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Droit: Vote Des Femmes

Note de Recherches : Droit: Vote Des Femmes. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  28 Février 2014  •  7 869 Mots (32 Pages)  •  844 Vues

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Le suffrage, longtemps réservé aux hommes, n’est devenu réellement universel en France qu’en 1944. Il a fallu, on le sait, attendre l’ordonnance du 21 avril 1944, signée par le général de Gaulle, pour que les femmes deviennent à leur tour électrices. Et pourtant, huit ans auparavant, en décembre 1936, la ville de Louviers avait été le théâtre d’une première expérience de suffrage universel complet : le maire, Pierre Mendès France, avait en effet décidé de faire élire par les hommes et les femmes six conseillères municipales adjointes, appelées à siéger au sein des différentes commissions comme en séance plénière. Initiative originale et méconnue, qui mérite qu’on s’y arrête. Pour en apprécier la singularité et l’importance, il convient d’abord de la replacer dans le contexte de l’époque et de rappeler quel était en 1936 l’état des lieux, le retard de la France par rapport au reste de l’Europe en matière de droits politiques accordés aux femmes. Nous évoquerons ensuite les moyens mis en œuvre par les associations féministes pour interpeller l’opinion publique et les responsables politiques et faire avancer la cause du suffrage féminin, mais aussi les initiatives prises par certains maires pour permettre aux femmes de prendre place dans les commissions municipales (car la manifestation de Louviers, nous le verrons, a connu des précédents, dont Mendès France s’est évidemment inspiré). Enfin nous nous attarderons sur cette expérience lovérienne, sur l’élection elle-même et son déroulement, et surtout sur le rôle joué par les conseillères élues, qui devaient siéger jusqu’à la dissolution du conseil municipal en avril 1941. Si l’intention était louable, il faut en effet s’interroger sur la réalité du pouvoir qui leur a été ainsi accordé.

En 1936, la France est encore l’un des rares pays européens à ne pas avoir accordé le droit de vote aux femmes. Seules, la Suisse, la Bulgarie et la Yougoslavie le leur refusent également [1]. Partout ailleurs les femmes votent et sont même souvent éligibles. Elles ont obtenu ce droit parfois très tôt, dès 1906 en Finlande, le plus souvent au lendemain de la guerre. En Grande-Bretagne, par exemple, l’âge de l’électorat féminin est fixé à 30 ans en 1918, avant d’être abaissé à 21 ans comme pour les hommes en 1928. En 1930, la Turquie elle-même adopte l’égalité complète des droits politiques. Toutefois, dans certains pays le droit de vote s’accompagne de restrictions : en Grèce les femmes votent depuis 1931, mais aux seules élections municipales et à condition d’avoir 30 ans et de savoir lire et écrire. Ainsi, comme le souligne Alain Garrigou, « des pays protestants, catholiques, orthodoxes et même musulmans, républicains ou non, pas forcément démocratiques, avaient imposé le vote des femmes avant le pays qui se targuait d’avoir inventé le suffrage universel » [2].

Le retard de la France en ce domaine est imputable à l’hostilité manifestée par le Sénat, durant la période de l’entre-deux-guerres, à l’égard de tout projet de réforme, et en particulier par le groupe de la gauche démocratique, qui regroupe les sénateurs radicaux, inscrits ou non au parti, et détient la majorité au sein de la Chambre Haute. Le Sénat a pu ainsi empêcher l’adoption des différentes propositions de loi votées par la Chambre des députés [3]. Quatre fois en effet, au cours de l’entre-deux-guerres, la Chambre a accordé l’électorat et l’éligibilité aux femmes, et avec des majorités de plus en plus importantes [4]. Le 20 mai 1919, les députés reconnaissent aux femmes les mêmes droits politiques qu’aux hommes, par 329 voix contre 95. Le 7 avril 1925, à la veille des municipales et des cantonales, c’est une réforme plus limitée qui est adoptée : le droit de vote et l’éligibilité aux seules élections locales. A nouveau, le 1er mars 1935, puis le 31 juillet 1936, la Chambre accorde aux femmes l’égalité complète des droits politiques. En 1936, c’est par 495 voix contre zéro (le seul vote hostile ayant été ensuite rectifié) qu’est adopté cet article unique : « Les lois et dispositions réglementaires sur l’électorat et l’éligibilité à toutes les assemblées élues sont applicables à tous les citoyens français sans distinction de sexe »[5]. A chaque fois, il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau : aucun de ces votes n’aura de suite, en raison de l’obstruction du Sénat [6].

Il fallut attendre trois ans et demi avant que la proposition de loi adoptée en mai 1919 vienne en discussion au Sénat. Et le 21 novembre 1922, au terme de la discussion générale, le débat tourne court, les sénateurs repoussant le passage à l’examen des articles par 156 voix contre 134 [7]. Quant aux autres propositions votées par la Chambre, elles ne seront jamais inscrites à l’ordre du jour. Entre-temps, en 1932, le Sénat s’est saisi une seconde et dernière fois du problème, en examinant une proposition de loi de Louis Martin [8], membre de la gauche démocratique et néanmoins partisan résolu du suffrage féminin, proposition tendant à reconnaître aux femmes le droit de vote et l’éligibilité à toutes les élections [9]. Une fois encore, le 7 juillet, après deux semaines de débat et au moment de passer à l’examen de l’article unique du texte, les sénateurs enterraient le projet en rejetant l’urgence et en le renvoyant ainsi aux calendes grecques. Désormais même une proposition aussi modeste que celle déposée en février 1936 par Eugène Milliès-Lacroix, sénateur-maire de Dax, ne sera jamais discutée : il ne s’agissait pourtant que de permettre aux communes qui le souhaiteraient de faire élire par les hommes et les femmes des conseillères municipales en nombre limité (par exemple 6 dans les communes élisant 27 ou 30 conseillers). Et les femmes ainsi élues, si elles jouissaient des mêmes droits et étaient soumises aux mêmes obligations que leurs collègues masculins, ne pouvaient toutefois être désignées comme délégués sénatoriaux et participer à l’élection des sénateurs.

A dix ans d’intervalle, en 1922 comme en 1932, les adversaires des droits politiques pour les femmes développent les mêmes objections. Trois raisons, à les entendre, justifient leur opposition : le suffrage des femmes est contraire à la nature, il serait un danger pour la République, de toute façon il est prématuré. D’abord, en effet, la femme est d’une nature différente. Sa sensibilité comme sa physiologie la prédisposent à être la reine du foyer, l’éducatrice des enfants, tandis qu’à l’homme, chef de la famille, incombent les rudes besognes, les responsabilités

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