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Commentaire Khayr al-Dîn al-Tunisî

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Par   •  10 Mars 2021  •  Commentaire de texte  •  3 390 Mots (14 Pages)  •  382 Vues

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Commentaire de texte

« On ne peut que redire les ruptures successives du XIXème siècle et ses accélérations […] ; le tournant décisif des années 1850-1860 résultant des tanzimat, des mutations économiques, juridiques et culturelles […] » Indique l’historienne Catherine Mayeur-Jaouen dans son ouvrage À la poursuite de la réforme » : renouveaux et débats historiographiques de l’histoire religieuse et intellectuelle de l’islam, XVe-XXIe siècle. Cette constatation est fondamentale dans la compréhension de cette période, dont découle directement le texte étudié. Il s’agit d’un essai, genre littéraire traitant d’un sujet en particulier, ici, les réformes nécessaires des états musulmans selon l’auteur. Ce texte voit le jour en 1868, et est destiné à un public lettré averti, plus particulièrement aux membres dirigeants de ces dits-états, aux membres de leurs rouages politiques. On est donc dans une visée ciblée, centrée sur un public lettré et averti, avec une volonté de leur exposer un point de vue clair et affirmé. L’auteur de ce texte est Khayr al-Dîn al-Tunisî, né entre 1822 et 1823, est un homme originaire du Caucase, très rapidement vendu en esclave à une famille constantinopolitaine. Il reçoit une solide éducation, en langue turque. Il reçoit également une formation militaire et va rapidement devenir un homme influent, après s’être installé en Tunisie dans les années 1840. Il va mener un longue carrière militaire et gouvernementale, et va particulièrement être impliqué dans le courant des réformes des tanzimat, un mouvement dont il évoque les principes fondamentaux dans ce texte. Il évoque, dans cet essai, les causes qui selon lui forment le progrès, en se basant sur l’histoire européenne. Il va principalement chercher à mobiliser les ulémas, lettrés de l’Islam, afin de mener les pays musulmans vers un progrès bénéfique pour la population, en restant constamment dans le respect des institutions et de la loi sacrée de la charia. Il meurt en 1890, après une longue carrière s’achevant sur la fonction de Grand Vizir. Ce texte est rédigé au moment même des réflexions autour des grandes réformes de l’Empire Ottoman, la période des tanzimat, s’étalant de 1839 à 1876. Le besoin de modernisation du fonctionnement de l’Empire se fait fortement ressentir depuis que les ottomans se confrontent économiquement et commercialement aux pays européens, et de profondes réformes d’un Empire vieux de plusieurs siècles semblent inévitables maintenir l’indépendance et la souveraineté de ce dernier. Le document étudié commence par un établissement des actions menant à la prospérité, en prenant pour appui les pays européens (lignes 1 à 19), puis des causes de ce qui inversement mène à la déchéance de l’état (lignes 20 à 37). L’auteur fait ensuite un éloge de la loi sacrée et de la religion islamique, en exposant ses directives bénéfiques à la grandeur de l’état (lignes 37 à 47), avant d’énoncer une proposition concrète dans la régulation des décisions du souverain, agrémentée d’exemples historiques afin d’appuyer son propos (lignes 48 à 74), puis, il rappelle les obligations individuelles du sujet musulman dans la vie publique, en les comparant au rôle des députés et de la presse dans les démocraties occidentales (lignes 75 à 83). L’auteur dresse ensuite un portrait comportemental des différents types de souverains (lignes 84 à 90) et démontre, pour chacun de ces types, combien la régulation des décisions par un conseil est bénéfique (lignes 91 à 101), avant d’appuyer son propos en dépeignant les éventuelles dérives auxquelles pourraient se laisser aller un souverain abandonné à son seul arbitraire (lignes 102 à 107). Cet extrait s’achève par l’affirmation de l’auteur à ne pas vouloir causer de tort à la souveraineté, et bien au contraire à la protéger avec la prise de ces mesures (lignes 108 à 119). Nous allons donc observer dans quelle mesure ce texte retranscrit l’esprit des réformes des tanzimat. Nous verrons dans un premier temps quel rôle connait l’Europe au sein de ce texte et plus largement dans le contexte des réformes, puis nous observerons en quoi ce texte expose des propositions dans un esprit réformateur avant de finalement nous pencher sur les aspects profondément respectueux de la tradition que contient ce document.

