Italo Calvino, La machine littérature
Dissertation : Italo Calvino, La machine littérature. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Kilagale 2 • 15 Février 2024 • Dissertation • 4 720 Mots (19 Pages) • 152 Vues
Théophile Gautier a beau nous rappeler dans la préface de Mademoiselle de Maupin
qu'un auteur n'est pas un ivrogne parce qu'il décrit une orgie, ni un débauché parce qu'il raconte
une partie de débauche, on a tendance à identifier l'auteur à ses personnages, à confondre le
créateur avec ses créatures.
Pourtant, Italo Calvino dans La Machine littérature rappelle avec vigueur que « Ce n'est
jamais qu'une projection de soi que l'auteur met en jeu dans l'écriture, et ce peut être la
projection d'une vraie part de soi-même comme la projection d'un moi fictif, d'un masque >>
La présence de la personne-auteur dans l'œuvre est doublement limitée, d'abord par la tournure
restrictive (« Ce n'est jamais que... ») et ensuite par le choix du terme « projection » : c'est donc
une image du moi qui se reflète sur un écran - au sens cinématographique, à moins que ce
ne soit le résultat d'une construction fantasmatique au sens psychanalytique. Cette nécessaire
médiation neutralise même si l'on en croit Calvino la traditionnelle opposition entre le moi fictif
et la « vraie part de soi-même », ce qui revient à mettre sur le même plan l'autobiographie et la
fiction. C'est que « l'auteur est auteur dans la mesure où il entre dans un rôle, comme un acteur,
et s'identifie avec cette projection de soi dans le moment où il écrit»: « rôle », « acteur »>,
<< masque »>, la métaphore théâtrale joue implicitement de l'ambiguïté sémantique de la persona
pour montrer la transformation de l'auteur dans le cadre de l'écriture. Réduction de l'auteur à
une partie de lui-même dans l'écriture de soi ou dispersion au contraire dans l'illimité de
l'imaginaire ne seraient qu'une affaire de plus ou de moins; dans l'œuvre n'a de réalité tangible
que l'écriture. En effet, par un effet de boucle, I. Calvino revient à l'écriture dont il est parti et
insiste à nouveau sur « le moment où [l'auteur] écrit » : c'est là que s'opère une transformation
qui nous interdit précisément d'accéder au sujet empirique. Faut-il alors désespérer du désir
d'auteur, de « l'illusion biographique » qu'évoque Philippe Lejeune dans Moi aussi, et doit-on se
contenter des différents masques mis en jeu dans l'écriture ?
* Dans un premier temps nous allons montrer que l’auteur n’est qu’un personnage, d’abord avec le “je” fantomatique, puis être auteur = se donner un nom de scène, puis la personne auteur a disparue pour renaître dans l’écriture. L’écrivain ne peut il pas refuser de se mettre en scène et choisir d’apparaître et de laisser voir son moi ( quête transparence). Mais sincérité est encore un masque transparence que partielle. Auteur = forme idéale d’un moi éloigné de son moi réel…
<< Plus on avance en distinguant les diverses couches qui forment le « je » de l'auteur, et
plus on s'aperçoit que nombre de ces strates n'appartiennent pas à l'individu auteur mais à la
culture collective, à l'époque historique ou aux sédimentations profondes de l'espèce. Le premier
maillon de la chaîne, le vrai premier sujet de l'écriture nous paraît toujours plus lointain, plus
indistinct; peut-être est-ce un «je» fantomatique, un lieu vide, une absence » I. Calvino,
La Machine littérature.
Sans doute savons-nous désormais que la personne-auteur nous est définitivement inaccessible.
Sans s'étendre trop longuement sur sa fameuse méthode, on peut rappeler que Sainte-Beuve
n'était pas entièrement dupe de son propre système comme il l'explique à propos des Pensées de
Pascal : « On se flatte d'atteindre plus au coeur de l'homme en fouillant ses moindres papiers.
Hélas ! Quoi qu'on fasse, il y a quelque chose qui ne se transmet pas. Ce qui reste de la pensée et
de la vie intérieure des hommes par rapport au courant continuel de leur esprit n'est jamais que
le fragment des fragments » Sainte-Beuve, Pensées de Pascal, in Revue des deux mondes (1844).
Dans une métaphore hardie qui identifie les deux corps du roi au corps de l'auteur, Pierre Michon
(Le roi vient quand il veut. Propos sur la littérature, 2007) sépare définitivement les deux instances en contemplant un portrait photographique de Beckett « le verbe vivant et le saccus
merdæ », la « littérature en personne » et la pauvre défroque qui l'abrite provisoirement.
On ne peut mieux dire, au point que Musset, qui porte pourtant haut les couleurs du lyrisme,
prévient d'emblée le lecteur de La Confession d'un enfant du siècle : « Pour écrire sa vie, il faut
premièrement avoir vécu ; aussi n'est-ce pas la mienne que j'écris » : Octave est déjà le héros des
Caprices de Mariane de Marivaux, autrement dit, c'est un nom de scène.
L'auteur est donc une identité construite : « La condition préliminaire de toute œuvre
littéraire est la suivante : la personne qui écrit doit inventer ce premier personnage qui est
l'auteur
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