Commentaire sur le « Credo » (1907) d’Henry Van de Velde
Commentaire d'oeuvre : Commentaire sur le « Credo » (1907) d’Henry Van de Velde. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Héloïse Krob • 21 Novembre 2018 • Commentaire d'oeuvre • 1 692 Mots (7 Pages) • 561 Vues
Commentaire sur le « Credo » (1907) d’Henry Van de Velde
La question des rapports entre l’esthétique de l’objet utilitaire en rapport à sa fonction se trouve fondamentalement bouleversée au 19ème siècle. En effet, la deuxième moitié du 19ème siècle a vu la révolution industrielle déstabiliser profondément la fabrication des objets, étant à l’époque artisanale. Le travail ainsi mécanisé, le mode de production devient progressivement sériel. L’établissement d’un nouveau système technique et économique de production a provoqué de fait, un changement des caractéristiques de l’objet, à savoir son aspect par rapport à sa fonction, son éthique... Cela s’est traduit par une immense diversité de réactions de la part des producteurs desdits objets. De la défense d’un ornement impliqué dans la fonction, à un ornement la supplantant, la production témoigne de postures très différentes face à l’artisanat perdant sa suprématie, à la place qu’occupe l’esthétique dans l’objet industriel par rapport à sa fonction… Ainsi, le 20ème siècle démarre d’emblée avec un héritage complexe. C’est dans ce contexte ou la production industrielle s’intensifie toujours plus qu’une réflexion fondant la conception contemporaine des objets s’impose. Henry Van de Velde, dans son Credo, dans à propos de l’Art Nouveau (1907) montre ses préoccupations sur une partie de la production, en édictant des principes pour une pensée singulière sur l’objet. Sa singularité est dans sa posture défendant à la fois le rationalisme moderne, l’honnêteté du matériau et une expressivité individuelle.
Nous pouvons donc faire émerger la question suivante : en quoi la posture de Van De Velde est charnière vers la modernité, paradoxe entre l’essence universelle et l’individu ?
« Tu n’appréhenderas la forme et la construction de tous les objets que dans le sens de leur logique élémentaire la plus stricte et en fonction de leur raison d’être. » Par ces mots, Van de Velde révolutionne le mode de pensée qui nous amène à produire un objet : il s’agit de trouver la bonne forme des choses par un processus de réflexion basée sur le rationalisme. Il expose l’idée qu’il existe dans l’objet une essence, ce qui fait qu’on le fabrique et qui ne varie jamais d’une version à l’autre. Cette essence, autour de laquelle gravite « l’in-essence », c’est-à-dire ce qui peut être modifié en fonction du goût, du sentiment, de l’arbitraire. Pour accéder à ces formes exactes, il existe différents procédés, et nous en allons étudier un avec une œuvre de Léon Jallot, une chaise datant de 1905. La chaise est tout d’abord caractérisée par sa grande simplicité de formes, alliée à une planéité, mais empreinte de subtilité : toutes les pièces de l’objets témoignent d’une simplification formelle : la chaise a été réduite dans sa forme à ses éléments essentiels : tout a été réduit au plus simple élément, par le dessin traduisant une réflexion de formes droites, géométriques. En effet, le dessin de l’assise est un trapèze, de fait crée une profondeur : l’assise s’élargit légèrement du dossier à l’avant. Le dossier quant à lui, est aussi en un plan, mais très légèrement incliné vers l’arrière. Pour finir, les pieds montrent aussi ce jeu subtil des différents plans, par deux pieds avant suivant un plan parfaitement vertical, contre les pieds arrière étant justement, en arrière du plan du dossier. De plus, on voit aussi dans le dessin du dossier la recherche de construction rationnelle : se composant de de lattes verticales, surélevées d’une surface pour oser le dos en tout confort. On voit par tout cela toute l’attention portée à l’assemblage, que l’on cherche dans celui-ci un motif, créé par la structure des éléments les plus simples mis ensemble. Cela crée une structure à la fois fonctionnelle et élégante, dans le fait même de ne pas imposer d’ornement. Autre aspect de l’objet : l’assise pourrait toutefois être trop rigide, et donc ne pas correspondre à la fonction-le confort-, au prix de la recherche effrénée de la forme la plus moderne. Pour pallier à la simplicité qui pourrait ôter ce confort, Jallot implique dans l’objet un mince carré de cuir, ce qui crée une très légère épaisseur, en parfaite adéquation avec la chaise épurée de toute fioriture. Le cuir, vert, souligne au contraire très élégamment l’aspect fondamental de l’objet : une chaise ayant pour essence le fait de s’asseoir, l’assise est ici le seul élément en couleur, face à l’ensemble de la structure, sombre. On voit dans la suggestion discrète ce qui était auparavant exhibé à outrance.
« Tu accorderas et tu soumettras ces formes et constructions au besoins du matériau employé. » on voit dans ces propos une suite logique de la recherche de simplification formelle : on y ajoute une adaptation au matériau. Par cela, Van De Velde veut rétablir le respect que l’on doit porter à la matière. C’est par ce respect que l’on prête une plus grande attention à la qualité des objets. En effet, un matériau de bonne qualité implique donc un objet de bonne qualité, résistant à l’usure du temps, à l’opposé des objets de pacotille, cette camelote soumise à la consommation rapide. Il insuffle une certaine éthique dans le travail du fabricant d’objets, qui doit être impliqué dans la conception jusqu’à la matière. Mais il faut nous rappeler que Van de Velde édicte ses principes dans la perspective d’une production industrielle d’objets. Nous pouvons dépasser son propos sur le matériau de bonne qualité, pour cela nous allons analyser les corbeilles d’Hoffmann. Il réalise en 1904 toute une série d’objets ménagers. La nature de ces objets n’imposerait pas que l’on s’y applique, au niveau des matériaux, de la bonne forme suivant la fonction... or Hoffmann ne semble pas de cet avis, car il réalise dans ces objets une bonne démonstration de la rationalité alliée à la réflexion du matériau. En effet, si nous nous focalisons sur une de ses corbeilles, on voit un objet grandement défini par son matériau, qui est la tôle perforée. A priori, on va contre le deuxième commandement de Van De Velde, car un matériau plus noble, moins léger, évoquant moins la pacotille aurait pu être utilisé. Mais en réalité, cet objet relativement simple dans la fabrication détient une vraie richesse : issu d’une technique simple, l’objet peut être reproduit en masse sans effort. On assiste comme pour la chaise de Jallot à une simplification des formes totale, rendue possible justement par la simplicité de ce matériau qu’est la tôle. Cette dernière comporte en elle-même la juste forme et construction que prône Van De Velde. Cet objet donnant l’impression d’être l’assemblage d’une seule tôle déployée dans l’espace, nous revenons à cette cohérence et cette logique de la forme correspondant à la fonction, par le matériau. De plus, et c’est là où nous trouvons encore un aspect majeur de la modernité, est que la tôle est ajourée, créant des motifs réguliers géométriques. L’ornement est ici totalement fondu dans la structure, grâce à la finesse du métal. Cette géométrie qui répond à la géométrie spatiale de l’objet, montre à quel point le motif peut être acteur de l’essence de l’objet, en cela les corbeilles dépassent les propos de Van De Velde. Le matériau a en lui-même permis une diffusion de l’ornement qui dépasse la seule expression de l’individuel.
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