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La festivalisation de la vie culturelle berlinoise

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Par   •  5 Juin 2013  •  4 548 Mots (19 Pages)  •  1 033 Vues

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La festivalisation de la vie culturelle berlinoise

Berlin a toujours été une ville de festivals, notamment musicaux, grâce à l’exceptionnelle richesse du paysage musical de la capitale allemande. Aujourd’hui, les festivals se sont diversifiés, à la fois de par leurs genres artistiques et de par les lieux qu’ils investissent dans la ville. Ils rythment la vie culturelle berlinoise en toute saison. Ainsi, on est passé d’un calendrier estival des festivals à un calendrier annuel, où chaque mois est marqué par un ou plusieurs festivals d’importance, en plus de la myriade de festivals plus confidentiels ou des fêtes de quartier qui sont également une caractéristique festivalière de Berlin.

Déjà du temps de la partition de la ville, les festivals culturels jouaient un rôle de premier plan à Berlin-Ouest (I). Les deux années 1987, avec le Jubilé de Berlin (les 750 ans), et 1988, où Berlin-Ouest est capitale européenne de la culture, marquent une accélération de la mode des festivals à Berlin, avant que la chute du Mur l’année suivante libère les énergies créatrices et lance véritablement la mode des festivals tous azimuts. Aujourd’hui, les festivals remplissent une autre fonction que du temps de la guerre froide, une fonction à la fois festive, mais aussi de marketing urbain, au point qu’on peut se poser la question de l’instrumentalisation de la culture « festivalisée » pour les besoins de l’attraction touristique et de la mise en scène de la ville (II). Berlin fait ainsi partie de ces « Entertainment-cities » que les chercheurs anglo-saxons ont décrites, et que la sociologue allemande Annette Baldauf a également analysées dans son livre éponyme paru en 2007, Entertainment cities [Baldauf, 2007]. Le thème de la festivalisation est en outre à rapprocher du paradigme de la ville créative, celle qui crée en permanence, qui crée de l’art, mais qui crée aussi l’événement afin qu’on parle d’elle [Florida, 2002 et 2005]. Berlin en est un prototype. On y assiste à une festivalisation de la vie culturelle depuis une vingtaine d’années, qui ne semble pas s’essouffler, mais qui, pour autant, n’empêche pas la vie culturelle berlinoise de se déployer de manière plus classique, dans des lieux pérennes.

I. Avant 1989 : une vie culturelle placée sous le signe de la guerre froide

1. De l’importance de la scène culturelle dans une ville divisée

A Berlin, la culture et les festivals ont toujours eu une importance particulière. Durant l’âge d’or des années 1920, Berlin était la capitale incontestée de la musique classique et moderne, du théâtre et du cinéma en Europe, concurrençant non seulement Vienne, mais aussi Paris. A cette époque, même si l’on ne parlait pas encore de festivals, le nombre de spectacles, de concerts et d’opéras était plus élevé que dans n’importe quelle autre capitale européenne, au point que les visiteurs relevaient déjà cette propension de Berlin à créer l’événement en permanence. Des expressions comme « la ville qui ne dort jamais » ou « la Babylone pécheresse, ville de tous les plaisirs » – « et de tous les vices », ajoutaient les critiques – ne datent pas d’hier, et traduisent bien cette capacité de la Weltstadt d’alors à créer la sensation, voire le sensationnel, et donc à choquer par ses excès.

Après le désastre de la Seconde Guerre mondiale et des bombardements, il est intéressant de constater que Berlin se relève en partie grâce à la culture. En effet, dans une ville encore en ruine, le Philharmonique de Berlin se reconstitue et donne, fin 1945, un concert mémorable qui, de l’aveu même des témoins de l’époque, redonnera le moral aux habitants. Ce n’est pas non plus un hasard si les premiers bâtiments reconstruits dans la ville en ruine ne sont pas seulement les hôpitaux, mais aussi les salles de concert et de théâtre. J’ai montré dans mon livre sur « Berlin métropole culturelle » à quel point la culture était consubstantielle de cette ville [Grésillon, 2002]. Il y a, après guerre, malgré les privations, un appétit culturel qui est aussi un appétit de vivre.

Durant les 40 années de division, entre 1949 et 1989, la culture en général, et les festivals en particulier, revêtent une signification singulière. La fonction assignée à la culture n’est plus seulement d’élever l’esprit ou de divertir, elle est aussi de permettre à Berlin, surtout à Berlin-Ouest, de continuer d’exister sur la scène internationale. En effet, après la « double peine historique » infligée à la ville avec la destruction de 1945, puis la division, les fonctions cardinales, celles qui caractérisent les capitales, ont disparu. Les champions industriels, tels Siemens et AEG, ont quitté la ville de la Spree et ont migré vers les villes d’Allemagne de l’Ouest en y implantant leur siège, de même que les banques. L’appareil productif de Berlin-Ouest est démantelé, alors que Berlin était l’un des pôles industriels et financiers majeurs de l’Europe avant la guerre. C’est, d’un coup, une fonction cardinale qui disparaît. Berlin-Ouest va devenir pendant 40 ans une ville économiquement assistée. L’autre fonction cardinale, c’est bien sûr le rôle de capitale politique. Certes, Berlin-Est est promue capitale du nouveau régime de RDA, mais ce n’est qu’une moitié de ville. Quant à Berlin-Ouest, elle perd toute importance politique puisque la capitale politique de la RFA est installée à Bonn, à l’autre bout de l’Allemagne. Avec le départ de l’industrie et des banques et la perte de la fonction politique et diplomatique, qui se caractérise par la migration de milliers de fonctionnaires, des ministères et des ambassades, des bords de la Sprée vers les rives du Rhin, que reste-t-il à Berlin-Ouest ? Rien, si ce n’est la culture. Et encore ! presque tous les équipements culturels phares, tels l’opéra d’Unter den Linden, le Schauspielhaus, le Deutsches Theater, l’université Humboldt et l’île aux musées sont situés à Berlin-Est, dans l’arrondissement de Mitte.

Berlin-Ouest, s’il veut exister au moins sur le plan culturel, se doit donc de construire de nouveaux équipements culturels, de créer de nouvelles formations et de promouvoir de nouveaux événements. C’est ainsi que sont inaugurés dans les années 1950 et 1960 le Schiller-Theater, la Freie Volksbühne, le Deutsche Oper, la Schaubühne, le complexe muséal de Dahlem ainsi que la nouvelle Université libre de Berlin comme pendant de l’Université Humboldt. De nouvelles formations symphoniques sont lancées, comme le Deutsches Symphonie Orchester. Mais c’est surtout l’inauguration du Kulturforum dans les années

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