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Antigone, Jean Anouilh

Fiche : Antigone, Jean Anouilh. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  22 Juin 2018  •  Fiche  •  2 094 Mots (9 Pages)  •  3 668 Vues

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Lecture analytique n°9 : Antigone face à Créon

 Antigone (1942), Jean Anouilh [1910-1987]

Introduction

  • « Le bonheur … », murmure, avec une voix douce et hésitante, Antigone : voilà prononcé, dès la première réplique d’Antigone, le mot central de cet extrait, celui sur lequel vont s’opposer avec violence la jeune adolescente et son oncle.
  • L’extrait que nous nous proposons d’étudier est un des plus célèbres passages de la pièce de Jean Anouilh, Antigone (1942), réécriture de la fameuse pièce de Sophocle. Créon tente ici de raisonner Antigone en lui parlant du bonheur qu’elle pourrait connaître si elle acceptait de renoncer à son projet d’enterrer Polynice. Cependant, la jeune femme, plus virulente que jamais, s’oppose farouchement au discours de son oncle, et propose une toute autre définition du bonheur.
  • Ainsi, nous serons amenés à nous poser la question suivante : comment l’auteur parvient-il à proposer une réflexion sur le bonheur ?  
  • Afin de mener à bien notre analyse, nous verrons tout d’abord en quoi l’auteur s’attache à mettre en place un duel verbal ; puis, nous étudierons le débat sur le bonheur que notre extrait propose. 

I. Un Duel verbal virulent :

1. Deux êtres que tout oppose

  • Les deux personnages s’opposent, tant du point de vue physique que du point de vue moral.
  • Ainsi, Créon apparaît comme un vieil homme bedonnant, ce que montre la description péjorative qu’en fait Antigone : « vos rides, votre sagesse, votre ventre » (l. 30-31) ; « ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi » (l.32-33). A l’inverse, Antigone se distingue avant tout par sa jeunesse : « la petite Antigone » (l.13-14).
  • Par ailleurs, du point de vue moral, Créon s’apparente à une figure paternelle. Fort de son expérience, il donne des conseils à la jeune fille, ainsi que des ordres : « Marie-toi vite, Antigone, sois heureuse. » (l.1) ; « Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. » (l.2-3) ; « Tu verras … » (l.3) ; « Tu l’apprendras » (l.6-7). C’est donc un personnage qui sait faire preuve d’autorité, ce qui ne semble pas être le cas, au début de l’extrait tout au moins, d’Antigone. La jeune fille apparaît en effet tout d’abord comme pleine de doutes et d’incertitudes, ce qui est soulignée par la didascalie accompagnant sa première réplique : « Antigone, murmure, le regard perdu : Le bonheur  » (l. 11). La deuxième réplique de la jeune fille amplifie ce doute, en multipliant les questions que se pose le personnage.
  • Dans ce duel, un personnage semble donc dominer l’échange, face à un autre, qui est en proie au doute. 

2. La Rébellion d’Antigone

  • Pourtant, ce qui fait tout l’intérêt de ce passage, c’est que le personnage d’Antigone n’a pas un portrait fixe : si elle apparaît tout d’abord comme peu sûre d’elle-même, elle ne tarde pas néanmoins à se rebeller contre son oncle.
  • En tant que figure d’autorité, Créon n’hésite pas à faire preuve d’une attitude dominatrice à l’égard d’Antigone : « Créon, hausse les épaules : Tu es folle, tais-toi. » (l.17) ; « Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi » (l.28). C’est au silence que Créon veut condamner Antigone, et c’est contre ce silence que la jeune fille se soulève : « Non, je ne me tairai pas ! » (l. 18). Cette volonté de s’exprimer est notamment soulignée ici par l’emploi d’une ponctuation expressive.
  • Bien qu’elle apparaisse effacée au début, elle ne tarde pas ensuite à faire preuve de détermination et de volonté, ce que souligne l’anaphore de l’expression « Je veux savoir » (l.18 & 20).
  • Face aux injonctions de son oncle, qui tente de la faire passer pour « folle », elle ne s’efface pas, refuse de se soumettre, et cherche au contraire à faire valoir son point de vue : « Si, je sais ce que je dis, … »  (l.29).

