Lecture linéaire 2 : acte II, scène 13 de « DORANTE, d’un ton ému » à la fin de la scène, Marivaux
Commentaire de texte : Lecture linéaire 2 : acte II, scène 13 de « DORANTE, d’un ton ému » à la fin de la scène, Marivaux. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Haiyka Espada • 19 Avril 2023 • Commentaire de texte • 3 683 Mots (15 Pages) • 366 Vues
Lecture linéaire 2 : acte II, scène 13 de « DORANTE, d’un ton ému » à la fin de la scène
Marivaux est, avec Beaumarchais et Diderot, une figure majeure du théâtre du XVIII° siècle. L’œuvre du dramaturge n’est pas seulement prolixe (plus d’une quarantaine de pièces) elle est brillante tant Marivaux s’est appliqué à introduire sur scène le monde des salons, qu'il rend vivant et passionnant grâce à son art de mêler le jeu des masques à une réflexion profonde sur l'homme et sur l'amour, d'unir la finesse du trait d'esprit à la vérité de l'analyse psychologique. C'est ce jeu subtil des sentiments où les confidences se font sur un ton léger, où le jeu se mêle aux intrigues que l'on nomme marivaudage. Marivaux est alors considéré comme le peintre de l'amour et lui-même a écrit : " J'ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour, lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir de ces niches. " C'est pourquoi aussi, conscient du risque de monotonie et de redite, Marivaux multiplie les variations sur le thème principal. L'amour. Il est à noter aussi un renouvellement de la comédie par ce traitement de l’amour et notamment si l’on considère que dans la plupart des comédies antérieures l'amour des jeunes gens se heurte à l'opposition des parents. Marivaux rejette ce ressort traditionnel de l'obstacle extérieur. C'est en eux-mêmes que les personnages découvrent leurs raisons d'hésiter ou d'aimer. Le développement de la pièce ne dépend que de leurs sentiments. Tel est le cas dans Les Fausses confidences qui met en scène une Araminte, fortunée, qui aura à combattre son amour propre mais aussi les préjugés sociaux de son entourage pour enfin avouer son amour à Dorante, le jeune intendant qu’elle a pris à son service grâce à la ruse de Dubois, l’ancien valet du jeune homme. C’est en ce sens aussi que le marivaudage, dans cette pièce comme dans toutes les autres, n'est pas un jeu verbal artificiel et frivole : il révèle le rôle du langage dans le drame et dans la vie. Nous étudierons le passage de la scène 13 de l’acte II de « DORANTE, d’un ton ému » à la fin de la scène, passage dans lequel, Araminte mise au courant par Dubois de de l’amour passionné que lui porte son intendant. Amoureuse de Dorante mais ne voulant et pouvant pas se l’avouer, elle imagine un stratagème visant à prendre au piège le jeune homme, amené de la sorte à lui faire l’aveu de son amour. Elle le convoque et lui dicte une lettre au Comte afin de l’informer qu’elle met un terme à leur litige concernant une propriété et qu’elle accepte de l’épouser. Par conséquent, Araminte se livre à son tour à la stratégie de la fausse confidence nous permettant de considérer par le biais de ce passage en quoi le théâtre de Marivaux est aussi un théâtre de la cruauté.
