Dissertation Roman
Dissertation : Dissertation Roman. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Arthur Devallet • 27 Avril 2020 • Dissertation • 2 797 Mots (12 Pages) • 994 Vues
Émile Zola, L’Assommoir, 1877
Sujet
Pensez-vous que le roman ait intérêt à refléter la réalité telle qu’elle est, au point de ne rien dissimuler, même les vérités les plus choquantes ? Vous prendrez appui sur une des pièces étudiées en classe et sur les lectures complémentaires.
▶▶Objectifs
■■ S’entraîner à traiter un sujet de dissertation portant sur une œuvre pour se préparer à l’écrit du baccalauréat.
■■ Savoir défendre un point de vue en développant des arguments et à l’aide d’exemples précis.
■■ Revoir les objectifs et les limites du réalisme.
Introduction
Dans la deuxième partie du XIXe siècle, le roman se donne pour ambition de refléter la réalité. Honoré de Balzac a initié la tradition romanesque de l’étude sociale, annonçant en 1842 dans son avant-propos à la Comédie humaine une fresque romanesque qui écrirait « l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs » (p. 83). Chef de file du naturalisme, Émile Zola confirme la nécessité pour le romancier de rendre compte de la réalité historique et sociale de son temps, ajoutant une dimension scientifique à cette ambition. Dans la préface à La Fortune des Rougon, premier roman du cycle des Rougon-Macquart, paru en 1871, il explique son projet : proposer une analyse sociologique du Second Empire (1851-1870) et surtout, étudier dans une famille les conséquences physiologiques d’une « première lésion organique ».
Ces objectifs impliquent de refléter fidèlement la réalité, sans chercher à l’embellir. Composé selon ces préceptes, L’Assommoir, paru d’abord en roman feuilleton en 1876, obtint un large succès populaire, mais déchaîna la critique, au point que l’on parla d’une véritable « bataille de L’Assommoir ». Les pouvoirs publics dénoncèrent « l’obscénité grossière et continuelle des détails » et « l’immoralité des situations et des caractères » : ils refusèrent d’autoriser la vente du volume dans les gares. Cette affaire nous incite à nous interroger : le roman a-t-il intérêt à refléter la réalité telle qu’elle est, au point de ne rien dissimuler, même les vérités les plus choquantes ? Nous étudierons d’abord les bénéfices que l’on peut tirer de la lecture d’un roman qui n’embellit pas la réalité. Dans un deuxième temps, nous verrons quels inconvénients peut engendrer ce reflet fidèle, et nous nous interrogerons sur les limites du réalisme dans la fiction. Enfin, nous montrerons que le roman permet d’éclairer sur la réalité, même s’il ne la reflète pas fidèlement.
1. Le roman a intérêt à refléter la réalité, quelle qu’elle soit
a) Un roman réaliste constitue un témoignage précieux pour les lecteurs
En devenant « peintre […] des types humains », « archéologue du mobilier social », « nomenclateur des professions » (p. 83), Balzac a créé une œuvre qui constitue un précieux témoignage de la société du milieu du xixe siècle. De même, dans sa fresque des Rougon-Macquart, Zola dépeint la société du Second Empire. L’histoire de Gervaise se confond avec celle du centre de Paris entre 1850 et 1870 : les lecteurs y suivent les bouleversements liés aux travaux entrepris par le baron Haussmann sous la direction de Napoléon III : destruction d’îlots insalubres, percement des boulevards, élévation de grands immeubles…
De 1861 à 1870, les ouvriers organisèrent de nombreuses grèves et manifestations qui firent découvrir le prolétariat aux hommes politiques, aux journalistes. Les écrivains contribuèrent à transmettre cette vérité à l’ensemble de la population. Dans une lettre publiée dans La Vie littéraire le 22 février 1877, Émile Zola répondait aux nombreuses critiques hostiles à son roman : « J’affirme que j’ai fait une oeuvre utile en analysant un certain coin du peuple dans L’Assommoir. J’ai fait ce qu’il y avait à faire : j’ai montré des plaies, j’ai éclairé violemment des souffrances et des vices que l’on peut guérir… Je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver le remède. » Selon Émile Zola, le rôle de l’écrivain est de mettre au jour la réalité, aussi crue soit-elle, de façon à mobiliser l’opinion, à favoriser une prise de conscience et une réflexion.