3. Une Confrontation verbale

  • C’est donc bien un duel verbal qui nous est présenté ici. Celui-ci se structure en deux temps, ce que souligne la répartition de la parole : tout d’abord, des lignes 1 à 17, Créon a le dessus ; puis, des lignes 17 à 33, les rôles s’inversent, et Antigone domine le dialogue.
  • Dans les premières lignes de notre extrait, Créon domine donc le dialogue. C’est tout d’abord lui qui a l’initiative de celui-ci par son discours qui se veut plein de sagesse. Sa première réplique est longue, développée, et témoigne d’une expérience qu’Antigone n’a pas (cf. les verbes au futur et à l’impératif relevés dans la première sous-partie).
  • Néanmoins, au cours de l’extrait, les rôles s’inversent, Antigone prenant rapidement le pouvoir dans ce dialogue. La répartition de la parole, qui était alors en faveur de Créon, est modifiée : Antigone parle plus que son oncle.
  • La jeune fille fait preuve d’une certaine insolence à l’égard du roi, ce que soulignent le portrait péjoratif qu’elle en fait (cf. l’accumulation péjorative : « vos rides, votre sagesse, votre ventre », l.30-31), et le rire qui s’empare d’elle face à Créon, et qui réduit à néant l’expérience du vieil homme : « (Elle rit). Ah ! Je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d’un coup ! C’est le même air d’impuissance et de croire qu’on peut tout. La vie t’a seulement ajouté ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi » (l. 31-33).
  • Créon, quant à lui, est incapable de répondre à Antigone. Il n’a qu’une seule et unique réaction : ordonner à sa nièce de se taire, ce que souligne l’anaphore de l’expression « Tais-toi. » (l.17 & 28). Par ailleurs, il ne cherche pas à répondre au discours que développe la jeune femme, et se contente de la déprécier, de la faire passer pour folle, avouant par là même son incapacité à reprendre le contrôle du dialogue : « Tu es folle … » (l.17) ; « Tu ne sais plus ce que tu dis … » (l.28).
  • Pourquoi cette soudaine inversion des rôles ? Quel élément permet à Antigone de prendre le dessus dans ce dialogue conflictuel, et de réduire son oncle à de piètres subterfuges ? Il semble bien ce soit un seul et unique mot, qui est au centre de l’extrait : « Le bonheur … ». Cette réplique d’Antigone est en effet le pivot de cet échange : c’est à partir de l’énonciation de ce terme que s’amorce la rébellion de la jeune fille. C’est dire toute l’importance de cette notion, sur laquelle l’auteur veut nous faire réfléchir.

II. Un Débat sur la notion de bonheur :

1. Le Bonheur selon Créon

  • Dans ce duel verbal, tout tourne donc autour du bonheur. Le premier personnage à évoquer cette notion n’est autre que Créon. Il la définit assez longuement dans sa première réplique.
  • Au cours de cette première réplique, Créon accumule ainsi les définitions métaphoriques du bonheur et de la vie : « … la vie c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison. » (l. 7-8).
  • Son discours, rythmé par « c’est », propose une vision simple et ordinaire du bonheur : Créon énumère ici des plaisirs banals et quotidiens, des joies simples qui sont censées constituer le bonheur d’un être humain.
  • Ce bonheur simple que propose Créon est tout entier résumé dans la phrase suivante : « … une petite chose dure et simple qu’on grignote, assis au soleil ». Les adjectifs de la phrase, ainsi que le verbe « grignoter » (=manger très peu, manger sans vraiment manger), témoignent de la présence, dans cette réplique, de l’isotopie de la simplicité.
  • Si ce bonheur est simple, il se veut aussi conformiste, ce que souligne l’ordre qui ouvre notre extrait : « Marie-toi vite, Antigone, … » (l.1).  
  • Enfin, cette vision de la vie et du bonheur, Créon la propose du haut de son expérience, de sa sagesse de vieil homme, ce que montre cette phrase : « La vie n’est pas ce que tu crois ».
  • C’est donc, par conséquent, une vision traditionnelle du bonheur que propose ici Créon : se marier, avoir une maison, des biens matériels, travailler et profiter des plaisirs simples de la vie quotidienne.

