Commentaire d’arrêt : CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA et Factortame (III), C-46/93 et C-48/93
Dissertation : Commentaire d’arrêt : CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA et Factortame (III), C-46/93 et C-48/93. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar clairemuc • 17 Février 2016 • Dissertation • 2 176 Mots (9 Pages) • 4 592 Vues
Commentaire d’arrêt : CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA et Factortame (III), C-46/93 et C-48/93
Après l’arrêt de la CJCE du 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, consacrant le principe de la responsabilité étatique pour violation du droit communautaire, s’est ouvert un nouveau chapitre sur l’insertion du droit communautaire dans l’ordonnancement juridique national.
Malgré cela, le principe de la responsabilité étatique des Etats membres pour violation du droit communautaire n’était pas encore achevé. Le juge de Luxembourg se devait de compléter cet arrêt, en faisant pénétrer toujours plus profondément les exigences européennes au cœur du droit interne.
C’est ce qui a été chose faite le 5 mars 1996 avec l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame rendu par la Cour de justice. Il s’agissait en l’espèce de questions préjudicielles posé à la Cour et relative aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un Etat membre pour des dommages causés aux particuliers du fait de la violation du droit communautaire. Il s’agissait de deux litiges distincts.
L’affaire Brasserie du Pêcheur trouvait son origine dans le refus de commercialisation, en Allemagne, de la bière fabriqué par cette entreprise. En effet, les autorités allemandes ont considérées que la bière fabriquée par cette société n’était pas conforme à la loi fiscale sur la bière. La Commission, considérant que ces dispositions étaient contraires à l’article 30 du Traité CEE, a engagé une procédure en manquement à l’encontre de l’Allemagne. Dès lors, la société Brasserie du Pêcheur a assigné l’Etat allemand en réparation du préjudice que cette restriction des importations lui avait fait subir. Dans ce contexte, le Bundesgerichtshof avait décidé de poser à la Cour une série de questions préjudicielles.
L’affaire Factortame est tout aussi connue. Le 16 décembre 1988, Factortame a introduit une action devant la Divisional Court afin de contester la compatibilité de la loi de 1988 sur la marine marchande avec le droit communautaire. Cette loi prévoyait l’établissement d’un nouveau registre pour les bateaux de pêche britanniques et subordonnait l’immatriculation de ces derniers à certaines conditions de nationalité, de résidence et de domicile des propriétaires. En réponse à des questions posées par la Divisional Court, la Cour de justice, dans l’arrêt Factortame II du 25 juillet 1991 a considéré que le droit communautaire s’oppose à des exigences de nationalité, de résidence et de domicile des propriétaires et exploitants de bateaux, telles que celles prévues par le système d’immatriculation institué par le Royaume Uni. Parallèlement, la Commission avait introduit un recours en manquement contre le Royaume Uni qui avait confirmé la constatation de l’incompatibilité du système d’immatriculation des bateaux de pêche avec le droit communautaire.
A le suite de ces procédures, le Président de la Cour de justice a décidé, par ordonnance du 22 mars 1993, de prononcer la jonction de cette affaire avec l’affaire Brasserie du Pêcheur compte tenu des similarités quant aux problèmes posés.
Dans son arrêt du 5 mars 1996, la Cour de justice conclut que lorsqu’il y a une violation du droit communautaire imputable à l’Etat et plus particulièrement au législateur national, dans un domaine où il dispose d’une grande marge d’appréciation, alors les particuliers lésés ont droit à réparation. Dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers.
A cet égard, le juge communautaire a du se poser la question des conditions d’engagement de la responsabilité des Etats membres, et plus particulièrement de l’Etat du fait des lois, pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire.
Ces zones d’ombres concernaient non seulement les fondements de la responsabilité des Etats membres en cas de violation du droit communautaire (I) mais aussi les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité et de réparation des dommages causés aux particuliers (II).
- La détermination des fondements de la responsabilité des Etats membres par le juge communautaire
La détermination des fondements de la responsabilité des Etats membres par le juge communautaire suppose l’établissement non seulement de la base juridique donnant droit à réparation (A) mais aussi de la responsabilité de l’Etat, et plus particulièrement de l’Etat du fait des lois, en cas de violation du droit de l’Union (B).
- L’affirmation de l’autonomie du droit à réparation par rapport à l’effet direct d’une norme communautaire
L’autonomie du droit à réparation par rapport à l’effet direct d’une norme communautaire est clairement affirmée dans l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame.
Tout d’abord, la Cour rappelle au point 21 de l’arrêt, la jurisprudence Francovich selon laquelle, un particulier peut engager une action en responsabilité contre un Etat membre qui aurait omis ou qui aurait mal transposé une norme communautaire, dépourvue d’effet direct, dans l’ordre interne, indépendamment de son caractère insuffisamment précis et inconditionnel. Il apparaît donc que les conditions d’invocabilité de réparation sont bien distinctes de celles de l’effet direct.
Mais d’autre part, il ne faut pas en déduire que l’effet direct d’une norme communautaire exclue alors le droit à réparation des justiciables en cas de violation par l’Etat du droit communautaire. C’est à cet égard que la Cour va rejeter l’argument invoqué par certains gouvernements selon lesquels seules les normes non dotées de l’effet direct devraient entraîner un droit à réparation. Le juge communautaire rappel en effet la jurisprudence « Commission contre Espagne » du 26 février 1991, selon laquelle l’effet direct « ne constitue qu’une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l’application pleine et complète du traité ». Elle précise ainsi, au point 22 de l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame, que dans l’hypothèse d’une norme d’effet direct, « le droit à réparation constitue le corollaire nécessaire de l’effet direct reconnu aux dispositions communautaires dont la violation est à l’origine du dommage causé ». C’est à dire que l’obligation de réparation découle de la primauté du droit communautaire. Cette obligation s’impose indépendamment de savoir si la norme en cause est d’effet direct ou non. Le principe de la responsabilité de l’Etat doit donc s’appliquer en ce qui concerne la violation tant des dispositions qui ne sont pas directement applicables, en ce sens que les justiciables ne peuvent pas s’en prévaloir directement devant les juridictions nationales, que de celles qui offrent au contraire une telle possibilité. C’est ce qu’a justement souligné l’avocat général G.Tesauro, dans ses conclusions sur l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame, « le principe de la responsabilité de l’Etat sur le plan patrimonial doit trouver application en tant que solution aussi bien alternative qu’additionnelle par rapport à la protection sur le plan substantiel ».
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