Le regard de Doubrovsky sur le Cide

Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros

Le Cid ou la conquête d’autrui

Tout d’abord Doubrovsky nous fait remarquer que les deux premières scènes du Cid sont des scènes de comédie, comme le sont les œuvres précédentes de Corneille. Et tout de suite il parle du lien entre les scènes cornéliennes et l’idéal féodal : on n'a plus à revenir aujourd'hui sur le fait que le Cid exprime les préoccupations profondes d'une aristocratie à la recherche de ses origines féodales ; en cela, le théâtre de Corneille est un théâtre d'histoire, est plus justement un théâtre qui réagit contre l'histoire, théâtre réactionnaire.

La loi féodale repose sur la loi du plus fort. Dans sa dispute avec Don Diègue, le Comte ne met jamais en doute la grandeur passée de ce dernier. Le Comte se voit aujourd’hui sans rival, mais il devient très jaloux lorsqu’il voit le Roi préférer un rival d’hier ; leur querelle éclate lorsqu’il devient nécessaire d’établir un ordre de préséance temporel. Puisqu’il est le plus fort aujourd’hui, le Comte s’estime lésé à cause de la décision du Roi.

Pour mieux comprendre la source des conflits, il faut revenir à la Dialectique du Maître et de l’Esclave, dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, qui nous permet de discuter Corneille du point de vu philosophique. L’homme est Conscience de soi, par opposition à l’animal, qui ne dépasse jamais le niveau du Sentiment du soi. Le Moi humain se révèle par ce rapport au monde qu’est le Désir animal (de boire, de manger…). Selon lui, il n’existe qu’un seul moyen de prouver à l’autre qu’on est une Conscience, c’est de s’élever au-dessus de l’animalité en s’élevant au-dessus de la vie. Hegel dit que « la vie vaut ce que nous sommes capables de risquer pour elle ». La dialectique de reconnaissance va naître celle de la domination et de la servitude. La Maîtrise se définit par la conquête du Moi de la Conscience sur Moi vital. La mort d’un des adversaires ne résout rien, celui que ne veut pas risquer sa vie, risque la servitude. Aussi, l’un doit dégrader en Esclave du Maître. Le moindre décalage entre l’être et l’agir serait la menace pour la Maîtrise.

Revenons au soufflet : donc, Le Comte a traité Don Diègue d’Esclave, et lui a refusé la mort par dérision. Le soufflet est un symbole de déshonneur. Pour échapper au déshonneur et vaincre la vieillesse, qui est représentée comme un grand danger, Don Diègue trouve une solution. Son sang, son fils, et sa continuation vengera son offense. Rodrigue y est décrit comme un instrument jeune qui agit à la place d’un père incapable de se défendre à cause de la vieillesse. Pourtant, Rodrigue, est loin d’être en accord avec toutes les idées de son père. Dans ses stances on voit de ses hésitations et le pénible développement de sa pensée, mais on peut les caractériser comme une lucide et impitoyable prise de conscience.

Don Diègue met l’honneur au-dessus de l’amour paternel. Rodrigue refuse de n’être qu’un fils aux ordres du père, et ses hésitations le témoignent. On le retrouve dans un combat du devoir contre l’amour. L’impossibilité de choisir contre l’honneur et contre l’amour le conduit à la tentation de suicide « Il vaut mieux courir au trépas ».

Mais, tout de suite, le problème devient supprimé. Il n’y a pas de conflit entre l’amour et le devoir « J’attire en me vengeant sa haine et sa colère, J’attire ses mépris en ne me vengeant pas ». Son mépris l’aurait abaissé et dégradé en classe des Esclaves, à la différence de la haine et la colère qui établissent une égalité entre le sujet et l’objet de l’émotion. Un autre exemple : « Un homme sans honneur ne te méritait pas ». Donc, c’est pour l’amour d’elle, qu’il tue son père.

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