Mémoire et poétique de la guerre. Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné [SA 2024]
Compte rendu : Mémoire et poétique de la guerre. Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné [SA 2024]. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ilo.4 • 16 Novembre 2024 • Compte rendu • 1 013 Mots (5 Pages) • 41 Vues
LT10 – Note de lecture Iloa Gigandet
Mémoire et poétique de la guerre. Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné [SA 2024]
Livre 1 – Misères (v. 1-562) : "La France des guerres de Religion, une terre de désolation"
Cet extrait des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné est situé à la suite de la préface de l’auteur dans le premier tome intitulé « Misères ». Dans cette partie, l’auteur dépeint à son lecteur le tableau d’une France meurtrie par les guerres de religion.
Dès le début de ce long poème, l’auteur évoque à travers ses vers la détermination de son engagement. Pour lui, son œuvre est un véritable combat. Des termes associés à l’idée de force, montrant sa volonté et son courage, sont utilisés dès les premières lignes (« s’attaquer aux légions » (v.1), Mon courage de feu » (v.5), « Je brise les rochers » (v.7)). L’auteur va même plus loin en se comparant à Hannibal, un général réputé pour ses exploits militaires contre Rome. Dans cette analogie, Rome représente la France : « tremblante », « affreuse », « échevelée » (v.9) après les combats. Un champ lexical de la détresse (« en pleurs », « mi-morte » (v.10)) vient souligner le désastre qui y règne et donc la nécessité d’agir. Cela apporte une dimension épique au récit mais annonce aussi une lecture difficile. Par le biais de cette œuvre, l’auteur vient au secours de cette terre de désolation en dénonçant les injustices.
On comprend l’ampleur de la terreur qui règne en France par le biais de symboles souvent empruntés à la mythologie comme Mars (v.67), dieu de la guerre, ou encore Melpomène (v.79), muse de la Tragédie. Il utilise également l’image de la biche qui perd son faon (v.84). Dans l’esprit commun, la biche est un symbole de douceur et d’innocence, mais ici, l’animal est affolé : « Quand épuisant ses flancs de redoublés sanglots » (v.87). L’image positive que revêtait la France aux yeux de l’auteur a été bouleversée par les guerres de religion, elle est devenue synonyme de chaos.
Par la suite, l’auteur reconnaît cette analogie entre la mère et son pays : « Je veux peindre la France une mère affligée » (v.97). Il explicitera son propos par le biais de figures bibliques : Esaü et Jacob. Les deux frères représentent les deux parties de la guerre des religions : les catholiques et les protestants. Esaü est dépeint négativement (« malheureux », « voleur acharné » (v.103)) car il est celui qui « brise le partage » (v.101) en voulant prendre une plus grande part de ce « doux lait qui doit nourrir les deux » (v.104). Figure insatiable, il est la représentation des catholiques qui cherche à imposer leur religion. Son frère Jacob, qui est ici associé aux protestants, se défend de cette injustice et l’auteur lui rend un portrait bien plus glorieux en qualifiant sa riposte de « juste colère » (v.109). En effet, l’auteur ne cache pas ses idéologies et prend une position très claire et déclare les catholiques coupables du début de cette tragédie. Le conflit fraternel aboutit à l’agonie de la mère qui se voit alors réduite au champ de bataille de la querelle (v.110). A la vue d’un tel spectacle, cette dernière « succombe à la douleur » (v.118) et tente dans un dernier espoir de sauver « celui qui a le droit » (v.123), Jacob. Mais Esaü l’en empêche et est alors responsable de la perte du lait qui n’est à présent plus que du sang (« Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture. » (v.130)). Ainsi, l’avidité d’Esaü mène à la division des deux frères (des peuples, dans le cas des guerres de religions) et inévitablement au chaos qui détruit la source pure qui les nourrissaient (la France). L’harmonie est brisée et les « deux funestes moitiés » se détruisent mutuellement à travers les combats et la famine. Cette métaphore de la France vue comme une mère qui meurt par la faute de son enfant pourrait éventuellement être mise en lien avec la mère de l’auteur, elle-même décédée en le mettant au monde.
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