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Léon Chancerel, La Farce du Chaudronnier

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Par   •  9 Mars 2024  •  Cours  •  2 660 Mots (11 Pages)  •  134 Vues

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La Farce du Chaudronnier

Léon Chancerel

Créée en 1930 par la Compagnie des Comédiens-Routiers

(Nouvelle édition revue et corrigée avec les notices de l'auteur)

Écrite en 1922 pour être jouée au Théâtre du Vieux-Colombier, à l'occasion des matinées classiques du jeudi, La Farce du Chaudronnier devait avoir pour interprètes Jeanne Lory, Auguste Boverio et Jean Villard (Gilles). Je faisais là mon apprentissage de metteur en scène et je m'aperçus vite, au cours des répétitions, que je n'avais pas encore assez d'expérience ni d'autorité pour mener à bien l'entreprise.

Ce n'est qu'en 1924 que Le Chaudronnier affronta le public, un aimable public d'enfants et d'amis, sur le petit théâtre de marionnettes que nous avions monté, ma femme et moi, dans notre grenier de la rue de Solférino, à Paris.

Cinq ans plus tard, quand je commençai à rassembler et à former les premiers futurs Comédiens-Routiers, j'inscrivis tout naturellement cet essai au programme de nos réunions de travail. Bernard La Jarrige jouait LA FEMME, Olivier Hussenot, LE MARI, Maurice Jacquemont, LE CHAUDRONNIER.

Par un travail assidu, fervent et minutieux, ils parvinrent à donner aux personnages une telle vie, leur jeu unit à tant d'invention personnelle tant de précision dans la fantaisie et le burlesque, que je ne m'étonne plus aujourd'hui de l'éclatant succès et de l'heureuse surprise qui accueillirent ce bref divertissement de tréteaux.

Sans nous en apercevoir, nous avions trouvé - ou, plus exactement, retrouvé - un style et renoué la tradition des Comédiens de l'Art et des vieux Farceurs Français.

Cette réussite fit école. Et, depuis lors Le Chaudronnier fut représenté des milliers de fois par des groupements d'amateurs ou de professionnels, en France et à l'étranger. Il en fut vendu plus de 20.000 exemplaires.

Cette farce a pour origine deux textes du XVIe siècle, l'un qui porte le même titre, l'autre intitulé Farce Nouvelle d'un Savetier nommé Calbain [1]. A l'un, j'ai emprunté le thème traditionnel de l'épouse bavarde ; à l'autre, le jeu non moins traditionnel du muet mélomane si souvent mis en œuvre par les clowns. Si, de ces deux textes, j'ai souvent suivi de fort près le rythme ; si je me suis approprié çà et là certaines répliques et certaines heureuses trouvailles de vocabulaire, je n'ai pas hésité à en laisser tomber ou à en moderniser beaucoup d'autres. Il ne s'agissait pas pour moi de traduire en français moderne un texte ancien, des fins de curiosité littéraire, mais de reprendre une proposition comique éprouvée et, en m'inspirant des rédactions précédentes, en me laissant porter et nourrir par elles, de les proposer, à mon tour, à des comédiens et à un public d'aujourd'hui, de retrouver pour eux et avec eux ce que la version originale renferme encore d'efficacité comique.

Aussi bien, les auteurs oubliés et souvent anonymes de ces vieilles farces en avaient usé de même avec leurs prédécesseurs, comme nous osons espérer qu'en useront de même nos successeurs.

Pour ceux qui seraient tentés d'aborder notre texte en vue de la représentation, je me bornerai, pour tout conseil, à recopier ce que j'écrivais dans l'avertissement de sa première édition :

« Par le chemin du burlesque, la farce, proche de la danse, peut atteindre à la poésie. Excellent moyen de formation du comédien, elle exige de lui une virtuosité et une précision corporelles presque acrobatiques. Pas un geste, pas un pas, pas un silence, pas une intonation, qui ne doivent être minutieusement cherchés, notés, puis perfectionnés, non seulement au cours des répétitions, mais au fur et à mesure des représentations. Ici, le maître des maîtres, le régulateur, fut et restera toujours LE PUBLIC, le vrai, celui qui, selon le vœu de Molière [2] juge un spectacle « par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule ».

Les Comédiens-Routiers ont joué La Farce du Chaudronnier sous le demi-masque (celui qui laisse libres la bouche et le bas du visage). A l'époque (1929), ce retour à un moyen d'expression, abandonné presque totalement dès la fin du XVIIIe siècle, contribua certainement à la surprise et au plaisir du public.

Il ne faut pas pour autant croire qu'on ne puisse jouer cette farce à visage découvert. J'ai eu maintes fois l'occasion de rappeler [3] pourquoi, au début de leur apprentissage, j'avais soumis les Comédiens-Routiers à cette discipline : le masque interdit au comédien de localiser dans le visage et dans la voix tout son pouvoir d'expression ; il l'oblige à jouer de tout son corps, à éviter la grimace et à orienter le comportement scénique vers le style, par-delà la servile imitation des gestes quotidiens.

J'ajoute, en ce qui concerne la Compagnie des Comédiens-Routiers à ses débuts, que la composition de nos spectacles (spectacles dits « de variété ») et l'économie même de l'instrument dramatique que nous avions créé commandaient l'emploi du demi-masque. Six comédiens devant incarner de vingt à trente personnages au cours d'une même représentation, l'usage du masque permettait seul d'en assurer le rythme sans interruption aucune, en passant, en quelques secondes, d'un personnage à l'autre. C'est ce que les Comédiens Italiens, habiles en l'art des transformations rapides, nommaient Commedia di fatica.

Qu'on ne prenne pas davantage ces lignes comme une manière de reniement du masque. Aujourd'hui, comme hier, je crois en sa haute valeur dramatique : il possède un étrange et magnifique pouvoir d'incantation, de suggestion et d'évasion dont il serait absurde de priver le poète, le comédien et le public. Il me paraît plus que jamais évident que certains personnages tragiques ou burlesques, comme certains jeux dramatiques, exigent le port du masque et que d'autres le refusent.

Je terminerai cette digression en rappelant que l'apprentissage du jeu masqué est long et pénible et que je déconseille vivement de s'y hasarder à tous ceux qui n'auraient pas préalablement, par des exercices appropriés, et sous des maîtres compétents, retrouvé les règles et la technique de cet art ; en passant outre ils tomberaient obligatoirement dans la plus inopportune, dans la plus gratuite et haïssable « mascarade ».

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