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La double sépulture du cardinal Jean de la Grange

Étude de cas : La double sépulture du cardinal Jean de la Grange. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  3 Mai 2016  •  Étude de cas  •  10 624 Mots (43 Pages)  •  1 330 Vues

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Les monuments funéraires du cardinal Jean de la Grange :

        

        Le corpus documentaire que nous étudierons ici est composé de trois photographies relatives à la double sépulture de Jean de la Grange.  Nous avons un détails du tombeau de la cathédrale d'Amiens, il s'agit de l'effigie sculptée du défunt sous la forme d'un gisant en marbre blanc, la pièce est du tout début du XVe siècle mais elle n'est ni attribuée, ni datée précisément.  Nous avons un transi en albâtre édifié en 1403 dédié au même homme et qui intégrait un tombeau  en l'église Saint Martial d'Avignon, le sculpteur nous est inconnu. Enfin, nous avons le détail d'une composition sépulcrale en albâtre non datée mais de la même époque et inhérente au tombeau avignonnais ici introduit par sa légende comme "l'Annonciation adorée par Louis d'Orléans présenté par un apôtre". Signalons que les deux pièces issues de l'église Saint Martial sont aujourd'hui exposées au Musée du Petit Palais.         Notre étude repose donc sur trois iconographies, deux d'entre elles représentent par leur genre respectif le défunt dans son rapport à la mort, notre troisième image agit plus comme une annexe, elle participe à la sépulture du cardinal par l'intermédiaire d'une composition autour du thème biblique de l'Annonciation. De toute évidence, ces trois ensembles sont singuliers par leur thèmes et leur facture, d'une part ils nous livrent de précieux indice sur la vie et les attentes posthumes du cardinal, d'autre part il expriment de façon sous-jacente l'évolution du rapport à la mort à l'aube du XVe siècle et sa captation par le monde des arts. Bien-sûr, ces tombeaux destinés à Jean de la Grange ne sont pas à considérer comme des exemples exhaustifs et certains de l'évolution des monuments funéraires à cette époque et dans ces localités, mais il semble néanmoins que ces trois détails mettent en avant la pluralité et l'existence d'un nouveau discours vis à vis de la mémoire et de  l'au delà. Plus exactement, notre étude va nous interroger sur la  représentation et l’instrumentalisation de la mort.                                                                                                 Nourrit par des nombreuses influences artistiques, ces deux tombeaux sont en fait deux mises en scènes prodigieuses et réciproques. Avant de comparer et d'articuler ces deux monuments funéraires, il nous semble important de vous dresser un portrait du cardinal Jean de la Grange car il a le mérite de localiser et contextualiser notre analyse.                                                                         Jean de la Grange est né au château de Pierrefite à Ambierle vers 1325, il est le fils d'un notaire nommé Geoffroy et le frère cadet d'Etienne de la Grange, célèbre conseiller des roi Charles V et VI.  Entré en 1345 au prieuré clunisien de sa ville natal, Jean de la Grange passe ensuite son doctorat en décret à l'université d'Avignon, il est nommé prieur d’Elancourt dans le diocèse de Beauvais, puis en 1354 son œuvre le déplace à Gigny dans le diocèse de Lyon. Sous son initiative, il fait rénover et agrandir l’église de sa ville natale, à cette occasion  il fait construire une chapelle pour les défunts de sa famille. En 1357, il est promu  abbé de l’abbaye bénédictine de la Trinité de Fécamp et rencontre le roi Charles V qui le nomme bientôt à ses côtés comme conseiller, notamment chargé des finances et des affaires ecclésiastiques. Dans le même temps il accompagne dans ses missions diplomatiques en Espagne le cardinal Guy de Bourgogne, ancien chanoine d’Amiens, devenu en 1340 archevêque de Lyon installé depuis 1342 en Avignon auprès du Pape Clément VI. En 1370, alors qu'il est appuyé par le chancelier de France Guillaume de Dormans,  le roi nomme Jean de la Grange président de la Cour des aides, là il connait une aisance financière remarquable qui sera bien plus tard perceptible à travers nos monuments funéraires. En 1373,  il est nommé évêque d’Amiens et continue ses missions auprès du roi. En effet, en tant que ministre plénipotentiaire il assista aux conférences de Bruges de 1374 qui ne parvinrent pas à rétablir la paix entre la France et l'Angleterre. Pat ailleurs, notons que les liens de Jean de la Grange avec le roi sont d'autant plus étroits du fait qu'il était aussi le percepteur de ses enfants, sa notoriété le mena par exemple à être chargé de l'exécution de l'ordonnance sur la majorité des rois de France. Dans la cathédrale d’Amiens,  il fait construire deux chapelles à l’honneur du roi ainsi que son tombeau avec un gisant de marbre blanc, il s'agit bien entendu de notre objet d'étude.  En 1375, il devient cardinal-prêtre au titre de Saint-Marcel, puis conseiller du pape Grégoire XI. En 1378, il arrive à Rome alors qu'Urbain VI vient d'être élu, Jean de la Grange s’oppose à cette élection et participe au conclave de Fondi afin de reconnaitre le premier antipape Clément VII, ainsi débute le Grand Schisme d’Occident. A force de persuasions, le cardinale convint Charles V d'appuyer ce nouveau pape,  pourtant en 1380 le successeur Charles VI l’écarta de sa cour et il fut donc contraint de se réfugier auprès de Clément VII, à Roquemaure, sur la rive droite du Rhône, non loin d’Avignon où il fait construire son mausolée en l’église Saint-Martial avec la représentation de son Transi. En 1394 il est nommé par l’antipape Clément VII cardinal-évêque du diocèse de Frascati dans la province de Rome, la même année, le premier des antipapes d’Avignon décède et laisse sa place à Benoit XIII qui perdra le soutien français dont bénéficiait son prédécesseur. Etant écarté d’Avignon, Jean de la Grange rejoignit le parti de ceux qui réclamaient son abdication et qui organisaient la soustraction d'obédience en 1398, il décéda avant la fin de la procédure en 1404. Dans son testament, le cardinal stipule qu'à sa mort sa dépouille doit être séparée en deux parties, ses os doivent être placés dans le tombeau de  la cathédrale d'Amiens, son coeur et les restes de ses viscères  au tombeau de Saint-Martial en Avignon.                                                         En somme, Jean de la Grange occupe une place prépondérante dans la vie ecclésiastique, économique et politique du Royaume de France.  Il est spectateur à sa jeunesse des famines et des  effroyables conséquences de l'épidémie de peste noire qui sévit entre 1347 et 1352, il est éduqué par l'ordre de Saint Benoit, il est sensibilisé aux souvenirs amers des humiliations des batailles de Crecy en 1346 et de Poitier dix ans plus tard, il est un clercs érudit et réputé, il est un conseillé très proche de Charles V, enfin  il est un acteur important du Grand Schisme d'Occident. Jean de la Grange incarne donc une bonne partie des malheurs et des mutations de son siècle. Soutenue ou écartés par les rois et les papes, il est une figure publique très influente et nous allons démontrer que ces deux monuments funéraires témoignent bien de ces traumatismes séculaires, de sa fidélité à la couronne de France et d'un nouveau rapport presque didactique à la mort.

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