        Depuis sa fondation, l’Empire Ottoman et l’Europe entretiennent de nombreuses relations, qu’elles soient pacifiques, d’ordre commercial ou diplomatique ou plus conflictuelles, avec des velléités conquérantes de la part des deux entités. Il est important de noter que la province tunisienne fait figure d’exception, de fait de son indépendance vis-à-vis de l’Empire, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des liens très étroits avec la gouvernance ottomane. On peut notamment citer le siège de Vienne de 1529, par Soliman le Magnifique, grand conquérant de la période de faste ottomane, ou encore les nombreuses confrontations entre l’Empire et la Russie comme relations conflictuelles. Pourtant, malgré cela, l’Europe va progressivement implanter une influence de plus en plus forte au sein de certains états de l’Empire. Cela est tout particulièrement vrai aux période de réformes des tanzimat, période durant laquelle l’Europe connait un décuplement de ses moyens, sous l’impulsion de la révolution industrielle. C’est la Grande Bretagne qui connait cette évolution en premier, avec l’invention de la machine à vapeur (XVIIIème siècle) ou encore l’utilisation de l’acier, qui vont permettre une extraction toujours plus abondante des ressources minières, tout en créant un domaine industriel urbain très dynamique. Sous le prisme des changements sociaux et systémiques (on peut notamment citer la révolution française de 1789 ou les multiples campagnes napoléoniennes) de cette période, l’Europe se transforme et s’impose comme leader mondial. Son système prouve une efficacité certaine, fait dont Khayr al-Dîn est conscient, comme on peut le remarquer ligne 8 : « les européens ne sont parvenus à jouir de la prospérité dont nous parlons que par leurs progrès dans les sciences et les arts, et grâce à leurs institutions […] ». Il présente ainsi un modèle de développement européen moderne, véritablement instigateur de changements (ligne 1 : « C’est une erreur de croire que les européens […] une origine théocratique »). Il va associer les principes du développement de l’Europe avec la loi musulmane édictée par le prophète Muhammad (ligne 16 : « Cela est pour nous une vérité démontrée dans notre loi et dans les historiens musulmans (sic) et autres »), du fait de leur proximité de principe sur la prépondérance de la justice, de la sécurité et du développement de l’état. En réalité, la religion est un principe fondamentalement éloigné du fonctionnement européen moderne, instigué par la révolution française et adopté par une multitude de pays. Il est important de noter que les décisions d’un état musulman sont toujours adoptées en respectant une stricte loi sacrée, ce qui est différent des actions d’état européennes. Pourtant, si ces principes sont fondamentalement éloignés, Khayr al-Dîn va chercher à s’en inspirer afin de proposer une réforme des systèmes musulmans, nécessaires de son point de vue. En effet, la perte de vitesse de l’Empire et la concurrence de plus en plus importante de l’Europe pousse la gouvernance ottomane à mettre en place des réformes fondamentales de l’Empire, qui débutent en 1939, sous le Sultan Abdülmecid. Une multitude de domaines sont touchés par ces réformes, que ce soit la justice, le commerce, où même, comme on le constate dans ce texte le fonctionnement intrinsèque des états. Dans ce texte, l’auteur cite de nombreuses fois les vertus du système européen mais prend soin de ne pas évoquer le fonctionnement de l’Empire comme étant drastiquement inférieur à lui : on retrouve notamment ceci lors de l’évocation du rôle de l’opinion publique ligne 79 : « Or les citoyens, à qui la loi musulmane […] et avec l’opinion publique de leur pays ». Dans cet extrait, Khayr al-Dîn prend soin de mentionner les vertus de la loi sacrée et plutôt d’accuser les sujets musulmans (« si ce devoir était bien compris […] »). Cette notion de respect profond de la loi musulmane est appliquée dans tout le texte, et prouve une volonté d’occidentalisation sur la forme mais de conservation des valeurs religieuses sur le fond.

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