Spinoza : l'illusion de la liberté
Commentaire de texte : Spinoza : l'illusion de la liberté. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar ladissert.34 • 22 Avril 2021 • Commentaire de texte • 2 296 Mots (10 Pages) • 1 413 Vues
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Sujet 2 : explication de texte
Dans ce texte, Spinoza cherche à démontrer que l'illusion de la liberté repose en définitive sur une méprise : l'homme se sent la cause de son action, mais il ignore les causes qui le déterminent. L'homme croit donc être une source libre puisque la liberté n'est rien d'autre que la production d'une série causale. En effet, la volonté est libre si elle est cause de mon action sans être elle-même déterminée à agir de telle ou telle manière par une cause supérieure. Certes, je ne décide pas de mes désirs car les désirs s'imposent à moi. C'est en ce sens que Spinoza affirme « qu'il n'est rien qu'ils puissent moins faire que de gouverner leurs appétits ». Or, si je ne suis pas libre quand j'obéis à mes désirs, il s'ensuit que je suis libre quand je peux y résister, c'est-à-dire quand le désir lui-même n'est pas trop impétueux : c'est l’opinion habituelle. La plupart des gens croient qu'il suffit, pour maîtriser un désir, de se rappeler les désagréments qu'on a éprouvés la dernière fois qu'on y a cédé. De manière que nous ne sommes pas libres de dominer tous nos désirs. Or, cette opinion est indéfendable, comme le montre Spinoza dans la seconde partie du texte. On a tous commis des actes qu'on a ensuite regrettés, que ce soit pour leurs conséquences désastreuses ou par mauvaise conscience. Souvent donc, « nous voyons le meilleur et faisons le pire » : nous savons ce qu'il faudrait faire, ce qui serait utile pour nous, ou moralement recommandable ; et cependant, nous ne pouvons-nous y résoudre, et faisons tout le contraire. Comment alors affirmer que nous avons toujours la liberté d'agir contre nos désirs ?
La dernière partie du texte explique que : le nourrisson n'est pas libre de désirer le lait, le bavard de parler, le couard de fuir. En effet, le peureux voudrait parfois montrer un peu de courage et le bavard se taire. Or ils n'y parviennent pas. Il faut donc admettre qu'il y a là un désir qui ne dépend pas d'eux, sur lequel leur volonté n'a aucune prise, de ce fait, cette dernière est bien déterminée à vouloir ceci ou cela, et non libre de choisir. Mais alors, d'où vient l'illusion de la liberté si l'expérience nous dit que nous ne sommes pas libres ? Parce que c'est nous qui agissons, nous croyons être à l’origine de nos actions. Parce que le lâche se met à courir, il croit qu'il aurait pu rester sur le champ de bataille ; c'est tout simplement parce qu'il ignore que sa volonté elle-même est enchaînée à ses désirs, qui sont autant de « causes » qui nous déterminent.
Pour Descartes, la « liberté de notre volonté » se connaît immédiatement, « sans preuves » par « la seule expérience que nous en avons». Nous en faisons l'expérience en particulier dans le doute. Au moment même où nous doutons de tout et où nous supposons que celui qui nous a créés emploie tout son pouvoir à nous tromper, nous affirmons l'indépendance absolue de notre volonté à l'égard de la raison et expérimentons ainsi notre liberté. Celle-ci est si parfaite, si ample « qu'elle n'est renfermée dans aucune borne ». Elle nous fait connaître « que nous sommes à l'image et à la ressemblance de Dieu». Le « je doute » implique donc la liberté : le « je suis libre » est la suite immédiate du « je doute ». Je doute donc je suis libre. Pour Spinoza, il est évident que nous ne décidons pas de nos désirs. C'est si évident qu'il n’est pas nécessaire de faire une démonstration, et c'est à partir de ce constat que Spinoza construit ici son raisonnement. S'il « n'est rien que les hommes puissent moins faire que de gouverner leurs désirs », si notre volonté n'a aucun pouvoir sur les désirs qui la déterminent, alors nous ne sommes pas libres du tout : ma volonté peut être dite libre si elle est cause mais n'est pas causée. Spinoza soutient que ce qui détermine la volonté à vouloir n'est pas du ressort de la volonté : cette dernière est donc cause parce que causée, parce que mon désir résulte à chaque fois de l'action des choses extérieures sur moi. Or nous sommes bien tous conscients de cette force que les désirs exercent sur nous. L'opinion commune affirme la liberté d'action en l'homme.
