Le régime présidentiel américain est-il un régime de séparation stricte des pouvoirs ?
Dissertation : Le régime présidentiel américain est-il un régime de séparation stricte des pouvoirs ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar anaiscomillas • 2 Novembre 2019 • Dissertation • 5 047 Mots (21 Pages) • 765 Vues
« Un mariage sans divorce dont les époux font chambre à part » ; ainsi qualifiait le régime présidentiel américain Maurice DUVERGER, juriste français, auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel et de science politique. La métaphore est assez parlante. De la même manière que deux époux mariés, sans possibilité de divorcer, doivent cohabiter, les deux fonctions principales, l’exécutif et le législatif, ne peuvent être totalement cloisonnées. Les deux époux font chambre à part afin de prendre leurs distances et de ne pas trop se fréquenter, le législatif et l’exécutif sont totalement indépendants et ne peuvent agir réciproquement l’un sur l’autre, bien qu’ils soient contraints de collaborer. Les deux époux continuent à vivre ensemble pour le bien de leurs enfants, l’exécutif et le législatif collaborent pour ne pas tomber dans l’immobilité politique et éviter les coups d’Etat ou guerres civiles.
La séparation des pouvoirs est un principe visant à séparer les différentes fonctions de l’Etat afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines puisque, comme l’affirmait MONTESQUIEU « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Le pouvoir, en droit, et d’après le dictionnaire juridique en ligne de S. BRAUDO, est la « capacité dévolue à une autorité ou à une personne d’utiliser les moyens propres à exercer la compétence qui lui est attribuée par la loi ». Toutefois, il faut souligner la polysémie du terme pouvoir, polysémie non-négligeable dans la mesure où elle peut mener à deux interprétations distinctes du principe de séparation des pouvoirs. D’une part, le pouvoir désigne une fonction, par exemple légiférer ou faire exécuter des lois. D’autre part, le pouvoir renvoie à un organe réalisant ladite fonction, par exemple l’Assemblée Nationale ou le Président de la République. Enfin, la séparation stricte des pouvoirs est justement l’interprétation du principe de séparation des pouvoirs, selon laquelle chaque organe serait cantonné à une fonction déterminée, sans aucune possibilité d’agir sur un autre ou de se révoquer mutuellement. Le régime présidentiel applique la séparation stricte, ou rigide, des pouvoirs.
Le régime présidentiel américain a été créé dans un contexte particulier. La première constitution, d’ailleurs celle toujours en vigueur, est rédigée à la suite de la guerre d’indépendance menée contre la Grande-Bretagne de 1775 à 1783. En 1777, en pleine guerre, une première loi est élaborée sous le nom des Articles de la Confédération dans le but de réunir les 13 Etats en une confédération. A l’époque, c’est donc une ligue d’amitié entre états fédérés qui est créée, sans véritable autorité fédérale. Le Congrès a peu de pouvoirs, des mutineries apparaissent dans les différents Etats, des rivalités naissent… En conclusion, ces articles sont un échec et poussent à la rédaction d’une vraie Constitution en 1787. Ainsi, les Pères Fondateurs se réunissent lors de la Convention de Philadelphie et s’accordent sur des compromis, ce qui permet l’approbation par 39 des 42 constituants de la Constitution des Etats-Unis le 13 septembre 1787. Cette Constitution s’inscrit donc, par opposition aux Articles de la Confédération, dans une volonté d’un exécutif fort capable de maintenir l’ordre dans l’ensemble du territoire nouvellement indépendant. La Constitution des Etats-Unis signe la naissance du premier régime présidentiel, le seul qui existe aujourd’hui. Dès lors, on caractérise le régime présidentiel par une séparation stricte des pouvoirs. Cette assimilation est particulièrement forte en France où la typologie de la séparation des pouvoirs est indissociable de la typologie des régimes politiques. Ainsi, Julien BOUDON, dans La séparation des pouvoirs aux Etats-Unis cherche à nous expliquer l’origine de cette qualification de séparation stricte pour le régime présidentiel américain. Selon lui, cela trouve son explication dans l’Histoire constitutionnelle française. A la fin du XIXème siècle alors que se met en place la République on cherche, par pure démagogie, à prouver son caractère libéral à tout prix. Or, on savait, depuis les théories de LOCKE et de MONTESQUIEU que la meilleure mesure, pour éviter l’arbitraire et la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, était la séparation des pouvoirs. Cependant, à travers cet angle de vue, le régime parlementaire français