Suffit-il de la technique pour accomplir son humanité ?
Dissertation : Suffit-il de la technique pour accomplir son humanité ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar crochet2 • 15 Décembre 2021 • Dissertation • 4 703 Mots (19 Pages) • 365 Vues
La publicité vante le dernier smartphone comme l’objet-bonheur intégral, et de façon générale, l’invention technique ouvre l’imaginaire à l’espoir, en mêlant l’idée de la nouveauté à l’effacement d’une frustration. Mais sommes-nous plus humains du seul fait de repousser artificiellement nos limites ? « Suffit-il de la technique pour accomplir notre humanité ? » Le problème est de savoir si l’extension du réel que recouvrent l’acte et la réalisation techniques intègre tout le champ de notre humanité. Dit autrement, il faut, du côté du concept de technique, savoir si le mode technique de l’existence humaine est un mode authentiquement humain et susceptible de l’être excellemment et éminemment ; et, du côté du concept de notre nature, savoir si l’idée de l’accomplissement humain est conforme ou adéquate à la matière dont toute technique est manipulatrice ou transformatrice (l’accomplissement humain est-il une question technique ? On ne le saura qu’en déterminant à quel point nous appartenons à cette nature que la technique est susceptible de transformer). Y a-t-il dans la technique, au-delà d’une simple reconnaissance de l’humain, la satisfaction fondamentale d’arriver au bout de ce que peut l’humanité ? Nos problèmes techniques sont-ils des conditions d’humanité susceptibles de représenter tout le drame du monde et l’excellence de l’espèce humaine ? Faut-il, au contraire, considérer qu’en fin de compte, puisque c’est toujours la seule nature que la technique modifie, et que l’homme, relativement à cette nature, ne s’y retrouve pas, il y est toujours en situation de la transcender ; alors, nous devrions dénoncer l’idée d’une immanence de l’humanité à l’ordre technique et naturel. Voici notre humaine alternative : entre une pâte humaine, faite d’un matériau naturel techniquement transformable, et une irréductible transcendance de l’homme, qui ne s’ouvre à la technique que par accident. Intégré totalement (aspiré substantiellement), ou impliqué, mais extérieurement (relié seulement fonctionnellement), voilà les deux pistes à suivre, si nous voulons comprendre le rapport que nous entretenons avec le réel pour déterminer quelle est l’importance de la technique dans notre humanisation.
Certain de l’importance décisive de la technique dans la vie humaine, importance aussi pour la nature dans son ensemble, Platon formule dans le Protagoras, le « mythe de Prométhée » à l’occasion duquel nous voyons notre humanité dans une incomplétude naturelle tragique, que seul le vol de dispositions divines et leur usage par l’homme permettraient de compenser. L’humain est pensé naturellement inapte à la vie ; c’est seulement par artifice qu’il s’en rendrait capable. « Le feu » et « la science des arts (au sens des artifices) » symbolisent les deux conditions qui, combinées, rendent possible la réalisation des choses artificielles, celles que la nature ne produit pas par elle-même. La technique vient de là, elle vient des besoins qu’aucun instinct ni aucun organe ne satisfont, elle vient du travail par lequel la puissance de transformation de toute chose se combine avec l’imagination créatrice de l’artisan. Le concept de « la technique » renvoie, pour sa compréhension, à l’ensemble des moyens et des manières liés à l’intérêt de vivre, inventés par les hommes dans leur histoire, et transmissibles par enseignement. Pour son extension, ce même concept « la technique » s’étend du plus petit outil fabriqué, jusqu’aux systèmes complexes de l’industrie et de la gestion sociale et sanitaire de l’économie. Il faut répondre à l’exigence de survivre par l’invention d’artifices et par un fonctionnement efficace de l’ensemble des activités humaines. Pourtant, nous rencontrons dans ce texte le symbole du feu (principe de destruction) dès la naissance des « races mortelles », lorsque les dieux façonnent les espèces avec un « mélange de terre et de feu » ; ce façonnage que permet le feu dans « les mains » des dieux est le symbole de ce qui fera la matière vivante, la matière mise en forme pour des vivants. La vie alors, c’est un matériau divinement façonné, réalisé à partir du matériau inerte que constitue la matière brute. Mais lorsque l’homme utilisera ce même feu, ce sera pour façonner les choses selon son art d’artisan (principe de construction), un art humain seulement, implanté par infraction dans sa nature de mortel (sa nature, elle-même façonnée comme celle des autres vivants). La différence de nature entre le divin immortel et l’humain mortel reste constitutive de l’ensemble du monde créé par l’homme : le monde humain reste un monde de mortels. La technique accomplit les conditions d’une survie qui n’éloigne la mort que temporairement. Est-ce cela l’accomplissement de notre humanité ?
Mytiquement, le monde humain est de la création dérivée de créatures. Or, dans un univers gouverné par le destin, il faut une destination à chaque chose. Cette dérivation est-elle à la hauteur de la destination humaine ? Peut-être n’y a-t-il pas de destin, peut-être n’y a-t-il plus de destin dès lors que l’homme fait usage du feu pour changer la nature selon ses plans à lui… En effet, la technique, cet ensemble d’artifices dans les buts et les moyens, ouvre le chantier de l’histoire, en rupture d’avec la nature ; et la question se pose de savoir si la fin ultime, poursuivie par l’homme à travers ses buts et ses moyens, si cette fin appartient à la nature aussi. De la nouveauté se glisse dans les contraintes de la nature, avec et par ces contraintes-mêmes (c’est ainsi que le poids naturel de la pierre lui permet d’édifier la cathédrale). Cette nouveauté fait-elle tout l’accomplissement de notre humanité instantanément (ou bien seulement au bout des temps) ? Dit-elle toute l’humanité, au sens où, dès la perte de l’ancien, c’est la naissance du nouveau monde ? Le concept de « notre humanité » renvoie, pour sa compréhension, à ce qui ferait notre propre, distinctement de ce qui fait la propriété des autres espèces vivantes ; et de ce point de vue, c’est une définition encore en question, et même l’objet précis de notre sujet. Pour son extension, « notre humanité » renvoie à tous les individus réellement existants et porteurs de ce phénomène d’activité plus ou moins novatrice, mais notre humanité doit sans doute s’étendre jusqu’aux confins des mondes fabriqués par ces individus dans toute la durée des millénaires d’histoire. Cette nouveauté a-t-elle un statut ontologiquement séparé de la nature et ce statut est-il celui, positif, de l’humanité ? Si c’est le cas, on peut dire que la technique accomplit l’humanité dès la première pierre
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