La cantatrice chauve

LA CANTATRICE CHAUVE

La pièce que j’ai choisi de détailler est « La cantatrice chauve » d’Eugène Ionesco (1950) mis en scène par la troupe contemporaine du théâtre de l’Excelsior. Il s’agit de la première œuvre théâtrale de ce dramaturge (mais également essayiste et romancier) franco-roumain.

        Cette pièce fait partie du courant théâtral de l’absurde et relate du couple Londonien Smith et de leurs invités, le couple Martin (s’ajoutent plus tard la bonne des Smiths, Mary, et le chef des pompiers locaux, qui se trouve d’ailleurs être l'amant cette dernière). Pendant tout le long de la pièce, les protagonistes se livrent à des badineries totalement dénuées de sens, avec un flagrant manque de cohérence entre les différentes scènes. Un exemple est notamment la scène où le couple Martin se trouve seul à seul et que M. et Mme. font connaissance, comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés, jusqu’à ce qu’ils se rendent progressivement compte du fait qu’ils sont, en réalité, mari et femme. Lors de la dernière scène, la pièce recommence dès le début, avec cette fois les Martin récitant les lignes des Smith, comme pour symboliser une répétition éternelle du non-sens.

        L’objet que j’ai choisi pour expliquer la pièce est une horloge à pendule (quelque peu spéciale) que l’on retrouve à l’arrière plan de l’unique décor de la pièce, et qui s’inscrit parfaitement dans l’absurdité et l’incohérence de la trame : en effet, au début de la pièce l’horloge sonne les « dix-sept coups anglais » tandis que Mme. Smith nous apprend qu’il est neuf heures. Par la suite l’horloge sonne à nouveau, cette fois sept fois, quelque temps plus tard c’en sont trois, puis cinq, puis deux, tout cela à intervalles complètement irréguliers. Plus tard nous apprenons par le biais du couple Smith que l’horloge est effectivement défectueuse, étant donné qu’elle annonce toujours « l’inverse du temps qu’il est ». De plus, à la fin de la pièce quand l’absurde atteint son paroxysme et que les personnages ne sont plus qu’en train d’émettre des bribes de phrases incohérentes, des néologismes et des onomatopées, l’horloge se met soudain à sonner frénétiquement et sans structure quelconque.

         Cette horloge me semble très bien, par son imprévisibilité et son déclenchement aléatoire, permettre d’expliquer « La cantatrice chauve ». En effet, ces caractéristiques s’inscrivent, à travers leur apparente absurdité, parfaitement dans le style de la pièce (théâtre de l’absurde) qui a pour enjeu principal de démontrer une angoisse existentielle de l'individu auquel l'ordre et le sens du monde semblent échapper. Ainsi on peut par exemple tirer une parallèle entre l’angoisse de ne pouvoir se situer dans un cadre temporel malgré la présence d’un indicateur (ici l’horloge) et une crainte métaphysique qui est de ne pouvoir, tout en existant, saisir le but de notre existence.De plus il est à noter que d’après Ionesco, « une pièce de théâtre est un morceau de vie. Dans ces conditions, elle n'a ni vraiment de début ni vraiment de fin (temporellement parlant) » (Notes et contre-notes, 1962). Ici, nous ressentons cette idée d’intemporalité à travers d’une part, dite horloge et d’autre part à travers le fait que la pièce se clôt sur le dialogue initial, ce qui (comme évoqué précédemment) participe à nous transmettre la sensation d’une continuité dans l’action, mais qui n’est en réalité que le prolongement d’un cycle de non-sens qui se répète à l’infini. Enfin, est à noter le fait que l’horloge est, dans cette mise en scène , placée dans l’arrière-plan et au milieu de la pièce ainsi qu’elle soit légèrement placée en élévation sur une commode. Ceci donne l’impression qu’elle surplombe l’action. De ce fait, on peut affirmer que l’horloge a une forte valeur symbolique dans la pièce car elle sert de point de repère au spectateur quant aux intentions du dramaturge.

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