Nous avons tous le sentiment intérieur de notre liberté. Or, un être libre est un être qui doute, qui affirme ou qui nie, qui veut ou qui ne veut pas. Cette liberté se manifeste d'abord dans l'état d'« indifférence» lorsque la volonté « n'est point portée par la connaissance du vrai ou du bien à suivre un parti plutôt qu'un autre». Ainsi, l'âne de Buridan, entre deux prés dont l'herbe est également fraîche, est également porté à l'un et à l'autre. Dans une telle situation, si l'âne n'a pas la liberté de choisir entre l'un ou l'autre pré, il se laissera mourir de faim. La liberté est précisément ce qui permet de choisir entre deux partis contraires auxquels nous sommes également déterminés. Dans un tel choix, nous expérimentons la liberté de notre volonté qui n'est déterminée par aucun mobile ou motif à pencher dans un sens plutôt que dans l'autre.
Nous continuons donc paradoxalement à nous croire libres parce que tous nos désirs ne nous semblent pas avoir la même force, nous nous imaginons qu'ils sont de deux sortes : il y aurait des désirs faibles, et donc aisément maîtrisables, et des désirs puissants, de véritables passions, dont l'expérience ordinaire nous montre que nous ne savons pas les dominer. Nous en concluons alors que si nous ne sommes pas libres à l'égard des seconds, nous le sommes cependant à l'égard des premiers : pour les « choses à l'égard desquelles nous tendons légèrement », il nous serait facile de résister à la tentation, parce que d'autres idées en nous, plus puissantes, nous persuaderaient aisément qu'il découlerait pour nous plus de bien que de mal de les assouvir. Enfin Spinoza précise-t-il qu'une telle idée doit être « fréquemment rappelée » : l'idée confuse d'un événement passé désagréable a tendance à avoir moins de force sur notre esprit que l'idée quant à elle plus vive d'un plaisir prochain.
On commence alors à entrevoir ce que la suite du texte va confirmer : il se pourrait que nous soyons simplement le jouet passif (et donc non libre) de ces idées plus ou moins puissantes qui s'affrontent en nous. Reste que ce qui nous apparaît, c'est que tous nos désirs n'ont pas le même degré de puissance : les « choses auxquelles nous tendons avec une affection vive », nous ne voyons bien qu’aucun « souvenir » ne suffit jamais à nous en détourner. Dans ce cas alors, quand bien même j'en aurais souffert par le passé, la puissance de mon désir l'emporte et il me mène là où il le veut. Seul donc l'homme qui serait sous l'emprise d'une passion obsédante, obnubilé et comme aveuglé par elle, ne pourrait être dit libre; les autres hommes, ceux qui en fait composent le train du monde, plus raisonnables semble-t-il, disposeraient à l'inverse d'une parfaite « liberté d'action ».
Il en ressort finalement que, pour le sens commun, l'absence de liberté serait l'exception et non pas la règle : nous avons tous spontanément tendance à nous croire libres. Mais c'est là qu'est l'illusion : l'expérience ne se laisse pas si aisément contre-tire. À moins d'être complètement insensés, en effet, nous ne pouvons nier que s'il est bien un sentiment que nous éprouvons « souvent » et « maintes fois », c'est celui du regret ou du remords : je savais parfaitement que ce que je m'apprêtais à faire finirait par me nuire, c'est-à-dire se révèlerait désavantageux et désagréable pour moi, et je l'ai fait tout de même ; ou encore, je savais très bien que cette action était purement et simplement immorale, et pourtant, malgré ce savoir, je l'ai bel et bien commise. Dans chaque cas, je le regrette ; et qu'est-ce à dire, sinon que ce n'est pas nous qui décidons en vérité de nos actes, mais bien des forces ou des puissances en nous, les désirs, auxquelles nous nous montrons incapables de résister ?