de l’époque est critiqué et décrit comme reposant sur la fusion du Parlement et du Cabinet. C’était du moins l’opinion de BAGEHOT en 1867 pour qui le risque de cette fusion était de glisser vers la confusion des pouvoirs et donc de tendre dangereusement vers l’absolutisme. Ainsi, c’est pour se prémunir de ces reproches et préserver le caractère libéral des régimes parlementaires qu’EISMEN est le premier à utiliser le terme de « souple » pour la séparation des pouvoirs appliquée dans les régimes parlementaires, par opposition au modèle américain dont on présente la séparation des pouvoirs comme « rigide ». Rigide, parce que les différents pouvoirs n’ont pas de moyen d’action direct l’un sur l’autre et surtout ne peuvent se révoquer mutuellement, contrairement aux régimes parlementaires. Enfin, il y a eu des tentatives de régime présidentiel en dehors des Etats-Unis. Ce fut le cas en Amérique Latine par exemple, où au lendemain des nouvelles indépendances, on assiste à une transposition du modèle américain dans la région. Les tentatives du régime présidentiel en Amérique Latine se caractérisaient tout spécialement par une forte prééminence du Président, plus forte qu’aux Etats-Unis où, nous le verrons, l’accent est mis sur l’équilibre des pouvoirs par un système de checks and balances. Cet essai de transposition du régime présidentiel étatsunien en Amérique Latine s’avérera être un échec dans la mesure où il dériva très souvent en une manière de dissimuler une dictature personnelle, par le biais de la mise en place d’institutions démocratiques de façade et de constitutions instables, à courte durée.
Il est intéressant d’étudier le régime présidentiel et la séparation stricte des pouvoirs pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est d’actualité. En effet, nous entendons souvent dire, en France, que l’on tend vers un régime présidentiel, que le Président possède trop de pouvoirs. La France, qui était à l’origine un régime parlementaire, est devenue avec la Constitution de 1958 et la volonté de Charles DE GAULLE de renforcer la figure du Président, un régime que l’on qualifie aujourd’hui de semi-présidentiel. En 1962, avec la mise en place de l’élection du président au suffrage universel direct, sa légitimité grandit et le Président devient de plus en plus important. Par la suite, la durée du mandat présidentiel est même modifiée afin d’éviter les périodes de cohabitation. Déjà, en 1964, François MITTERRAND dans son essai Le Coup d’état permanent, dénonçait la pratique du pouvoir personnel par le général DE GAULLE et la prédominance du Président dans la Ve République. De surcroît, bien que l’exécutif ait deux têtes en France : le chef d’Etat, soit le Président de la République, et le chef du gouvernement, soit le Premier Ministre, c’est le Président nouvellement élu qui désigne lui-même le Premier Ministre. Le recours à l’article 49.3 de la Constitution est également controversé : par ce biais, l’exécutif a la possibilité d’engager la responsabilité du gouvernement pour faire passer une loi sans vote de l’Assemblée Nationale. Enfin, un autre élément de discussion est la possibilité pour le Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale grâce à l’article 12 de la Constitution. Ainsi, il parait essentiel pour comprendre ce débat et trancher si la France est plus un régime parlementaire ou un régime présidentiel, de saisir les caractéristiques d’un régime présidentiel en se calquant sur le meilleur et seul exemple efficient qui soit : le régime des Etats-Unis. Un autre élément d’intérêt à l’étude du régime présidentiel et de la séparation stricte des pouvoirs est de comprendre comment le régime étatsunien a si bien fonctionné, étant souvent cité en exemple, alors que pour bon nombre de juristes, la séparation stricte des pouvoirs est vouée à l’échec. D’ailleurs l’Histoire nous prouve que la séparation rigide est risquée : en témoignent les Constitutions françaises de 1791, de l’an III et de 1848 qui se terminent respectivement par l’exécution de Louis XVI, le coup d’état de Napoléon 1er et le coup d’Etat de Napoléon III. De plus, pour Michel TROPER par exemple une séparation stricte des pouvoirs revêt des dangers, pour lui « on risque l’immobilité totale, c’est-à-dire l’anarchie […]. La séparation des pouvoirs conduirait donc aux coups d’Etat, à la guerre civile » dans L’Etat moderne. Ainsi, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander, comment le régime présidentiel américain, fondé sur la Constitution de 1787, a-t-il pu perdurer aussi longtemps ? Comment a-t-il pu aussi bien fonctionner ? Quelles sont ses caractéristiques principales ?
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