Philosophie: le prisme déformant des concepts
Dissertation : Philosophie: le prisme déformant des concepts. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Didi Del • 19 Novembre 2018 • Dissertation • 442 Mots (2 Pages) • 652 Vues
) Le prisme déformant des concepts
Bergson reconnaît que le langage a des effets sur notre perception du réel. Mais cela
ne signifie pas pour autant, selon lui, que la pensée soit intégralement tributaire du
langage. Au contraire, elle risque surtout d'être déformée et appauvrie par les schèmes
préfabriqués que nous fournit le langage. La langue déforme la pensée car elle consiste
en un ensemble de mots, donc de concepts, qui banalisent nécessairement ce que nous
voulons dire. Les mots sont comme des catégories prédéfinies qui s’interposent entre
nous et les choses, qui nous donnent d’emblée une interprétation des choses et occultent
leur richesse infinie. Aussi cette question linguistique ouvre une réflexion métaphysique
sur la nature intuitive de la pensée comme fondement transcendant du langage.
Texte 1 p.188 (en partie reproduit ici)
"Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des
étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous
l'influence du langage. Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des
genres…Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états
d'âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement
vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nus sentons joyeux
ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les
mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose
d'absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens.
Mais le plus souvent, nous n'apercevons de notre état d'âme que son déploiement
extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que
le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les
mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu,
l'individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des
symboles".
Bergson, Le Rire, 1900
Pour Bergson, les mots sont des étiquettes que nous collons sur les choses. Et l'étiquette
que nous collons, c'est l'usage, l'utilité d'un objet. Il veut dire que nous ne voyons que le
côté pratique des choses, avantageux pour l'action, notre confort, nos différents besoins.
L'étiquette qu'on colle sur un objet correspond à son utilité pour nous. C'est pourquoi il
écrit "que nous ne voyons pas les choses mêmes". On ne voit pas cette chaise là, avec sa
particularité ; on voit qu'elle est propre, solide, et qu'elle est vide, qu'on peut s'y asseoir,
et c'est tout ! Nous ne regardons pas, nous repérons comment satisfaire nos intérêts
avec ce qui nous entoure. Les "étiquettes" sont donc des possibilités d'utilisation vite
repérées et associés aux objets.
Précisons que selon Bergson la perception est le fait d'un être vivant qui se fait centre de
son action, se repère, évalue les menaces, détecte ce qui lui est propice, cherche à
prévoir pour faciliter l'insertion de son action dans le monde....Notre rapport au monde
est sélectif: nous fabriquons une interprétation du réel relative à notre préférence vitale.
Pour ce faire, nous avons besoin de catégories utilitaires qui classent et permettent la
reconnaissance. En tant qu'usagers du monde naturel, nous entretenons donc un
rapport d'ustensilité avec lui. L'homme est homo faber avant d'être home sapiens. Notre
rapport primitif au réel est d'abord un rapport pragmatique plutôt que théorétique.
"Vivre c'est n'accepter des objets que l'impression utile pour y répondre par des
réactions appropriées (...). Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la
réalité qu'une simplification pratique" (Le Rire, PUF, p. 116)
Notre rapport à la réalité est donc médiatisé par un principe d'utilité. Le langage
n'arrange rien. Il contribue au contraire à la formation de repères conceptuels
commodes pour l'intelligence, et invite aussi à coller des étiquettes linguistiques, cette
fois, sur les objets repérés comme étant utiles. Le premier étiquetage provenait des
nécessités de la vie : "cette tendance issue du besoin". Le langage va fixer, avec des mots,
le repérage de l'utile. Les signes vont consacrer le découpage de la réalité en fonction
des intérêts vitaux, des intérêts de l'action.
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