Lecture
- La mise en place du piège
Dubois est sorti de scène et a rencontré, le temps d’une réplique son ancien maître sans avoir pu, par conséquent le tenir au courant du piège que veut lui tendre Araminte. Dorante, de son côté, vient prier Araminte de l’assurer de son soutien afin de ne pas être chassé de sa maison et remplacé par l’intendant du Comte que celui-ci a envoyé et qui est, évidemment, privilégié par Mme Argante, désireuse de voir sa fille devenir comtesse. Araminte le rassure puis le prie de prendre place pour qu’elle puisse lui dicter sa lettre au Comte. A cette annonce, Dorante ne peut dissimuler son douloureux étonnement comme le traduit l’exclamative sous forme de phrase nominale elle-même précédée d’une didascalie interne : d’un ton ému, Déterminée, Madame ! » A ce ton de l’émotion, Araminte semble répondre le plus calmement qu’il soit : la première partie de sa réplique est constituée d’une indépendante qui affirme par l’adverbe positif ainsi que par la reprise de l’idée de détermination grâce au groupe synonyme « tout à fait résolue. » ; puis d’une phrase qui se veut explicative et apte à rassurer un jeune homme au sujet de la place qu’il occupe en tant qu’intendant. C’est pourquoi, elle rend compte des pensées du Comte avec « Le Comte croira que vous y avez contribué » et de la sorte feint de ne pas envisager la possibilité d’un sentiment amoureux de la part de Dorante à partir du moment où le Comte est dans les faits son rival. Araminte, construisant dès lors trois autres indépendantes juxtaposées par le point-virgule appuie sur l’idée de sa détermination, résolution et de la sorte une nouvelle fois feint de ne prendre en compte que la préoccupation de Dorante du point de vue de sa fonction d’intendant auprès d’elle. De ce fait, elle se positionne hiérarchiquement par rapport à Dorante et lui rappelle qu’il n’est qu’un simple serviteur ; elle creuse l’écart social entre lui d’une part, elle et le Comte de l’autre. Son ton est condescendant, nous dirions aujourd’hui patriarcal avec l’insistance sur « et je vous garantis », « je vous le promets ». Puis Araminte constate l’effet que produit sur Dorante son discours comme le signale la didascalie interne « à part » indiquant l’aparté qui doit être lu en tant que didascalie interne et déterminant un jeu d’acteur de la part de celui qui joue Dorante et qui pourra être plus ou moins visible selon le parti pris du metteur en scène lors de la représentation : « Il change de couleur. » C’est au tour de Dorante à répondre et une nouvelle fois, il ne peut que s’exclamer sans que Marivaux ne précise par le recours à une didascalie interne le ton à adopter : « Quelle différence pour moi, Madame ! » Il découle logiquement de sa première exclamative et de l’aparté d’Araminte : la tonalité est donc celle d’une émotion plus marquée encore que la première. D’autre part, le spectateur/lecteur ne peut être qu’amusé par cette exclamation, informé qu’il est des sentiments de Dorante pour Araminte et du « projet » entrepris pour la rendre amoureuse de lui. Le terme « différence » se lit dès lors de manière différente selon que l’on considère Dorante comme un simple intendant – et dès lors la différence est positive ; il conserve sa place – ou comme amoureux d’Araminte – le terme prend une valeur négative, enfin si on lit dans le terne « différence » d’exclamative une crainte de la part de l’intendant : la différence est réelle à partir du moment où Dorante deviendrait l’intendant du Comte et d’Araminte. C’est en outre ce que feint de comprendre Araminte en répondant : « Il n’y en aura aucune, ne vous embarrassez pas » faisant mine de rassurer une fois encore Dorante : il restera intendant et SON intendant. C’est pourquoi Araminte, continuant de considérer Dorante d’après ce statut peut lui donner des ordres. Premièrement, elle coupe court à l’échange concernant le rôle de Dorante auprès d’elle par la forme injonctive de la défense grâce à l’impératif « ne vous embarrassez pas » pour ensuite ordonner : « et écrivez le billet que je vais vous dicter » Ces différents ordres soulignent la place qu’occupe Araminte auprès de Dorante, marque son statut hiérarchique par rapport à lui. Marivaux de la sorte renvoie à la réalité sociale et envisage la relation entre Dorante et Araminte comme une forme moderne du traditionnel couple maître et valet. D’autre part, en précisant : « il y a tout ce qu’il faut sur la table. », elle entend couper court à toute réplique et Marivaux, de la sorte aussi, par la didascalie interne suggère un élément du décor important, constitutif du piège que tisse Araminte. Or Dorant répond pour autant et par une simple interrogative partielle stipulant la demande concernant le destinataire du « billet » : Eh ! pour qui, Madame ? » Le « Eh ! » initial traduit cependant la compréhension de Dorante concernant ce destinataire et l’interjection marque une nouvelle fois l’étonnement douloureux du jeune homme. Il semble désirer seulement la preuve et sort de son rôle d’intendant qui doit se contenter d’obéir. Araminte n’y prend pas garde ou plutôt utilise cette question pour consolider les rets de son piège. En effet, elle se lance dans une explication concernant le Comte et la visée de la lettre à écrire, précisions qui n’ont pas vraiment lieu d’être dans le cas du positionnement hiérarchique qui est le leur mais qui sert à la fausse confidence pour mieux faire souffrir Dorante. C’est pourquoi Araminte prend soin de décrire le trouble du Comte « qui est sorti d’ici extrêmement inquiet » justifiant l’écriture du billet notamment si l’on considère combien elle désire se montrer aimable envers lui : « que je vais surprendre bien agréablement par le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom. » La formulation par la
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