Comment donc en effet expliquer que le plus souvent et paradoxalement « nous voyons le meilleur et faisons le pire » ? Puisque je sais ce qui est bon (pour moi ou en soi), pourquoi donc est-ce que je ne le choisis pas? Les hommes ne sont tout simplement pas libres dans leurs choix : ils ne disposent aucunement d'un libre arbitre, entendu comme capacité de choisir souverainement ce qu'ils font. Le problème qui se pose alors avec une acuité redoublée est le suivant: comment se fait-il que la plupart des hommes se croient parfaitement libres de vouloir et d'agir, alors que l'expérience elle-même leur montre constamment qu'ils ne le sont en fait pas du tout? C'est à cette question que répond Spinoza dans la dernière partie du texte.
Pour Spinoza, le libre arbitre est une illusion : « Les hommes... se trompent en ce qu'ils pensent être libres; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L'idée de leur liberté c'est donc qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions ».
Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre. Qu'ont donc en commun tous ces « individus de même farine »? Tous éprouvent un désir dont ils ont bien conscience, et tous y cèdent, quelles qu'en soient les conséquences (bonnes ou mauvaises pour eux) et quelles que soient les bonnes résolutions qu'ils avaient pu prendre auparavant: l'homme ivre, sous l'effet de son ivresse, se laissera aller à parler plus que de raison et révèlera peut-être des secrets qu'il avait pourtant promis de taire, perdant ainsi un ami cher. Le peureux, avant d'aller au combat, était sans doute persuadé qu'il ferait acte de bravoure, et qu'il sortirait de l'épreuve du feu avec tous les honneurs, admiré par ses compagnons d'armes ; le voilà pourtant qui, étreint par la peur de mourir, fuit au premier coup de canon. Néanmoins, là est le paradoxe, tous diront que ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait par « un libre décret de leur âme ». Ainsi, c'est parce que j'ai voulu fuir que j'ai fui, dira le lâche: c'était mon choix. Les raisons invoquées ne manqueront pas : cette guerre était absurde ou perdue d'avance, etc. Ce qui sera par contre passé sous silence par ce peureux, c'est pourtant l'essentiel, c'est-à-dire le véritable moteur de sa fuite, sa vraie cause, qui quant à elle ne lui apparaît pas : la peur irrésistible qui l'a saisi et dont sa fuite n'a été que la conséquence inéluctable.
Tout est donc limpide : là même où je crois décider librement de mes actes, je ne fais en fait encore et toujours que céder à l'impulsion la plus forte qui s'exerce sur moi. Mais je me croirai et me dirai pourtant libre, tout simplement parce que j'ai conscience de ce que je fais (de fuir, de parler, etc.), tout en ignorant les causes qui me déterminent d'une manière parfaitement nécessaire à agir de cette façon. C'est donc la conjonction de la conscience des effets et de l'ignorance des causes, qui explique notre croyance purement illusoire en l'existence d'un libre arbitre : je me crois cause souveraine, donc libre, des effets que sont mes actes par pure et simple ignorance des causes réelles, quant à elles extérieures, qui les produisent en fait (le lait, l'alcool, etc.). Il faut donc en conclure que non seulement je me crois libre, mais que je me crois nécessairement libre, lors même que je ne le suis pas. L’illusion est inévitable car elle découle de notre nature même : nous sommes, en tant qu'êtres humains, conscients de nous-mêmes, et toujours d'abord ignorants de l'ordre des causes et des effets dans la nature. Le comble, c’est « l'expérience » elle-même sur laquelle Spinoza s'est appuyé dans ce texte qui nous le montre aussi clairement que le raisonnement lui-même.
En conclusion, la liberté de la volonté, dont les hommes se prévalent si volontiers, n’est que pure illusion ; elle ne s’applique à rien de réel, mais témoigne plutôt de leur ignorance à l’égard de l’ordre de la Nature. Ils imaginent une liberté de la volonté s’exprimant à travers les décrets de l’esprit, mais ne parviennent pas à saisir les « causes » réelles qui les déterminent à agir : la puissance du corps et la force des passions. Il faut comprendre ici que cette illusoire liberté engendre, paradoxalement, la servitude humaine à l’égard du réel. Ne comprenant pas l’ordre réel de la Nature, les hommes se condamnent à le subir ; en le subissant, ils tentent de s’y soustraire en imaginant d’autres voies ; en imaginant d’autres voies, ils oscillent entre l’espoir et la crainte, ces deux puissants ferments de la superstition
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