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Musique

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Par   •  14 Juin 2015  •  2 691 Mots (11 Pages)  •  1 008 Vues

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DISSERTATION

SUR LA MUSIQUE

MODERNE.

[235]

PRÉFACE

S’ils est vrai que les circonstances & les préjugés décident souvent du sort d’un Ouvrage, jamais Auteur n’à du plus craindre que moi. Le Public est aujourd’hui si indispose contre tout ce qui s’appelle nouveauté; si rebute de systèmes & de projets, sur-tout en fait de Musique, qu’il n’est plus gueres possible de lui rien offrir en ce genre, sans s’expose à l’effet de ses premiers mouvemens, c’est-à-dire, à se voir condamné sans être entendu.

D’ailleurs, il faudroit surmonter tant d’obstacles, réunis non par la raison, mais par l’habitude & les préjugés bien plus forts qu’elle, qu’il ne paroit pas possible de forcer de si puissantes barrieres; n’avoir que la raison pour soi, ce n’est pas combattre à armes égales, les préjugés sont presque toujours surs d’en triompher, & je ne connois que le seul intérêt capable de les vaincre à son tour.

Je serois rassure par, cette derniere considération, si le Public etoit toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts; mais il est pour l’ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à gens qui en ont de tout [236] opposes, & il aime mieux se plaindre éternellement d’être mal servi, que de se donner des soins pour l’être mieux.

C’est précisément ce qui arrive dans la Musique; on se récrie sur la longueur des Maîtres & sur la difficulté de l’Art, & l’on rebute ceux qui proposent de l’éclaircir & de l’abréger. Tout le monde convient que les caracteres de la Musique sont dans un état d’imperfection peu proportionne aux progrès qu’on à faits dans les autres parties de cet Art: cependant on se défend contre toute proposition de les reformer, comme contre un danger affreux: imaginer d’autres signes que ceux dont s’est servi le divin Lulli, est non-seulement la plus haute extravagance dont l’esprit humain soit capable, mais c’est encore une espece de sacrilège. Lulli est un Dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l’état de ces sacres caracteres: bons ou mauvais, il n’importe, il faut qu’ils soient éternises par ses Ouvrages; il n’est plus permis d’y toucher sans se rendre criminel, & il faudra, au pied de la lettre, que tous les jeunes Gens qui apprendront désormais la Musique, paient un tribut de deux ou trois ans de peine au mérite de Lulli.

Si ce ne sont pas-là les propres termes, c’est du moins le sens des objections que j’ai oui faire cent fois contre tout projet qui tendroit à reformer cette partie de la [237] Musique. Quoi! faudra-t-il jetter au feu tous nos Auteurs? tout renouveller? la Lande, Bernier, Correlli? Tout cela seroit donc perdu pour nous? Ou prendrions nous de nouveaux Orphées pour nous en dédommager, & quels seroient les Musiciens qui voudroient se résoudre à redevenir écoliers?

Je ne fais pas bien comment l’entendent ceux qui font ces objections; mais il me semble qu’en les réduisant en maximes, & en détaillant un peu les conséquences, on en feroit des aphorismes fort singuliers, pour arrêter tout court le progrès des Lettres & des beaux-Arts.

D’ailleurs, ce raisonnement porte absolument à faux & l’établissement des nouveaux caracteres, bien loin de détruire les anciens Ouvrages, les conserveroit doublement, par les nouvelles éditions qu’on en feroit, & par les anciennes qui subsisteroient toujours. Quand on à traduit un Auteur, je ne vois pas la nécessité de jetter l’Original au feu. Ce n’est donc ni l’Ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu’on risqueroit de perdre, & remarquez, sur-tout, que que qu’avantageux que put être un nouveau système, il ne detruiroit jamais l’ancien avec assez de rapidité pour en abolir tout d’un coup l’usage; les Livres en seroient uses avant que d’être inutiles, & quand ils ne serviroient que de ressource aux opiniâtres, on trouveroit toujours assez à les employer.

[238] Je sais que les Musiciens ne sont pas traitables sur ce chapitre la Musique pour eux n’est pas la science des sons, c’est celle des noires, des blanches, des doubles-croches, & des que ces figures cesseroient d’affecter leurs yeux, il ne croiroient jamais voir réellement de la musique la crainte de redevenir écoliers, & surtout le train de cette habitude, qu’ils prennent pour science même, leur seront toujours regarder avec mépris ou avec effroi tout ce qu’on leur proposeroit en ce genre. Il ne faut donc pas compter sur leur approbation; il faut même compter sur toute leur résistance dans l’établissement des nouveaux caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais simplement comme nouveaux.

Je ne sais quel auroit été le sentiment particulier de Lulli sur ce point, mais je suis presque sur qu’il etoit trop-grand homme pour donner dans ces petitesse; Lulli auroit senti que à sa science ne tenoit point à des caracteres; que ses sons ne cesseroient jamais d’être des sons divins, quelques signes qu’on employait pour les exprimer, & qu’enfin, c’etoit toujours un service important à rendre à son Art & au progrès de ses Ouvrages, que de les publier dans une langue aussi énergique, mais plus facile à entendre, & qui par-la deviendroit plus universelle, dût-il en coûter l’abandon de quelques [239] vieux Exemplaires, dont assurément il n’auroit pas cru que le prix fut à comparer à la perfection générale de l’Art.

Le malheur est que ce n’est pas à des Lulli que nous avons à faire. Il est plus aise d’hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pourquoi la Musique n’est pas amie du raisonnement; mais si ses éleves sont si scandalisés de voir un confrère réduire son Art en principes, l’approfondir, & le traiter méthodiquement, à plus forte raison ne souffriroient-ils pas qu’on osât attaquer les parties mêmes de cet Art.

Pour juger de la façon dont on y seroit reçu, on n’a qu’à se rappeller combien il a fallu d’années de lutte & opiniâtreté pour substituer l’usage du si à ces grossieres muances, qui ne sont pas même encore abolies par-tout. On convenoit bien que l’échelle etoit composée de sept sens différens; mais on ne pouvoit se persuader qu’il fut avantageux de leur donner à chacun un nom particulier, puisqu’on ne s’en etoit pas avise jusques-la, & que la Musique que n’avoit pas laisse d’aller son train.

Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force qu’elles peuvent avoir dans celui des Lecteurs. Malgré ce la, je ne saurois croire qu’elles puissent

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