Le rapport de Brodeck, Philippe Claudel, Essai sur l'Humanité et l'inhumanité dans l'oeuvre
Dissertation : Le rapport de Brodeck, Philippe Claudel, Essai sur l'Humanité et l'inhumanité dans l'oeuvre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar bzh-cheat • 26 Avril 2020 • Dissertation • 2 148 Mots (9 Pages) • 1 362 Vues
Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck, 2007
Essai : Humanité et Inhumanité
« Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir », écrivait en 1762 Jean-Jacques Rousseau dans Émile ou de l'éducation. Le mot ''humain'' peut être utilisé pour décrire tout ce qui constitue ou caractérise l'espèce humaine, ou bien il peut aussi bien être compris dans un sens éthique, désignant alors les qualités que sont le respect, la dignité, la bienveillance, la sociabilité. C'est ainsi que le roman Le rapport de Brodeck, pour lequel Philippe Claudel a reçu en 2007 le prix Goncourt des lycéens, peut parfois nous proposer cette idée paradoxale selon laquelle certains hommes ne possédant pas les qualités citées ci-dessus ne seraient tout simplement pas humains. Ce livre raconte de façon un peu décousue, mais pourtant incroyablement bien ficelée, l'histoire d'un homme, Brodeck, ayant subi les horreurs de la guerre, et revenant d'un camp de concentration dans son petit village de montagne. Il retrouve ses voisins, sa famille et sa vie paisible et essaye d'oublier son affreux passé. Mais l'arrivée de « l'Anderer », un homme dont on ne connaîtra pas même le nom, et notamment son meurtre par les habitants du village sur lequel ils lui demandent d'écrire un rapport, l'oblige à se replonger dans ce « Krazerkwir » (« cratère » représentant les temps sombres qu'il a passé dans le camp) qu'il souhaiterai pourtant tant oublier, et à découvrir des secrets qui auraient dus rester à jamais enfouis. Les thèmes traités sont principalement la xénophobie, le retour des déportés après la Shoah, et bien entendu la lisière entre l'humanité et l'inhumanité.
C'est pourquoi, dans cet essai littéraire, nous montrerons que Philippe Claudel nous incite à nous questionner sur le sens parfois paradoxal du mot ''humanité'', et nous en propose sa définition.
Nous montrerons dans un premier paragraphe que les humains sont parfois déshumanisés par l'auteur, puis nous expliquerons que certains êtres ou entités non humaines peuvent au contraire faire preuve d'humanité.
Premièrement, le romancier met en scène une société déshumanisée.
En effet, les habitants du village sont souvent animalisés. Les villageois sont comparés par Orschwir aux porcs qui constituent sa richesse. Lorsque Brodeck lui rend visite pour commencer son rapport, il lui explique pour l'effrayer que le comportement des cochons, c'est à dire de vivre sans se soucier du passé, est celui à valoriser. On le voit à la page 51, « Ils vivent. Leur passé leur est inconnu. Ne crois-tu pas que ce sont eux qui ont raison ? ». On comprend que le village est semblable à ces porcs, que leur seul désir est de vivre et que s'il le fallait, « ils pourraient manger leur propre frères ». On retrouve ici une certaine mise en abîme de la situation de Brodeck, le ''frère'' (« Fremdër » (=étranger)) qui s'est fait ''mangé'' (dénoncé) par les habitants pour leur permettre de survivre. Ce discours d'Orschwir vise à inspirer la crainte chez Brodeck, qui se dit que les villageois pourraient se débarrasser de lui sans remords, mais ils indique aussi au lecteur un thème principal du livre, la mise en scène d'une société sans valeurs humaines. On retrouve dans l'histoire une situation quasi identique lorsque Diodème et Orschwir se retrouvent face au chef des « Fratergekeime » qui leur explique la nécessité de « purifier » le village. Le village est cette fois-ci comparé à une espèce de papillon, les « Rex flammae ». Ces lépidoptères « tolèrent assez souvent au sein du groupe des papillons d'autres espèces que la leur », mais survivent « en livrant au prédateur une proie ». Ici, le prédateur représente les Fratergekeime et la proie les Fremdër. Les habitants sont aussi parfois comparés individuellement à des animaux. C'est le cas de Göbbler dans le chapitre IV, qui est comparé à ses coqs (« il a d'ailleurs fini par ressembler un peu à ses coqs »). Brodeck est aussi à de nombreuse reprise déshumanisé. On peut déjà noté son animalisation en tant que porc ou que papillons, mais on la retrouve aussi dans le chapitre III, dans lequel il explique qu'il a du pour survivre renier tout ce qui faisait de lui un humain en se faisant « Chien Brodeck », c'est à dire son attitude, mais aussi ses sentiments, car il explique qu'attaché au poteau près des dogues, il n'éprouvait plus de peur. Il est encore animalisé quand son ''ami'' Ulli Rätte lui fit remarquer que les habitants de leurs villages les ont envoyé ici par « intérêt », car « ils veulent qu'ils reviennent pleins de savoir, comme des bêtes qu'on aurait gavées ». Les habitants du villages sont donc souvent animalisés par l'auteur, mais ils ne sont pas les seuls, et on peut retrouver dans le roman une déshumanisation de la société toute entière.
En effet, Philippe Claudel transforme la foule en monstre. Cela est très clair dans le chapitre XXIV, où Brodeck nous dit que « la foule est elle-même un monstre ». Il explique que les hommes peuvent se cacher, « se noyer, se dissoudre dans une masse qui englobe et les dépasse ». Il désigne cette masse comme malheureuse et violente (« il n'y a pas de foules heureuses. Il n'y a pas de foules paisibles »). On peut aussi le lire à la page 208 : « Au début, la Capitale m'avait fracassé la tête ». Dans cette image d'une violence extrême, la « Capitale » représente la société, et donc tous les hommes qui la compose. Fédorine est aussi consciente de la capacité de la foule à commettre les pires atrocités. À la page 187, elle apprend l'arrivée de l'Anderer et elle se montre lucide quant aux risque que la situation dégénère : « Quand le troupeau a fini par se calmer, il ne faut pas lui donner des raisons de remuer de nouveau ». On note l'animalisation de la foule humaine par « le troupeau ». Les composants de cette foule si dangereuse, les persécuteurs des Fremdër, sont aussi transformés en monstre lorsque Brodeck est dans le camp. Ils amènent Brodeck et les autres aux camps par un wagon, et ce « wagon, et tous les autres wagons inventaient, de minute en minute, un pays, celui de l'inhumanité, de la négation de toute l'humanité, et dont le camp allait être le cœur. » Les gardes n'ont plus rien d'humain, et sont uniquement considérés comme des bourreaux. Brodeck se rend compte lui même de cela, il nous dit « depuis le camp, je sais qu'il y a davantage de loups que d'agneaux ».
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