L'Europe a besoin d'une politique africaine
Analyse sectorielle : L'Europe a besoin d'une politique africaine. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar gus2007 • 12 Février 2024 • Analyse sectorielle • 6 856 Mots (28 Pages) • 105 Vues
L’EUROPE A BESOIN D’UNE POLITIQUE AFRICAINE
Stéphanie RIVOAL
De prime abord, l’Europe et l’Afrique ont déjà une myriade de dispositifs qu’ils soient de financements, d’accords douaniers, de soutien via l’aide au développement et même de dispositifs sécuritaires qui structurent une relation intense entre les deux continents. Pourtant, cette complexité n’aide pas à la clarté des intérêts croisés, ni à la mise en œuvre effective de projets structurants pour le développement notamment économique du continent africain ni même à satisfaire les intérêts des pays européens ou de leurs homologues africains.
Que doit-on changer pour que l’Europe devienne le premier partenaire de l’Afrique, un partenaire total, un allié sérieux dont les intérêts sont clairement exprimés ?
Les enjeux au cœur de la relation entre l’Europe et l’Afrique
Depuis les indépendances il y a une soixantaine d’années, les relations bilatérales notamment entre pays africains et ex-colonisateurs ont primées sur les relations de continent à continent. L’émergence d’une institution africaine (l’Union Africaine créée en 2002) et d’une vision continentale partagée (Agenda Afrique 2063 ou Africa 2063[1]) est relativement récente, notamment avec une Afrique du Nord qui se tourne enfin vers le sud du continent et non seulement avec les pays du Moyen-Orient. Cette nouvelle orientation est propice à de fortes relations entre une Union Européenne qui mûrit à son rythme et une Union Africaine déterminée à défendre les intérêts d’un continent certes émergent mais dont la croissance et les changements économiques, culturels et démographiques sont d’une rapidité fulgurante.
L’Europe a longtemps semblée tournée vers les Etats-Unis ou la Chine avant que l ‘épidémie de COVID et la guerre en Ukraine ne la poussent à repenser son approche géopolitique et économique. L’Afrique aurait pu, lors de ses crises majeures, prendre une place géostratégique d’ampleur si l’Union Européenne avait mieux évalué les enjeux que le Continent représente pour elle.
Tout d’abord, les migrations économiques, climatiques ou sécuritaires, légales ou illégales, sont un des sujets structurants au cœur des relations Europe-Afrique. Le Sommet de La Valette de novembre 2015, tenu en urgence pour faire face à un afflux de migrants d’Afrique sub-saharienne, a donné naissance à un Fonds Fiduciaire censé résoudre à la source le problème des migrations incontrôlées qui, on l’oublie souvent, sont au détriment à la fois des pays européens à la peine pour gérer le phénomène mais aussi les pays d’origine qui perdent de facto une force vive qui aurait pu contribuer au développement de leur pays. Le sujet est complexe et ne saurait être vu que d’un point de vue légaliste ou sécuritaire. Les flux de migrants illégaux sont loin d’être d’une taille pouvant déstabiliser l’Union Européenne, qui par ailleurs souffre d’un vieillissement de sa population et d’un déficit de main d’œuvre pour les emplois les moins qualifiés. Il n’en reste pas moins vrai que les migrations illégales sont l’un des enjeux majeurs de la relation Europe-Afrique et qu’elles ne sont pas à traiter à part des relations économiques ou sécuritaires, malgré l’instrumentalisation qui en est fait par les partis européens d’extrême droite.
Mais l’enjeu premier des relations Europe-Afrique n’est pas celui-là et la Chine l’a compris depuis plusieurs décennies. L’accès aux terres arables et aux métaux stratégiques[2]. est l’enjeu majeur de XXIème siècle pour les pays européens Dans une logique ultra-libérale désormais datée et inefficace, les pays européens n’ont pas sécurisé l’accès aux terres rares comme le cobalt en RDC (70% de la production mondiale en 2018 largement exploitées par les Chinois), les terres rares du Malawi (exploitées par les Canadiens, les Britanniques ou les Australiens), ou du Burundi (exploitées par les Britanniques)[3]. A l’inverse, la Chine, premier pays contrôlant ces matériaux stratégiques (36% sur son sol, sans compter le contrôle chinois à l’étranger) a fait l’acquisition directe de terres ou obtenu les licences d’exploitation, ce qui fait d’elle un monopole de détention des matériaux essentiels au fonctionnement des pays européens (ordinateurs, téléphonie) mais aussi à la transition écologiques (batteries, panneaux solaires).
