Quel sens peut avoir le récit d'origine ?
Dissertation : Quel sens peut avoir le récit d'origine ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar GWYNBLEIDD • 11 Décembre 2018 • Dissertation • 2 091 Mots (9 Pages) • 637 Vues
« Quel sens peut avoir le récit d’origine ? »
Pour les Grecs et les Romains, tout a un début : il n’est pas de domaine de l’activité humaine qui ne fasse l’objet d’un récit qui raconte son origine. Il y a toujours un inventeur ou un fondateur. Dans l’Antiquité, la prolifération de ces récits étiologiques est spectaculaire. Parmi toutes ces histoires racontées, se distinguent les théogonies – les mythes qui racontent la naissance de dieux –, et les récits de fondation des cités. ⎜⎜Pour tenter de mieux comprendre la singularité de la culture antique, on pourra donc s’interroger sur le sens du récit d’origine, qui apparaît comme une spécificité. En tant qu’il revient à un début, le récit d’origine apparaît d’abord comme un retour en arrière, une rétrospection. En tant qu’il raconte un commencement, il est aussi orienté vers ce qui va advenir et qui est maintenant réalisé. Dans tous les cas, le temps de la narration s’inscrit dans un présent où le récit prend sens, signifie, produit des signes qui opèrent dans un contexte social et politique. ⎜⎜Tout d’abord, adressé à une communauté, le récit d’origine fonde la cité dans un passé commun. Adressé aux autres, il met en scène la cité par une narration qui la reflète et l’exalte. Enfin, partagé par tous, il inscrit les actions humaines dans une vision commune à une civilisation et, par-là, transcende les distinctions qui peuvent morceler l’espace politique.
Tout d’abord, le récit d’origine est le récit d’une naissance. Il signifie l’identité par un passé qui participe à l’authentifier, à la garantir. Il retrace une généalogie à partir d’ancêtres qui donnent en quelque sorte un état civil à la communauté. Ainsi, les Athéniens sont les enfants d’Érechthée. Leur identité civique est figurée dans le récit d’origine comme une identité familiale : une origine commune qui remonte à un ancêtre commun. De même, les Thébains sont les descendants du Phénicien Cadmos. Ces fondateurs peuvent être à l’origine de lignées aristocratiques, comme les Labdacides à Thèbes ou les Atrides à Argos, mis en scène, au Ve s. avant notre ère, dans les tragédies d’Eschyle, Sophocle et Euripide. Ils sont souvent, et plus largement, la métonymie de tout le corps civique.
Ces généalogies permettent aussi de figurer une relation à l’espace de la cité. Le récit d’origine tisse un lien avec le territoire. Par le mythe d’Érechthée, les Athéniens sont rattachés à leur terre et se définissent comme autochtones. De même, les premiers Thébains sont des spartoi, des « semés », nés de la terre ensemencée par les dents du dragon. Pour des cités coloniales comme Marseille, le récit d’origine célèbre l’alliance de l’autochtone avec un peuple venu d’ailleurs. Les noces de Gyptis et de Protis scellent cette alliance par une alliance matrimoniale. L’ancrage territorial est souvent matérialisé par des images concrètes, comme les remparts de Thèbes aux sept portes, merveilleusement édifiés par Amphion et Zéthos au son de la lyre. En matérialisant les limites de la cité, ces murailles mythiques définissent la communauté civique, participent à la construction d’une identité.
Ainsi, le récit d’origine est un lieu commun, pas seulement parce qu’il définit un espace commun – l’espace de la cité et de son territoire – mais parce qu’il rassemble autour d’une histoire commune ou autour de la fiction d’une histoire commune. Par l’ imaginaire commun qu’il alimente, le récit d’origine fabrique la communauté en produisant des images, et ces images sont constamment ravivées dans le temps vécu, par les représentations figurées sur les frontons des temps ou peintes sur la céramique, mais aussi par les récitations publiques, des chants rituels, lors de fêtes civiques ou panhelléniques. À Athènes, les Panathénées rappellent les mythes fondateurs de la cité, de même qu’à Olympie, les concours s’inscrivent dans la lignée de la première course de char remportée par Pélops, comme l’expose un des frontons du temple de Zeus.
Ainsi, le récit d’origine fonde l’unité et l’identité de la cité. Récit de fondation, il est en lui-même fondation. Autour de cette histoire collective, chaque cité forme ainsi un groupe qui se distingue des autres. Pourtant, cette construction identitaire s’inscrit dans la relation à l’autre.
La construction identitaire s’inscrit en effet dans un réseau de relations entre cités. Le récit de fondation insère la nouvelle cité dans la série des cités grecques dotées de récits comparables. Chaque cité a en effet son récit de fondation, qui légitime l’occupation humaine d’un espace jadis sauvage, et – du moins pour les nouvelles fondations – autorisée par la consultation de l’oracle d’Apollon à Delphes. De ce point de vue, l’épopée d’Énée joue un rôle similaire pour Rome : dans ce cas, l’origine n’est pas une origine autochtone mais, à l’instar de Protis, Énée épouse une autochtone, Lavinia, et ce récit rattache la cité latine à la culture grecque. Ainsi, le récit d’origine rattache la cité à une civilisation, définit cette civilisation comme un ensemble de valeurs qui fonde la cité, lui donne une assise, permet d’asseoir les institutions, les usages et les lois sur une vision du monde partagée. Cette vision du monde donne sens à l’organisation sociale qui définit l’humanité – on se souvient de la célèbre formule d’Aristote –: la polis. En racontant la rencontre du monde sauvage et de l’ordre civilisé, le récit d’origine célèbre la civilisation, réinvente par la fiction la civilisation, comme un geste recommencé à partir d’un modèle – le modèle grec, même lorsqu’il s’agit d’une cité romaine –.
À l’intérieur de cette culture commune aux cités grecques, se développent des variations narratives qui permettent de revendiquer une singularité. Le récit d’origine peut être le lieu d’une fierté patriotique. La langue est commune, les dieux sont communs, mais chaque cité a ses héros qui la rattachent d’une façon singulière au monde de dieux. Le mythe étiologique, qui explique les causes d’un culte ou d’une spécificité rituelle, est ainsi le récit fier d’une relation privilégiée à la figure divine. À Athènes, c’est la querelle entre Athéna et Poséidon qui fournit l’image d’une cité mise sous la double protection d’une divinité de la terre et d’une divinité de la mer. Ce sentiment de fierté ne va pas sans une forme de concurrence, concurrence singulière qui régit tous les rapports entre les cités grecques. Ainsi, il est probable que les récits des prouesses
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