Empire, Nation Et Citoyenneté: La France Et L'Afrique
Commentaires Composés : Empire, Nation Et Citoyenneté: La France Et L'Afrique. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 25 Octobre 2013 • 7 029 Mots (29 Pages) • 931 Vues
Frederick Cooper
Empire, nation et citoyenneté : la France et l’Afrique
XXXIIIe Conférence Marc–Bloch, 7 juin 2011Allocution du président
Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je veux exprimer ma gratitude pour l’honneur que vous me faites aujourd’hui. C’est plus qu’un honneur personnel. Cette invitation – faite à un historien de l’Afrique et de la colonisation – marque la reconnaissance que mon domaine de recherche a pris sa place – une place normale, une place ordinaire – dans la discipline de Marc Bloch.
Commençons par une citation de Mamadou Dia, anticolonialiste militant, premier président du Conseil du Sénégal : « Il faut qu’en définitive, la conception impérialiste d’État-nation fasse place à la conception moderne d’État multinational. » Ces paroles, de 1955, exigent de notre part une réflexion sur les décolonisations après la Seconde Guerre mondiale, et en général sur notre vision de l’histoire politique contemporaine comme une grande transition d’un monde des empires à un monde des États-nations. Nous pensons que la nation est un élément de la politique moderne. Mais selon Mamadou Dia, l’État-nation n’était ni moderne, ni désirable. Pour lui, le modèle d’un État composite reconnaissant la pluralité de ses populations restait tout à fait naturel au milieu du xxe siècle.
Beaucoup d’acteurs politique africains partageaient le point de vue de Mamadou Dia. En Afrique occidentale française – l’AOF – il n’y avait pas de demandes organisées de l’indépendance avant 1957. Ce que demandaient Dia et la plupart de ses collègues, c’était de transformer l’empire français en une fédération ou une confédération, une structure étatique unifiant les territoires africains les uns avec les autres et avec la France. Il s’agissait d’une politique anticolonialiste, certes, mais pas nationaliste au sens devenu ordinaire depuis cette époque, c’est-à-dire la revendication d’un seul État dans un seul territoire pour un seul peuple. Dans les années 1950, les mouvements politiques en AOF estimaient presque tous que l’indépendance, pour des territoires de moins de quatre millions d’habitants, avec un niveau d’éducation et d’infrastructure misérable, ferait perdurer la pauvreté et la subordination aux puissances mondiales.
Ce que ces dirigeants politiques cherchaient, au contraire, était l’égalité dans une structure complexe, franco-africaine. Avec son collègue sénégalais Léopold Sédar Senghor, Dia cherchait à lier ce qu’ils appelaient la « solidarité horizontale » – entre Africains – à la « solidarité verticale »– avec la France. Solidarité – le même mot utilisé pour exprimer les dimensions redistributives de l’État-providence en France. Les Africains demandaient un accès aux ressources de la France en qualité de citoyens, et non en mendiants.
Depuis 1946, les anciens sujets de l’empire français avaient la qualité de citoyen. Dans l’Assemblée nationale constituante après la guerre, une petite dizaine de députés africains, dont Senghor, luttèrent avec fermeté et habileté pour inscrire cette qualité dans la Constitution de la IVe République. Ils obtinrent une citoyenneté définie d’une manière particulière, une généralisation pour tous les territoires d’outre-mer du système exceptionnel du Sénégal. Selon les articles 80 et 82 de la Constitution, le citoyen d’outre-mer avait le droit de garder son statut personnel, islamique ou « coutumier », c’est-à-dire que les affaires de mariage, de filiation, et d’héritage pouvaient être réglées par un régime particulier au lieu du Code civil. En principe donc, la Constitution reconnaissait la diversité sociale et culturelle au sein de la citoyenneté française. Son préambule faisait référence aux « peuples et nations » – au pluriel – de l’Union française, tout en affirmant que les territoires d’outre-mer, comme l’Algérie, faisaient partie de la République française. En pratique, néanmoins, l’empire colonial – caractérisé par la hiérarchie des pouvoirs, la discrimination raciale dans la vie quotidienne, et des épisodes d’une brutalité extrême – fut loin de se transformer en un monde égalitaire et multiculturel. Mais pendant les années 1950, les concepts d’égalité et de diversité avaient une place centrale dans les débats sur l’avenir de l’Afrique française.
Voici une autre citation, celle-ci de 1946 : « L’avenir des 110 millions d’hommes et de femmes qui vivent sous notre drapeau est dans une organisation de forme fédérative. » L’auteur de ce discours n’avait pas besoin de dire que la majorité de ces personnes ne vivaient pas en Europe, mais dans la France d’outre-mer. L’année suivante, cet homme décrivit ainsi l’organisation prévue pour ces divers territoires :
« chacun, dans le cadre de la souveraineté française, doit recevoir son statut à lui, réglant, suivant le degré très variable de son développement, les voies et moyens très variables par lesquels les représentations des habitants, tant Français qu’indigènes, pourront délibérer localement des affaires intérieures et prendre part à leur gestion […] Nous ne pourrons faire vivre l’Union française sans des institutions d’un caractère fédératif. »
L’auteur de cette citation est Charles de Gaulle. L’avenir de la France, selon lui, n’était pas un État unifié, mais une structure complexe, dans laquelle les membres jouiraient de différents degrés d’autonomie et auraient des rapports différents au centre. Le fédéralisme selon De Gaulle n’était pas le fédéralisme de Dia. Aucun de ces deux fédéralismes n’était classique, parce que les membres n’étaient pas des égaux. Dia, conscient de l’écart matériel entre les territoires africains et la France européenne, voyait la création d’une fédération comme une étape vers l’égalité, vers l’équivalence de l’ancienne métropole avec ses anciennes colonies. Dia s’intéressait surtout à l’État fédéré, De Gaulle à l’État fédérateur ; la transformation de l’empire en fédération était pour celui-ci le meilleur moyen de préserver la France, même s’il acceptait l’idée que tout le monde n’était pas français de la même manière.
Nous savons, rétrospectivement, que ces deux projets d’une communauté franco-africaine, fédérale, multinationale, égalitaire, n’ont pas abouti. Mais pourquoi ces idées étaient-elles disponibles dans les années 1940 et 1950 ? Nous avons entendu maintes fois que les mouvements
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