Zola avait pour habitude de se documenter avant de rédiger chacun de ses romans ; ainsi, pour L’Assommoir, fin 1875, Émile Zola enquêta sur le quartier de la Goutte-d’Or, en répertoria les hôtels, les restaurants, les établissements de plaisir. Il fit des plans précis des rues, des immeubles. Il étudia également les métiers populaires, notamment celui de couvreur et celui de blanchisseuse, métiers respectifs de ses personnages principaux Coupeau et Gervaise. En outre, il observa les ravages de l’alcoolisme sur des malades traités à l’hôpital Saint-Anne. Sur ces points, L’Assommoir constitue un témoignage précieux de son époque. Enfin, il sut faire entendre le langage du peuple dans ses paroles rapportées au discours direct ou indirect libre, mais même dans la narration, allant jusqu’à l’utiliser mimétiquement. L’auteur a en effet adopté le langage argotique de ces quartiers populaires, notamment en puisant dans le Dictionnaire de la langue verte d’A. Delvau (1866). Ainsi les lecteurs entendent-ils la voix collective du petit peuple parisien. C’est une manière pour l’écrivain de donner à son roman « l’odeur du peuple » (préface de L’Assommoir, 1877). Par exemple dans l’extrait page 50, alors que Gervaise en est réduite à faire le trottoir, le langage devient une sorte de mimesis de son délabrement moral. Ainsi, le roman a intérêt à refléter la réalité telle qu’elle est, pour révéler la vérité au grand jour, si choquante soit-elle. Non seulement le roman informe les lecteurs sur la misère humaine et mobilise les contemporains, mais il laisse aussi aux générations futures un témoignage précieux sur l’époque, d’un point de vue humain, social, historique, politique et scientifique.
b) Une intrigue réaliste suscite l’intérêt des lecteurs
Le cadre réaliste et la vraisemblance des situations favorisent l’identification des lecteurs aux personnages ; ce qu’Aristote énonçait dans sa Poétique est valable pour le roman aussi bien que pour le théâtre. La mimesis permet aux lecteurs de ressentir crainte et pitié pour les personnages ; en effet, pas de crainte sans identification, car il s’agit d’une émotion égocentrique : ce qui arrive aux personnages touche d’autant plus le lecteur, car il s’imagine que cela pourrait le concerner d’une façon similaire. Un roman réaliste induit donc une lecture riche en émotions intenses. Dans L’Assommoir, le parcours de Gervaise et Coupeau est bouleversant : désireux de ne jamais reproduire le schéma familial qu’ils ont chacun connu, ils sont pourtant inexorablement conduits par la fatalité du destin et le poids de leur hérédité à sombrer dans l’alcool. Au centre du roman, Gervaise fête son anniversaire en un repas gargantuesque qui sonne aussi le glas des jours heureux. À cette dégustation d’une oie monumentale s’oppose dans la dernière partie du roman la faim terrible qui l’accable. Plusieurs rebondissements favorisent le suspense en créant des retournements de situation : la chute de Coupeau, le retour de Lantier notamment. L’intrigue riche suscite un plaisir de lecture, éveille des émotions fortes et engage à la réflexion, d’autant que ce parcours de vie est réaliste. Il reflète des faits avérés, comme la déchéance des travailleurs, liée à un milieu qui peut la favoriser par plusieurs facteurs : emploi instable, logements insalubres, promiscuité, alcoolisme pour oublier la pénibilité du travail ou le désœuvrement…
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