La vieillesse

LA VIEILLESSE

L’approche du thème de la vieillesse que je vais vous présenter repose sur trois dimensions qui interfèrent les unes avec les autres et il faudra que vous preniez garde aux effets que ces interférences ont été susceptibles de produire sur la construction de ce qui vous sera présenté et les conclusions qui en seront tirées.

En premier lieu, en ce qui vous concerne, intervient le fait déterminant que ce thème est au programme du concours commun d’entrée aux I.E.P. d’Aix-en-Provence, Lille, Lyon, Rennes, Strasbourg et Toulouse

En second lieu, et ceci n’est pas indépendant du premier, le thème de la vieillesse, essentiellement à travers la "question" des retraites, occupe depuis plusieurs années, et à nouveau ces temps-ci, le devant de l’actualité traitée par les médias notamment à travers la question du financement des retraites.

Enfin, et ceci est susceptible d’influencer mon approche de la question, je me sens personnellement concerné par une réflexion sur les vieux et la vieillesse.

Je vais, au cours de cet exposé, m’attacher à montrer que, ce qui peut, a priori, apparaître comme une "donnée", à savoir l’existence dans nos sociétés d’un groupe numériquement croissant de personnes " âgées ", groupe que l’on considère souvent comme un " groupe social " , n’est en rien une donnée mais une construction sociale dont on peut repérer l’émergence et les évolutions.

Il sera utile de s’interroger au passage sur le fait de savoir si, au-delà des expressions couramment utilisées, on peut parler d’un véritable groupe social ou si, au contraire, il ne faudrait pas nuancer le propos pour distinguer, derrière une appellation commode, plusieurs sous-ensembles (groupes ?) devant conduire à des interrogations spécifiques sur leurs situations, leurs évolutions et les questions qu’ils posent éventuellement à la société et à l’économie.

Quoi de commun en effet entre le " jeune " retraité dynamique parfaitement autonome et le " vieillard dépendant " en institution. Ou encore entre l’homme retraité doté d’une retraite et d’un patrimoine confortables et la femme âgée au parcours professionnel en pointillé et bénéficiaire de seul minimum vieillesse (677€ /mois au 1er avril 2009)

Le fait que le " groupe social " " vieux " soit une construction sociale, loin d’être un détail, revêt une importance particulière quand son évolution prévisible est présentée comme à l’origine d’un problème qu’il s’agit de résoudre de toute urgence. En effet dans la mesure où il ne s’agit pas d’une "donnée " (biologique ?) il est toujours envisageable de " reconstruire " un nouveau groupe en prenant en compte de nouveaux critères.

Enfin il ne faut pas négliger le fait que la délimitation statistique d’une catégorie sociale (cf. infra note 1) est susceptible de produire des effets : ainsi en a-t-il été, pour ce qui nous occupe ici de l’apparition de la catégorie " troisième âge " suivie de près par l’émergence de celle de " quatrième âge " qu’il s’agissait de distinguer des " seniors " valides, souvent relativement aisés et donc… consommateurs.

Très logiquement la vieillesse et le vieillissement de la population sont apparus précocement (fin XIXème siècle) comme objet d'étude pour les démographes . Jacques Bertillon (1851-1922), statisticien et démographe, propagandiste "nataliste", fonde en 1896 l'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française et multiplie les alertes à la dénatalité, qui affaiblit la France de la " revanche ", face à l'Allemagne.

On peut remarquer que dès le début, les études démographiques sur le vieillissement sont marquées du sceau de l’inquiétude si ce n’est du catastrophisme. Cette marque va être reprise et entretenue par Alfred Sauvy (1898-1990), membre de l’Alliance, "chef de file" de l'école démographique française, qui participera à la fin de sa carrière en 1979 à un ouvrage collectif au titre sans équivoque : "La France ridée".

Les sociologues ne se sont intéressés que tardivement à la vieillesse.

En effet, l'âge ne fait pas partie des préoccupations initiales de la sociologie, qui se développe (début XXème) essentiellement à partir d’un questionnement sur les conséquences des révolutions industrielle et démocratique de la fin du XVIIIe siècle.

Par ailleurs, l’"homo sociologicus" a été défini avant tout par son appartenance sociale, son positionnement au sein du système économique/productif.

Enfin l'âge est apparu aux sociologues comme un phénomène trop marqué par le " biologique " et, de ce fait, trop peu "social " pour susciter leur intérêt.

Cependant, au cours des trente dernières années, la vision d'une société structurée en classes sociales s'étant faite moins prégnante, aujourd’hui les sociologues sont plus nombreux à considérer que l'appartenance sociale n'est pas la seule caractéristique individuelle qui mérite d'être prise en compte. Et, tout comme on a vu émerger une sociologie de la jeunesse, se développe une sociologie de la vieillesse.

De même pour les économistes, la vieillesse n’est devenue un objet d’étude qu’à partir du moment où les personnes âgées sortant de la population active, de la population productive, deviennent bénéficiaires de transferts (retraites) financés par prélèvement sur la richesse produite par la partie occupée de la population active et, surtout, où ce groupe devient numériquement important. On peut "dater" ce moment comme correspondant à la généralisation des systèmes de retraite en 1945 .

Les historiens, pour leur part, se sont surtout intéressés à la vieillesse, d’une façon qui peut paraître paradoxale, dans la foulée de l’étude " fondatrice " de Ph. Ariès sur L’enfant et la vie familiale dans l’ancien régime qui le rattache à l’École des annales. C'est en effet après qu'a été mis en évidence l'évolution de la figure, de la place de l'enfant dans le temps qu'on a vu apparaître un intérêt pour une approche parallèle de la vieillesse et des vieux, ainsi l’examen de la bibliographie (cf. infra) sur le sujet montre que la plupart des ouvrages disponibles en France sont publiés à partir de la fin des années 80.

Nous laisserons

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