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La parole est-elle porteuse de violence ?

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Par   •  11 Avril 2025  •  Dissertation  •  2 372 Mots (10 Pages)  •  36 Vues

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La parole peut-elle être porteuse de violence ?

D’emblée, il semble indéniable que la parole, par sa nature même, s'oppose à toute forme de violence. En effet, comment pourrait-il en être autrement ? Comment la parole, cette faculté humaine de communication et d’expression des pensées, des émotions au moyen d’un système de signes pourrait-elle être porteuse d’une quelconque violence ? Si la parole incarne l'essence de notre humanité, la violence, qui désigne l’emploi illégitime et disproportionné de la force pour nuire, ne serait-elle pas plutôt le signe d'une déshumanisation ? Associer la parole à la violence semble donc, au premier abord, contradictoire.
        Cependant, peut-on vraiment affirmer que toute parole
s'oppose à la violence ? Ne peut-on pas considérer, que la parole est porteuse de violence, dans la mesure où les mots sont porteurs de sens ? Quand le langage limite la parole, celle-ci ne devient-elle pas un moyen de propager la violence ? La parole, loin d'être innocente, détient un réel pouvoir qui influence notre manière de communiquer, d'interagir et de percevoir le monde. Ainsi, si la parole entretient une relation ambiguë avec la violence, c'est peut-être parce qu'elle renferme un potentiel destructeur inhérent à tout pouvoir.
        Nous nous trouvons donc face à un paradoxe : d’un côté, la parole rejette la violence en tant qu’expression de notre humanité; de l’autre, elle pourrait bien devenir un vecteur de cette violence. La question se pose donc : la parole peut-elle être porteuse de violence ?

À première vue, la parole et la violence semblent diamétralement opposées. La parole en tant que fondement de notre humanité incarne l'ordre et la paix, tandis que la violence évoque le chaos et la destruction. Ainsi, la parole semble par nature éloignée de toute forme de violence dans la mesure où elle est le propre de l’homme.
        Si les animaux communiquent, seul l'homme possède le don d'articuler des sons en phonèmes et des idées en morphèmes. Contrairement aux communications animales, limitées à des expressions utilitaires et instinctives, la parole humaine est ouverte à un champ infini de significations car elle est le véhicule de la pensée.
Hegel affirme même que "c'est dans le mot que nous pensons". Dès lors, le langage, issu du grec "logos" signifiant "parole raisonnable", se distingue de la simple voix, "phoné". Selon Aristote dans La Politique, l'homme est le seul être doué de logos, capable de donner sens au langage par la raison, ouvrant la voie aux débats sur le juste et l'injuste, le bien et le mal. Si je me reconnais en tant qu’être humain, c’est avant tout parce que j’utilise la parole pour affirmer ma raison. Cette idée est illustrée par le film L'Enfant sauvage de François Truffaut, où l'incapacité à communiquer par le langage conduit à une déshumanisation. Victor est perçu comme un sauvage, incapable d'exprimer ses besoins et émotions de manière constructive, adoptant parfois des comportements primitifs ou violents. Le docteur Itard entreprend de l'humaniser par le langage, soulignant ainsi l'importance cruciale de la parole dans l'humanisation et l'intégration sociale. Car pour Aristote, l’Homme est un zoon politikon, un "animal politique", un être social inséparable des relations et de la communication. Ce qui définit l’homme, ce n’est pas seulement sa capacité à user de la parole pour affirmer sa raison, mais aussi à partager son intériorité avec d'autres consciences libres. Aristote fait de la parole un attribut distinctif du politique. Dans sa dimension communicationnelle, la parole permet de renoncer à la violence. C’est par le dialogue et la maîtrise du langage que nous reconnaissons l'humanité d'autrui tout en affirmant la nôtre, établissant ainsi un échange basé sur le respect et la non-violence. À contrario, la violence s'apparente à une perte d'humanité, réduisant autrui à un objet à contraindre et dominer plutôt qu'à une personne à respecter. En recourant à la violence, on renonce à l'usage de sa raison et l'agresseur se déshumanise, préférant la brutalité à la compassion et au respect. Ainsi, la parole s'oppose fondamentalement à toute forme de violence.
        Par ailleurs, La parole a le pouvoir de repousser la violence en pacifiant les relations. Essentielle à la communication et à l'interaction sociale, elle permet d'exprimer nos pensées, de résoudre les désaccords sans recourir à la force, facilitant ainsi la vie en société. Par exemple, lors de
la crise des missiles de Cuba, le dialogue a démontré son efficacité pour apaiser les tensions. Selon Hobbes dans Le Léviathan, à l'état de nature, l'humanité est en proie à une violence perpétuelle, une guerre de tous contre tous. Cependant, par le contrat social symbolisé par la parole, les êtres humains émergent de cet état pour former des sociétés civilisées. En communiquant et en convenant de règles communes, ils établissent une société ordonnée et sécurisée sous l'égide de l’État, pacifiant ainsi les relations humaines. La violence engendre un chaos destructeur où règne l'absence de règles. En y cédant, on abandonne nos principes moraux fondamentaux, plongeant dans un cycle de peur et de méfiance. Elle entrave notre capacité à résoudre les conflits par la raison et le dialogue, nous ramenant à des réactions instinctives et primitives marquées par la soumission et la domination, ce qui va à l'encontre de ce qui définit l'humanité : notre capacité à raisonner, à éprouver de l'empathie, à respecter la dignité d'autrui et à vivre harmonieusement ensemble. Ainsi, la parole vise non seulement à repousser la violence, mais aussi à élever l'être humain vers un idéal d'humanité exempt de toute forme de violence. Dès lors, comment la parole pourrait-elle être porteuse de violence ? Comment pourrait-elle être à la fois l’expression et la négation de notre humanité ? Toutefois, peut-on vraiment affirmer que toute parole s'oppose à la violence ?