2. Le Bonheur selon Antigone

  • C’est précisément cette vision étriquée du bonheur que refuse Antigone : elle refuse la vie sage que lui promet son oncle.
  • A l’inverse du bonheur simple que propose Créon, Antigone propose un bonheur intense et immédiat : elle veut tout, « tout de suite ».
  • Afin de proposer sa vision du bonheur, elle passe par la figure de Hémon : le Hémon qui la rendrait heureuse est « un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle » (l.22). Les adjectifs choisis pour caractériser Hémon sont opposés à ceux qu’emploient Créon pour définir le bonheur. A l’inverse, le Hémon qui la rendrait malheureuse est un Hémon qui se conformerait au bonheur tel qu’il est défini par Créon : « si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, […], alors je n’aime plus Hémon. » (l.23-27). L’amour qu’elle veut partager avec Hémon doit être total et ne pas se satisfaire des joies simples du quotidien.
  • Antigone ne veut faire aucun compromis : Hémon doit être exactement tel qu’elle le désire, il n’y a pas d’entre-deux possible (« Oui, j’aime Hémon […] alors je n’aime plus Hémon. », l.22 & l.27).
  • C’est donc ici un bonheur adolescent que propose Antigone, un bonheur marqué par l’intensité, la radicalité et la jeunesse, un bonheur qui doit être immédiat et total : elle refuse, en somme, de devenir comme Créon, lui qui a aussi été un jeune adolescent de « quinze ans » (l.31), mais qui a renoncé à ses rêves de jeunesse pour accepter un bonheur monotone et conformiste.

3. Une Vision tragique du bonheur

  • L’opposition entre les deux personnages semblent montrer, en définitive, que c’est une vision tragique du bonheur que propose ici l’extrait : dès ce passage, l’on peut déjà voir qu’Antigone ne connaîtra jamais le bonheur.
  • Créon essaye ici de faire entendre raison à Antigone, en l’invitant à se projeter dans l’avenir. Or, la jeune femme en est incapable, ce que semble indiquer l’accumulation de questions qu’elle adresse à son oncle : « Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? » (l. 13-14). Ces interrogations, dont on peut penser qu’elles sont réelles, laissent ensuite place à des questions plus agressives, qui témoignent d’un refus de vieillir : « Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant du regard ? » (l.15-16). 
  • Au cours de ce dialogue, les personnages s’écoutent à peine et, à la fin de l’extrait, refusent de se parler, ce que soulignent les répliques suivantes : « Créon : Tu ne sais plus que ce que tu dis. Tais-toi. Antigone : Si, je sais ce que je dis, mais c’est vous qui ne m’entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d’un royaume où vous ne pouvez plus entrer … » (l.28-30). La communication devient dès lors impossible : les personnages ne sont plus capables de se comprendre.
  • Ce dialogue est donc un échec total : il n’amène à aucun consensus, ne met personne d’accord. Quoi qu’il arrive, Antigone enterra son frère, et donc mourra. Le bonheur restera, pour elle, un idéal inaccessible. 

Conclusion

  • Ce duel verbal confronte donc deux visions opposées du bonheur : Antigone défend un bonheur radical et intense (elle veut tout, tout de suite), tandis que Créon propose un bonheur simple et accessible (profiter des joies quotidienne). Ces deux visions du bonheur n’en forment peut-être qu’une, qui change en fonction de l’âge : l’adolescente veut un bonheur total et sans compromis, et le vieil homme, avec le recul de l’expérience, s’aperçoit que le bonheur est partout présent pour qui sait le saisir. C’est cette évolution que refuse Antigone : incapable de se projeter dans l’avenir, refusant tout compromis, le bonheur restera pour elle un idéal inaccessible.
  • Ecrite en 1942, et représentée en 1944, Antigone sera rapidement perçue comme un symbole de la Résistance et de ses valeurs, de cette jeunesse qui refuse de se soumettre au défaitisme, qui conteste l’ordre et le pouvoir, sans accepter aucun compromis

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