maintenant il nous faut faire les Italiens » aurait déclaré Massimo d’Azeglio, penseur et acteur du Risorgimento italien, au lendemain de la proclamation du royaume d’Italie le 17 mars 1861. En effet, si la création de structures étatiques a bien été achevée en Europe occidentale dans la seconde moitié du XIXe siècle, il reste alors encore à développer un sentiment d’appartenance de populations hétérogènes, originaires de différentes provinces, à leurs Etats respectifs.

C’est ce sentiment d’appartenance qui fonde « l’Etat-nation ». L’Etat-nation désigne la juxtaposition d’un Etat, structure politique et géographique, à une nation, définie par des individus qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe. L’Etat-nation caractérise donc la coïncidence entre une notion d'ordre identitaire - l'appartenance à un groupe, la nation - et une notion d'ordre juridique - l'existence d'une forme de souveraineté et d'institutions politiques et administratives qui l'exercent, l'État.

« L’Europe occidentale » désigne, dans son sens géographique, l’Europe de l’Ouest. Le concept d’Europe occidentale reste cependant mal défini et assez imprécis, « l’Ouest » européen étant un espace complexe à délimiter. Notre développement portera sur l’étude de pays appartenant à cet ensemble, et notamment l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne ou l’Italie. Nous nous intéresserons dans ce devoir à la période du tournant du XXe siècle, des années 1860-1870 - et la création de nouveaux Etats en Europe occidentale - à l’année 1914 - et le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la question de la nation devient fondamentale en Europe. De nouveaux Etats se forment - l’Italie en 1861, l’Allemagne en 1871 – mais des populations aux différences affichées et revendiquées peuplent ces entités. En France, en Grande-Bretagne, en Espagne, où l’unité territoriale est plus ancienne, des spécificités régionales subsistent également. Difficile donc pour les différents gouvernants à la tête de ces structures d’imposer leur souveraineté sur des individus ne se sentant pas liés à l’Etat central. Dès lors, la grande ambition des autorités européennes de la fin du XIXe siècle va être de parvenir à constituer des identités nationales singulières et de rassembler les individus autour de ces identités. Selon Anne-Marie Thiesse, « la véritable naissance d’une nation, c’est le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et entreprend de le prouver ». Bien souvent, cette « preuve » sera apportée et diffusée sur le territoire de l’Etat par les gouvernants eux-mêmes. Cette diffusion, accentuée au XIXe siècle, n’est pas antérieure au XVIIIe. Les nations européennes sont donc récentes et ne sauraient trouver leur origine dans une époque lointaine, qu’elle soit antique ou médiévale.

Tout l’enjeu de notre étude sera de parvenir à déterminer les caractères du processus d’élaboration des identités nationales, de s’intéresser à ses effets sur les populations européennes, et de traduire son uniformité dans tous les Etats d’Europe occidentale.

En quoi la création des identités nationales s’est elle faite selon un modèle unique dans les Etats d’Europe occidentale au tournant du XXe siècle ?

Dans une première partie, nous traiterons spécifiquement du processus de création des identités nationales appliqué par les gouvernants européens dans la seconde moitié du XIXe siècle. Par la suite, nous montrerons que cette création impliqua l’adhésion des populations européennes. Dans une dernière partie, nous expliciterons le fait que cette invention fit la promotion de la supériorité nationale, promotion parfois violente.

I) La création des identités nationales dans les Etats européens

A) Des Etats confrontés aux diversités régionales

Il existe de véritables différences régionales dans ces Etats. Celles-ci sont de différentes natures. Tout d’abord, il existe des diversités linguistiques dans les Etats d’Europe occidentale. La diversité est également religieuse ; en Allemagne, des régions sont protestantes, d’autres catholiques. Enfin, les différences sont tout simplement culturelles : les souvenirs historiques, l’alimentation, les unités de mesure, le droit etc. varient selon lés régions.

B) La mise en place d’une unité culturelle

Cette unité passe donc par une unité de langage. Beaucoup de langues nationales européennes n’existaient pas avant le XIXe siècle. La langue nationale doit se substituer aux multiples langages régionaux  et permettre la communication entre l’administration et les administrés et plus largement entre tous les administrés. Les gouvernants identifient également des ancêtres communs à toute la nation et une Histoire commune, toujours glorieuse : on parle de « roman national ».

C) Un processus similaire suivi par des gouvernants éclectiques

Tous les Etats européens ont suivi un modèle de construction identitaire assez similaire à travers l’élaboration d’une « liste identitaire » : détermination de représentations officielles, de héros nationaux, de monuments culturels, d’un folklore… Cette construction identitaire commune n’a donc pas été associée à une forme type de gouvernement : au tournant du XXe siècle, on trouve en Europe occidentale un gouvernement républicain (la République française) mais aussi différentes monarchies.

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