Nous l’avons vu chez certains philosophes comme Hobbes, la violence est inhérente à la nature humaine, souvent transformant la parole en instrument de violence. Les actes violents sont souvent accompagnés de paroles qui amplifient l'acte physique. La parole ne s'oppose pas toujours à la violence, mais la prolonge et parfois la précède. Par exemple, lors du génocide des Tutsi au Rwanda, la déshumanisation par la parole, notamment à travers les médias comme la radio, a précédé leur massacre, les dépeignant comme des "serpents", des "cafards", des "cancrelats", facilitant ainsi leur extermination physique. Les mots ne sont pas de simples symboles vides ; chargés de sens, ils peuvent infliger des blessures aussi profondes que la violence physique, comme le souligne Brice Parain dans sa thèse sur la nature et les fonctions du langage : les mots sont comme des "pistolets chargés", exprimant des intentions et des émotions capables d'humilier, de rabaisser ou de déshumaniser autrui. Ce qui blesse réellement n'est pas le mot en lui-même, mais l'intention symbolique qu’il porte, transformant ainsi le langage en une arme de destruction. La violence verbale peut causer des blessures émotionnelles profondes, altérer l'estime de soi et dégrader les relations interpersonnelles, montrant ainsi que la parole peut être vecteur de violence en portant un sens.                Une parole appauvrie par le langage peut engendrer la violence. Nietzsche critique le langage dans Le livre du philosophe, le jugeant incapable de refléter la richesse et la singularité de nos expériences, réduisant celles-ci à des concepts universels. Pour lui, les mots deviennent des métaphores simplificatrices qui uniformisent le monde, effaçant la singularité des choses et des sentiments. Bergson, dans Le Rire, partage cette critique en décrivant les mots comme de simples étiquettes qui détournent notre attention des sensations directes, reniant ainsi la subjectivité et pouvant être fondamentalement violents. De plus, les limitations du langage peuvent générer de la violence en empêchant l'expression émotionnelle, comme chez les adolescents en difficulté qui peuvent recourir à la violence faute de pouvoir l'exprimer verbalement. Lorsque le dialogue rationnel pour la reconnaissance mutuelle devient inefficace, la violence peut remplacer une parole jugée trop pauvre et inefficace. En outre, le langage peut exclure et enfermer les individus dans des catégories sociales, renforçant des stéréotypes difficiles à briser. Dans La Place d'Annie Ernaux, l'auteur se sent étrangère face à un langage qu’elle ne maîtrise pas : "Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide." L'utilisation de jargon ou de termes techniques peut également exclure certaines personnes en les classant dans des catégories spécifiques. Ainsi, lorsque le langage bride la parole, celle-ci devient impuissante et peut même être un vecteur de violence.
        