Ensuite, l’Afrique pourrait être un allié majeur de l’Union Européenne dans les arènes multilatérales qui, année après année, perdent de leur importance au point de mettre en danger l’ordre mondial de paix globale tel que nous le connaissons. Mais la négligence et l’attitude perçue comme condescendante des pays occidentaux et notamment européens envers les pays africains ont provoqué des prises de position contraires aux intérêts européens de la part de pays pourtant longtemps considérés comme de solides alliés sur le Continent. L’exemple de la guerre en Ukraine est flagrant. Les pays africains se sont abstenus en masse (une vingtaine) lors du vote sur la résolution du 3 mars 2022 et ce, sous une présidence de l’Union Africaine assurée par le président du Sénégal, pays ami s’il en est. Si l’Europe devient le partenaire principal de l’Afrique, des alliances aux bénéfices mutuels pourront servir les intérêts des deux continents.
Enfin, une approche économique géostratégique pourrait consister en l’émergence d’un continent africain partenaire industriel de l’Europe pour les produits les plus appropriés notamment ceux où le coût de la main d’œuvre pèse le plus sur le prix final. De la même manière que, dans les années 90, les entreprises européennes ont largement délocalisé leurs usines en Chine, en Asie du Sud-Est ou en Europe de l’Est pour des raisons de coût de la main d’œuvre, une stratégie organisée non pas de délocalisation mais de soutiens de filières choisies sur le continent africain aurait des bénéfices mutuels aux ramifications multiples. Un développement économique soutenu par des politiques coordonnées pourrait être le fer de lance des relations inter-continents. Cela implique un changement non pas d’engagement financier ou de contrôle mais de méthode et de mentalité.
Un nouveau contexte mais dont les pays européens n’ont pas pris toute la mesure
Poser les intérêts majeurs de l’Europe envers l’Afrique, qui ne sont finalement pas que sécuritaires ou démocratiques, ne suffit pas. Encore faut-il avoir bien saisi le contexte actuel dans lequel l’Europe aura à les défendre. L’Afrique traverse une série de changements majeurs que l’Europe ne semble pas avoir pleinement saisis ou auxquels elle n’a pas encore accordé toute leur importance.
LE NUMERIQUE AU CŒUR DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DU CONTINENT
Si le continent africain reste le moins connecté du monde (40% de personnes connectées selon le rapport de l’Union Internationale des Télécommunications de 2022 contre environ 90% en Europe), la jeunesse africaine, elle, est nettement plus connectée que celles des autres continents. Elle représente les deux tiers des personnes ayant accès au numérique contre moins d’un quart dans les pays plus développés. La jeunesse africaine est donc particulièrement numérique et notamment via le téléphone portable, nettement moins qu’avec des ordinateurs. L’un des usages les plus marquants du numérique sur le Continent est le « mobile money ». En Afrique subsaharienne par exemple, 33 % des adultes possèdent un compte d'argent mobile, contre 10 % en moyenne dans le monde, selon la Banque Mondiale. C’est sur le continent africain que l’on trouvera la plus large part des adultes qui n’ont pas de compte bancaire mais qui, pour autant, effectuent des transactions financières via leur smartphone. Cet usage important de la téléphonie mobile se reflète aussi dans le développement de l’entreprenariat et du secteur informel, notamment via les réseaux sociaux sans lesquels les petits entrepreneurs n’auraient pas accès à une partie de leurs consommateurs, notamment en milieu urbain. Les campagnes ne sont pas en reste avec désormais un accès aux prix en vigueur sur le marché afin de s’y rendre au moment le plus profitable pour le paysan vivant de sa production agricole. L’image d’une Afrique en décalage avec le progrès technologique est persistante en Europe alors que la croissance de l’usage de la téléphonie mobile est fulgurante sur le Continent et que certains pays ont des taux de pénétration supérieurs à l’Europe comme la Côte d’Ivoire où il est de plus de 100%. En revanche, on ne peut ignorer le retard du Continent en matière de connexion haut débit avec un manque flagrant d’infrastructures, domaine dans lequel l’Europe pourrait utilement soutenir les pays africains les plus touchés avec un impact déterminant sur l’économie des pays.
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