Soir D'hiver
Rapports de Stage : Soir D'hiver. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 20 Octobre 2014 • 4 420 Mots (18 Pages) • 871 Vues
Présentation
Émile Nelligan et la littérature québécoise
Alfonso Buelvas Garay
Université du Cauca (Colombie). Université de Tours (France)
Depuis plusieurs années, la littérature francophone a suscité un bon nombre d’études, et tout porte à croire qu’ils ne s’arrêteront plus jamais jusqu’à constituer un livre unique dont les littératures nationales ne seront que les chapitres. L’impression dominante est de voir la littérature française comme une sorte de bloc singulier, et d’autant plus volontiers que la France et plus particulièrement, Paris ont exercé indéniablement un pôle d’attraction pour artistes et créateurs du monde entier. Il y a en réalité, une foule de rassemblements divers qui brillent en français sous le soleil de tous les continents.
L’aventure littéraire au Québec date déjà d’une longue tradition. Elle a été définitive dans l’affirmation de l’autonomie politique et culturelle. Dans ce sens la poésie fonctionne comme un manifeste où les mots se mettent en place pour affirmer une identité. Emile Nelligan est le personnage principal de cette aventure. Il incarne, plus qu’aucune autre figure au Québec, le symptôme d’une littérature québécoise. Le culte qu’on lui voue aujourd’hui montre son importance dans la culture du Canada français, il est venu conjurer l’angoisse de perdre une langue par l’avalanche d’une autre que s’imposait à toute vitesse. Grâce à cette écriture tâtonnante d’un jeune homme de 17 ans, le Québec peut se dérober au regard de l’autre comme une tentative de rapprochement culturel et intellectuel d’égal à égal.
Ce processus littéraire au Québec, n’as pas été absent des profonds parado- xes, des multiples évolutions enfin, d’ambiguïtés permanentes, où conflits, mythifications et lucidités frénétiques ont désormais constitué ce qui définit cette entité que l’on appelle littérature québécoise.
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ALFONSO BUELVAS GARAY
Une poétique.
L’œuvre d’Emile Nelligan est avant tout celle d’un adolescent sensible et en quête de construire un univers. Pour aboutir à cet objectif, il n’a pas hésité au passage à l’imitation et l’idéalisation de ses «pairs». Pourtant au-delà de cette exigence intime du poète, existe l’affirmation d’une œuvre qui assume, parmi d’autres thématiques, la mort et la souffrance comme chemins d’une poésie nouvelle. Ne serait-ce donc pas dans ce sacrifice du poète que se situerait sa force comme l’affirme Hegel dans son célèbre épigraphe: “La mort est ce qu’il y de plus terrible et maintenir l’œuvre de la mort est ce qui demande la plus grande force?”. C’est justement ce choix, dans un premier temps, de devenir poète, et ensuite de le faire avec son propre moi déchiré comme une sorte de dédoublement en méta-récit, qui conduit Jacques Michon à affirmer ceci: “Vouloir être poète au sens où Nelligan l’entendait, c’était choisir une position d’exclusion. Dans cette société, il n’y avait de place que pour le bourgeois dilettante chez qui «la poésie n’est qu’un délassement délicat, auquel on veut bien permettre de charmer la vie, mais non de l’absorber.» Henry Desjardins disait: ‘la littérature n’est qu’un moyen intelligent d’occuper des loisirs, ce n’est pas un métier’. Le poète plus exigeant qui ne supportait pas de compromis, qui refusait de confondre art et divertissement, littérature et loisir, qui demandait à la poésie autre chose qu’un «délassement délicat» devait se contenter de la part maudite” (MICHON, 1983: 30). Jacques Michon ajoute: “Dans ce système symbolique, choisir l’art et la poésie de manière exclusive, c’était choisir à coup sûr la mort et la folie. Littérature et folie devenaient ainsi complices, unis par un rapport obscur et constitutif. L’art et la déraison se retrouvaient du même côté de la barre qui le voulaient l’un et l’autre au refoulement et au démenti. Le poète comme le fou devait être refoulé, exilé, interné. Les qualifications respectives du poète et du fou graduellement se confondaient. Lorsque Nelligan écrivait «je veux être fou», il disait en même temps «je veux être poète» et vice versa. La passion de la littérature était assimilée à la passion de la folie, la folie de la littérature devenait la littérature de la folie. Ainsi s’établissait en creux un contrat obscur entre le «poète maudit» et sa société. Dans son œuvre Nelligan ne cessera de raconter l’histoire de ce contrat, d’en faire le récit, d’en retracer les étapes”(MICHON, 1983: 31).
Nelligan n’était pas fou, tel est le titre de l’ouvrage de Bernard Courteau, pour souligner le grand drame de Nelligan. Quarante ans d’asile et le poète conserve, dans son isolement, la mémoire de ses textes. A partir de ce constat et d’autres que Courteau a pu préciser, il mène une bataille en faveur de la vérité sur Nelligan. Il tente de prouver que la démarche nelliganienne, si bien elle a été dominée par l’expérience de la mort et de la déchirure, elle est le lieu précieux d’une littérature naissante. D’autres intérêts se cachaient derrière le mythe Nelligan, et Bernard Courteau les dénonce: “Les valeurs, comme les temps –qui sont leur alibi- changent. Il serait peut-être temps et sain d’admettre enfin, pour
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EMILE NELLIGAN ET LA LITTERATURE QUÉBÉCOISE
rendre un triple hommage à Nelligan, à nous-mêmes et à la vérité, qu’à la lumière de ces faits, les exclusions, les inclusions qui nous sont adressées ou que nous formulons nous-mêmes (la norme s’intériorise si facilement!) nous agressent mutuellement et font de nous de réciproques victimes et que Nelligan, devant l’énormité de l’ostracisme, de l’incompréhension et de l’indifférence générale (qui n’avoue, qui ne se sécurise que devant le rentable), à préféré démissionner et jouer le jeu, plutôt que d’avoir à s’épuiser en vains efforts pour devenir esclave; lui qui avait le goût de tous les prestiges et des plaisirs du verbe.” (COURTEAU, 1986: 78).
Nelligan est le poète assassiné d’Apollinaire. Il reste à établir les mobiles de cet assassinat. Avec cette mort ce n’est pas l’homme qu’on assassine; c’est pour reprendre l’idée de Daniel Leuwers, de «la poésie assassinée» (LEUWERS, 1998: 74).
Labyrinthes, exil et mort.
C’était un grand Vaisseau taillé dans l’or massif. Ses mâts touchaient
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