Analyse littéraire Madame Bovary, Gustave Flaubert
Commentaire de texte : Analyse littéraire Madame Bovary, Gustave Flaubert. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar ken kitano • 3 Décembre 2019 • Commentaire de texte • 1 329 Mots (6 Pages) • 1 177 Vues
Il est fréquent qu’un romancier insère des lettres au sein de son récit, pour faire progresser l’action ou dévoiler davantage un personnage. Dans Madame Bovary, Flaubert recourt à ce procédé lorsqu’Emma Bovary presse son amant Rodolphe de s’enfuir avec elle et que ce dernier, effrayé, décide de rompre par écrit. Cette lettre donne alors l’occasion au narrateur de préciser le portrait de Rodolphe. Comment cette scène de rédaction dévoile-t-elle la véritable personnalité du séducteur ? Nous verrons dans un premier temps que Rodolphe nous est donné à voir en plein travail d’écriture, puis qu’il se met en scène dans son propre texte ; enfin, que sa lettre dévoile une argumentation cynique.
Le narrateur montre Rodolphe comme un épistolier en action, plongé dans son travail d’écriture. En effet, au lieu de nous faire découvrir la missive lors de sa réception par Emma, le texte donne à voir sa rédaction. Trois voix se font entendre dans cet extrait : d’une part, les passages de la lettre rapportés entre guillemets ; d’autre part le monologue intérieur de Rodolphe au discours direct, précédé d’un tiret : « – Voilà un mot qui fait toujours de l’effet » (l. 3) ; enfin, le récit. Celui-ci nous fait entendre la voix du narrateur, dont les remarques telles que « ce qu’il jugeait d’un excellent goût » (l. 24) suggèrent un jugement critique. Le lecteur peut ainsi comparer le discours que tient Rodolphe à son attitude pendant l’écriture.
En réalité, l’élaboration de cette lettre semble n’être qu’une corvée pour Rodolphe et ne rien avoir d’une expression spontanée. Ses pensées, ponctuées d’exclamations comme « Ah ! n’importe ! tant pis, il faut en finir ! » (l. 10-11) ou « Ah bah ! n’importe ! » (l. 35), montrent son impatience et ses difficultés. Il écrit, se ravise, tergiverse en se disant : « Ah ! encore ceci, de peur qu’elle ne vienne à me relancer » (l. 20). Chaque mot est pour ainsi dire pesé ; en témoigne par exemple la réflexion sur le mot « fatalité » (l. 2), « qui fait toujours de l’effet » (l. 3). Rodolphe s’interroge aussi sur la manière dont il va signer (l. 25-27). L’amant ne rédige pas une lettre, il la fabrique avec effort. D’ailleurs le narrateur montre, avec une certaine ironie, Rodolphe se relisant non sans autosatisfaction : sa lettre « lui parut bonne » (l. 28). La lettre de rupture est ainsi présentée comme un travail laborieux, sans aucune spontanéité.
Si Rodolphe est présenté en épistolier pesant chaque mot, c’est aussi pour le narrateur une façon de le dénoncer comme un calculateur hypocrite.
Ainsi, Rodolphe semble se mettre en scène dans un rôle d’amoureux désespéré. Pour cela, il use et abuse des tonalités lyrique et pathétique. Dans sa lettre, différents procédés évoquent une lamentation théâtrale : l’anaphore de l’interrogatif « Pourquoi » (l. 1), introduisant deux questions rhétoriques, fait penser à des répliques de tragédie. De même, l’apostrophe « Ô mon Dieu ! » (l. 2) est suivie de « non, non, n’en accusez que la fatalité ! » (l. 2), phrase exclamative au rythme d’alexandrin et aux accents cornéliens. Le nom « fatalité », tragiquement connoté, est d’ailleurs valorisant : il place Emma et Rodolphe en position de victimes, accablés par une force qui les dépasse, tout en les dotant d’une certaine grandeur. Les exclamatives, également nombreuses, des lignes 14 à 16, de même que le rythme saccadé des phrases (l. 15-16), sont censées traduire une forme d’exaltation douloureuse. Mais Rodolphe ne fait que jouer un rôle : son hypocrisie se révèle dans le contraste entre le registre soutenu, presque ampoulé, d’expressions telles qu’« exaltation délicieuse » (l. 5-6), et le vocabulaire trivial de son discours, comme « me relancer » (l. 20) ou « bah » (l. 35). La fausse larme que Rodolphe imprime sur le papier (l. 33-34) vient couronner ce discours fallacieux. On voit que le séducteur imite, voire surjoue la souffrance extrême d’un malheureux au bord de la folie.
Il est par ailleurs évident que Rodolphe se livre à un aveu d’amour hypocrite.
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