Le néo-classicisme, commémoration de l'Antique ?
Dissertation : Le néo-classicisme, commémoration de l'Antique ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar riverr • 26 Mai 2018 • Dissertation • 3 466 Mots (14 Pages) • 923 Vues
Ninon Ribot KH AL
Le néo-classicisme, une commémoration de l’antique ?
« Tout cela chante douloureusement en mon âme et mon décor, en peignant et rêvant à la fois », écrit Gauguin en 1899. Il évoque ici le désir de retrouver et retranscrire un temps polynésien perdu, peuplé de rituels magiques, de fêtes, de danses, enfouis depuis longtemps. Le peintre évoque le regret d’une époque révolue, connue seulement à travers quelques écrits, quelques vestiges, donc mystérieuse et par conséquent désirable.
Il en va de même pour la fascination de l’Antique aux XVIIIème et XIXème siècles. L’Antiquité, à la fois connue et inconnue, provoque la curiosité et attise l’imagination. La commémoration est alors un « chant douloureux », car il va falloir chercher, commémorer un temps que l’on n’a pas connu. Commémorer, c’est d’abord se souvenir. Or comment se souvenir de l’Antiquité au tournant du XVIIIème et du XIXème siècle ? Comment se souvenir d’une époque que l’on n’a pas vécue, et qui de plus, n’est pas forcément bien connue ? Voilà en quoi l’intitulé peut paraître surprenant. Il s’agira donc forcément d’un souvenir en partie fabriqué, construit, biaisé, réadapté, rêvé, ce qui donne lieu à une commémoration bien plus sensible. Et ce souvenir est la quête de ceux que nous appelons aujourd’hui néo-classiques, qui revendiquent à l’époque un vrai style, un retour au style antique, une recherche de la règle antique, ils se penchent sur les formes antiques avec une ardeur nouvelle, plus seulement sur les thèmes antiques qui prévalaient alors. Par vrai style, ils entendent la réaffirmation d’un art intemporel et en aucune façon une simple mode. L’antique revêt cette autorité intemporelle que les artistes veulent faire revivre.
La résurgence de l’art antique a-t-elle valeur de commémoration ?
Nous verrons que le mouvement néo-classique s’inscrit dans la continuité de la fascination de l’Antique mais d’une manière plus fervente encore, grâce aux découvertes et aux avancées théoriques. Là la fascination atteint sa valeur de commémoration : les œuvres antiques sont considérées sous un regard mémoriel.
Néanmoins ce regard mémoriel est surtout nostalgique et cela implique le fait que cette commémoration, ce nouveau visage de la défense de l’art antique, n’est pas lisse. Ce qui compte, c’est surtout le charme provoqué par l’Antique, il est ressenti avant d’être raisonné, « peint et rêvé à la fois ». Nous observons l’ambivalence entre le désir de retrouver la règle et l’absence de règle d’un mouvement sans manifeste : la commémoration relève du rêve. L’antique, alors, est comme un moule dans lequel on peut couler ses rêves.
Finalement, l’antique est surtout un chant qui se met au service du temps présent. L’Antique est commémoré, considéré comme une autorité supérieure oui, mais dans l’optique de servir le temps présent. L’œil contemporain voit dans l’antiquité et ses valeurs un beau support et un moyen de légitimer les gloires d’une époque.
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Les redécouvertes d’Herculanum en 1738 et Pompéi en 1748 ouvrent la voie au renouvellement de la fascination pour l’antique. Malgré la froideur qui suit l’excavation et les critiques qui jugent les dessins médiocres, ces redécouvertes vont être exploitées par les théoriciens et les peintres qui vont devoir faire renaître l’espoir déçu. Prenons l’exemple de Piranèse. Ses eaux-fortes mettent en relief la formidable solidité des architectures romaines : avec sa vue du mausolée d’Hadrien, il met en scène l’architecture du lieu comme une montagne titanesque. Winckelmann, lui, est le premier à écrire sur l’architecture grecque antique avec le point de vue d’un esthète, d’un homme des lumières. Sa ferveur est presque missionnaire : on peut penser notamment à sa description de l’Apollon du Belvédère. Goethe l’affirme, « Nous n’apprenons rien en lisant Winckelmann mais nous devenons quelque chose. » En effet, c’est avant tout par sa ferveur, par son regard esthétique nouveau, que Winckelmann invite son contemporain à appréhender l’Antiquité. Comme l’expose Hugh Honour, il a habillé d’un éternel printemps l’art grec tout entier. De plus, il est le premier à appliquer la méthode historique à l’étude des oeuvres antiques et développe l’idée d’une histoire de l’art comme un processus organique, entre cycles de croissance et de décadence. Son ouvrage, Pensées sur l’imitation des œuvres grecques, paraît en 1755 et est traduit en anglais en 1765.
Ainsi la commémoration revêt ici sa valeur première : on célèbre l’art antique, on apprend à l’appréhender : voici la base de l’artiste néo-classique, car pour imiter l’antique, il faut le connaître, savoir le voir, et surtout, savoir l’admirer. L’imitation des œuvres antiques, prônée par Winckelmann, découle de cette connaissance, de cette sensibilité. De cette manière, les redécouvertes d’Herculanum et Pompéi, mais aussi les pèlerinages dans les villes abritant les trésors antiques comme Paestum, participent de ce renouveau du regard pour l’Antique. En plus d’être célébré, il est défendu.
Ça serai diviser le soleil en étoiles que ces « modèles du beau » soient « enlevés à leur pays natal.» affirme Quatremère de Quincy, passionné et fin connaisseur d’architecture et de sculpture romaine, dans ses lettres à Miranda. « L’effet le plus actif de ces monuments sur ceux qui les étudient résulte précisément de leur réunion. » affirme-t-il à propos des richesses antiques de l’Italie. Le petit nombre de statues antiques ne doit cet ascendant de la beauté qu’à « ce peuple infini de statues du même style. » Dès qu’il eût l’occasion de voir ces figures antiques détachées de leur famille, Quatremère de Quincy affirme que son impression est affaiblie, la force des leçons atténuée, l’effet de la chaleur qu’elles communiquent au génie des artistes amorti. Il revendique l’idée que les œuvres antiques doivent rester à leur place. A supposer que le démembrement se fasse, l’un perdrait ce que l’autre ne gagnerait pas. Ces statues antiques, ainsi dépaysées, « perdent sous des cieux étrangers la vertu instructive que les artistes allaient chercher à Rome. » De cette manière, Quatremère de Quincy attribue aux œuvres antiques une aura, une force particulière liée à leur histoire, qu’il convient de ne pas déranger. A ce titre, la pétition adressée au directoire, le 29 Thermidor de l’an IV, s’inscrit dans cette optique de défense de l’antique : divers artistes, sous l’égide de Quatremère de Quincy, défendent cette idée selon laquelle les oeuvres doivent rester dans leur pays d’origine. Donc les oeuvres antiques sont bien vues à travers le prisme d’un regard mémoriel.
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