Promouvoir la tolérance, est-ce renoncer à la vérité ?

Promouvoir la tolérance, est-ce renoncer à la vérité ?

Plan détaillé

Selon Voltaire, la tolérance est "l'apanage de l'humanité" en ce sens où, chaque Homme étant empli d'erreurs et de préjugés, c'est à dire de vérités fausses ou non-examinées ni vérifiées au préalable, il est une idée communément admise que tolérer les opinions divergentes est une nécessité au bon fonctionnement de la vie en société. Tolérer, au sens de supporter, est une valeur commune; supporter d'autres opinions que la sienne est un prérequis pour, ironiquement, être soi-même toléré des autres. Mais plus que supporter, c'est souvent aussi défini comme le fait d'admettre qu'il puisse exister d'autres manières de penser ou d'agir que celle qu'on adopte, et donc qu'il existe d'autres vérités que la sienne. Ainsi, si on est tolérants, on doit donc accepter toutes les vérités. Mais alors, si parmi ces vérités certaines sont contradictoires, où est la vérité ? Ne peut-on pas dire qu'en admettant l'existence de points de vues divergents définissant la vérité comme la conformité au sentiment de la réalité, on s'en éloigne ? Cependant, s'il existe des vérités qui s'opposent, il semble logique d'affirmer qu'au moins une d'entre elles est fausse, auquel cas on serait amené à douter des vérités que la tolérance nous fait, à son sens premier, supporter. En ce cas, si tolérer se traduit par supporter sans toutefois admettre ou accepter, alors tolérer constituerait un pas de plus vers la vérité. En tolérant, c'est à dire en supportant et en permettant à d'autres d'exposer une opinion quelconque, et en apprenant les diverses opinions ou croyances, on deviendrait alors plus à même, plus capable de se former des opinions et un jugement propre de la réalité. En ce sens, on peut donc affirmer que ce n'est que dans la tolérance des idées des autres qu'on peut progresser vers la vérité. L'enjeu devient alors de déterminer dans quelle mesure promouvoir la tolérance peut se traduire par un renoncement à la vérité. Il s'agit ici de déterminer l'impact de la tolérance dans la quête de la vérité, et d'établir la coexistence de deux idées paradoxales : tolérer éloigne du discours objectif correspondant à la réalité qu'est la vérité, ou au contraire, éloigne de la fausseté au sens d'erreur et de mensonge.

I/ La tolérance éloigne de la vérité
1) Une valeur humaine reconnue
- "C'est l'apanage de l'humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d'erreurs ; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c'est la première loi de la nature" (Voltaire)
- "La règle d'or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais de la même façon, nous ne verrons qu'une partie de la vérité et sous des angles différents" (Ghandi)
- La tolérance est ce qui permet d'éviter les conflits violents. C'est le remède aux fléaux que sont la guerre et les violences au sens large. De fait, supporter et accepter l'existence d'autres croyances que celles que l'on a implique d'ensuite laisser vivre et exister ces autres opinions.
2) La tolérance contraint au silence
- La tolérance étant une valeur commune à tous, l'intolérance est rejetée et mal vue. Ainsi, s'opposer de manière directe à une opinion en laquelle on ne croit pas, c'est s'exposer à des représailles plus ou moins violentes de la part de ceux qui partage l'opinion rejetée, et de ceux qui se disent la tolérer.
- "La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion afin de ne pas offenser les imbéciles" (Dostoïevski)
- "le petit nombre de ceux qui sont doués de sens critique sont forcés de se taire ; et ceux qui ont droit à la parole sont ceux qui totalement incapables de se former des opinions propres et un jugement propre, ne sont que l'écho des opinions d'autrui : ils n'en sont que plus ardents et plus intolérants à les défendre" (Schopenhauer)

II/ La tolérance mène à repenser le monde et les choses
1) La tolérance va de pair avec la capacité de réflexion
- Contrepied de la citation de Schopenhauer : si être incapable de se faire ses propres opinions rend plus intolérant encore, alors penser par soi-même rend tolérant ; réfléchir, c'est être tolérant
2) La tolérance permet l'ouverture d'esprit
- Tolérer, c'est accepter d'entendre d'autres croyances que la sienne, et de leur donner de la valeur, puisqu'elles sont la base de toutes réflexions et doutes menant à la vérité
- Le doute méthodique/cartésien

III/ Chercher la vérité tout en restant dans un cadre de tolérance accepté
1) Tolérer tout, découvrir tout, accepter tout
- Finalement, pour trouver la vérité, il est nécessaire de connaitre toutes les vérités, pour ensuite éliminer tout ce qui est faux, à la manière de Descartes. Il faut tout voir, tout entendre et parcourir le monde car on pourra "rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, [...] que dans ceux que fait l'homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet" (Descartes)
- "J'employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m'éprouver moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient, que je pusse tirer quelque profit." (Descartes)
2) Repenser tout, analyser tout, ne révéler rien
- Cependant, toutes ces réflexions faites en voyageant parmi les coutumes et opinions ne sont pas bonnes à partager, au risque de finir d'une manière similaire à Socrate, condamné à mort pour avoir chercher à "accoucher les âmes", c'est à dire à mettre ses interlocuteurs devant leurs contradictions pour les pousser à réfléchir au-delà de ce qu'ils tiennent pour acquis. Pour échapper à la misologie des Hommes, il faut donc garder le silence sur ses réflexions. L'avancée de celles-ci doit ce faire à l'Insu de tous, car la quête de vérité ne pourra aboutir que dans le secret le plus total. La tolérance et l'intolérance des autres impose le silence à ceux qui pensent, mais ce silence n'empêche en rien la réflexion d'avoir lieu. Il s'agit donc d'un silence nécessaire pour pouvoir accéder à la vérité dans le contexte actuel de notre société, qui en ve sens n'a pas beaucoup évoluée depuis l'âge d'or Athénien. La quête de vérité doit donc se faire par un individu pour lui-même ; elle ne doit pas être partagée si elle souhaite pouvoir aboutir. Le silence au sens de ne pas parler est donc la seule contrainte que pose la tolérance mal employée des Hommes à l'accès à la vérité. Si cette contrainte est contournée, alors tolérer n'est pas un renoncement à la vérité, mais plutôt un outil pour la trouver.

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