En outre, la parole n’est pas innocente ; elle possède le pouvoir de partager des connaissances et des opinions tout en influençant des comportements de manière néfaste, d’où l’expression des pouvoirs de la parole. Platon nous met en garde dans Gorgias contre les sophistes qui utilisent la rhétorique pour persuader par les émotions plutôt que convaincre par la raison, sacrifiant ainsi la vérité à des intérêts personnels ou à des causes injustes. Il est crucial de se méfier des orateurs et des belles paroles qui ne cherchent pas à faire prévaloir la vérité, ainsi que des paroles séductrices qui, du latin "seducere", détourne du chemin. Dans l'Odyssée d'Homère, Ulysse illustre les dangers de la parole séductrice en utilisant ses talents de persuasion pour gagner la confiance de la jeune princesse Nausicaa, montrant comment la parole flatteuse peut manipuler pour atteindre ses objectifs. Dans les régimes totalitaires, la parole devient un outil de domination. Malgré le besoin humain de compagnie, l'homme montre une tendance à rivaliser et à entrer en conflit, concept décrit par Kant comme "insociable sociabilité". Dans 1984 d'Orwell, la novlangue et la propagande totalitaire vident le langage de son sens, restreignant la pensée et influençant la perception. La propagande utilise des slogans comme "La guerre, c'est la paix" pour inverser le sens des mots et manipuler les masses, révélant les dangers de la manipulation par la parole au service du pouvoir autoritaire. Hitler dans le régime nazi en est un exemple frappant, capable de manipuler des foules entières à travers des discours persuasifs, conduisant à des comportements extrêmes et violents. De plus, la parole est souvent utilisée pour propager des mensonges, des rumeurs et des théories du complot, manipulant ainsi l'opinion publique. La parole possède le pouvoir ambivalent de construire ou détruire, d'encourager l'unité et l'inspiration tout en pouvant blesser, manipuler et diviser. Elle peut servir à exprimer la vérité, informer et éclairer, mais également à mentir, tromper et induire en erreur. Dès lors, la parole semble bien être porteuse de violence. Mais peut-on être si manichéen ? La parole est-elle toujours mauvaise ? Faut-il toujours s’en méfier ? Si la parole entretient une relation ambiguë avec la violence, si elle est à la fois outil de création et de destruction, n’est-ce pas parce qu'elle renferme un potentiel destructeur inhérent à tout pouvoir ?

La parole est intimement liée à la violence, mais il ne faut pas nécessairement s’en méfier. Elle est un instrument de la raison humaine, une possibilité d’agir, non une fin en soi. Ainsi, elle ne peut être violente ou innocente par nature, mais possède un potentiel de violence inhérent à tout pouvoir. Ce n’est donc pas la parole en elle-même qui est violente, mais l'intention de celui qui parle. En effet, toute parole, étant susceptible d'être violente, engage la responsabilité de celui qui la prononce. J.L. Austin a théorisé que la parole n'a pas seulement une fonction descriptive, mais aussi performative : "dire, c'est faire". Cette perspective souligne que chaque mot prononcé comporte une dimension d'action et donc de responsabilité. Hannah Arendt, dans "La Condition de l'homme moderne", insiste également sur cette responsabilité individuelle, particulièrement dans les espaces publics où la parole devient un acte d'autorité. Ainsi, la parole ne peut être par définition porteuse de violence car tout dépend de la finalité qu’elle poursuit et de l’usage qu’on en fait. L’homme ayant la responsabilité de ne pas en faire un vecteur de violence d’autant plus, qu’il existe une contradiction profonde entre la parole et la violence. Recourir à la violence par la parole n’a aucun sens, car une parole violente se nierait elle-même en tant que parole.
        Dès lors, il est évident que la parole ne peut s'opposer à la violence car elle renferme un potentiel de violence inhérent à tout pouvoir mais elle ne peut non plus être porteuse de violence car elle se renierait elle-même. Donc finalement même quand la parole semble violente elle ne fait que révéler la violence de celui qui l’emploi puisqu’elle n’est qu’un instrument de ce dernier, la parole n'est pas un vecteur de violence, elle ne s'y oppose pas non plus mais elle cherche à dépasser la violence de l'humanité en la sortant du silence. C’est pourquoi on parle de thérapie par la parole car parler, c’est extériorisé, c’est révéler la violence dont l’homme est fondamentalement porteur.  La parole devient alors un miroir des tensions et des conflits qui habitent l'humanité.Hannah Arendt avance que "la violence est fondamentalement inapte à la parole". Contrairement à la violence qui cherche à maintenir le silence pour rendre ses actes invisibles, la parole brise ce silence en exposant et dénonçant les injustices humaines. Elle devient un moyen de révéler la violence qui voudrait se taire, de donner une voix aux opprimés. Par exemple, les mouvements sociaux comme MeToo utilisent la parole comme un outil de résistance non-violente pour mettre en lumière les injustices et mobiliser l'opinion publique.

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