Peut-on penser la religion?
Dissertation : Peut-on penser la religion?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Magdolna • 22 Mars 2019 • Dissertation • 6 457 Mots (26 Pages) • 608 Vues
PEUT-ON PENSER LA RELIGION
ou PENSEE, RAISON ET RELIGION
INTRODUCTION
Si l'on peut, avec Kierkegaard, définir la religion en général comme la tension de l'intériorité vivante vers Dieu comme objet absolu du désir humain pour en spécifier le sens comme architecture symbolique et rituelle structurant la psychè et la communauté des hommes dont elle constitue la mémoire héritée, la tradition transmise et retransmise , on peut se poser la question de savoir si ce dépôt de la mémoire des peuples peut constituer légitimement un objet pour la pensée. Si, par ailleurs, on entend par "pensée" la cogitatio cartésienne, l'activité rationnelle de mise à jour des idées claires et distinctes capables de faire système sans contradiction constitutive, bref l'acte même de philosopher c'est à dire de produire de l'intelligibilité, de la logique dans une sphère d'activité spontanée de l'homme, la prétention de penser la religion pose problème.
En effet, si l'on peut entendre par "philosophie de la religion" une étude rationnelle qui s'efforce de saisir l'essence de la religion , son but, sa visée ne peut être que de dire ce que signifie et ce que vaut la religion au regard de la raison. Or, la notion de philosophie de la religion fait précisément problème car la philosophie se présente comme démarche de la raison, visant à acquérir des évidences, des convictions justifiées, rationnellement fondées. D'autre part, la philosophie étant une attitude essentiellement réflexive, loin de se juxtaposer aux autres attitudes humaines, elle les "reprend", les "ressaisit", les "clarifie" avec comme difficulté propre le devoir de les respecter dans leur originalité (exemple: l'art, la science, la religion etc..) tout en les soumettant à examen. Enfin, si elle se donne pour tâche de les comprendre, cela implique qu'elle puisse les juger, les critiquer, voire les purifier. Est-il possible de concilier ce "respect" et cette "critique"? En particulier lorsqu'il s'agit de religion où l'intelligence requiert la collaboration d'autres facultés que la simple raison? La foi relevant d'un sentiment existentiel irréductible - comme l'est par exemple l'amour - , celui qui n'a pas fait cette expérience du sentiment religieux est-il habilité à en parler? Ne faut-il pas, par ailleurs, distinguer comme l'a fait Dilthey, l'explication rationnelle, analytique, de la compréhension empathique et avouer, à la suite de Kierkegaard que, dès qu'il s'agit du noyau même de la foi, la rationalité pure à laquelle Kant voulait réduire la croyance, ne suffit pas? Dans quelle mesure donc une philosophie de la religion est-elle possible?
I. LA RAISON ET LA FOI
C'est un très vieux conflit que celui de la raison et de la foi. En vertu de son génie propre, la raison est portée non seulement à n'accorder de crédit qu'à ce qui est explicable ou expliqué, mais aussi à vouloir tout résoudre sans autre secours que la critique qu'elle puise en elle-même, dans sa propre immanence. Le rationalisme transforme cette impulsion en assurance parfois dogmatique. La force de la raison en tout cas réside en l'administration d'un savoir vérifiable, producteur de consécutions et d'enchaînements, progressant sur un terrain solide par élimination des incertitudes là où la preuve vient justifier ses assertions.
La foi reconnaît le prestige de la raison, mais elle laisse perpétuellement ouvert l'immense espace des incertitudes que la raison ne parvient pas totalement à lever. A ce titre, la foi déborde l'intelligibilité par la seule raison, parce qu'elle reconnaît la validité d'autres puissances de l'être comme celles du coeur, de la grâce, du don, du mythe, du mystère, du sacré ou de l'amour, mais également celles de l'affliction, de l'angoisse, de la peine, de la perversion ou du mal.
Si Pascal a été si sévère pour la raison, ce n'était pas pour la dénigrer systématiquement, mais pour désapprouver ses revendications unilatérales et souvent abusives. "Deux excès, disait-il, exclure la raison, n'admettre que la raison". Pour lui, en effet, la raison ne constitue pas le magistère suprême et infaillible, au contraire. "La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent; elle n'est que faible si elle ne va pas jusqu'à reconnaître cela."
La foi n'est cependant pas le complément de la raison, mais une manière de comprendre autonome ce que, en vertu de ses présupposés, la raison écarte ou néglige. Or, tout n'est pas rationnel ni raisonnable dans l'être humain. Il y a en lui des manifestations qui ne sont accessibles dans leur signification que par la foi, telles la révolte, l'angoisse, tout ce qui touche la vie de l'âme. Dans Le sentiment tragique de la vie, Unamuno qualifie la raison de "quiétiste" en ce sens qu'elle a tendance à mépriser tout ce qui est de nature conflictuelle ou perturbante. On ne saurait en outre expliquer l'homme uniquement par ce qui est humain dans la mesure où, selon la formule de Pascal, "l'homme passe infiniment l'homme". Il participe à une idéalité et à une transcendance qui ne sont pas conceptualisables. Par ailleurs, comment penser le relatif sans l'absolu, le fini sans l'infini, le mobile sans l'immobile, le transitoire sans le permanent? L'expression kantienne de "foi rationnelle" n'est de ce point de vue qu'une consolation verbale qui permet de maintenir artificiellement la priorité de la raison (qui postule les objets de foi en fonction des besoins relatifs à la cohérence de sa pensée) pour s'épargner la peine de réfléchir sur le caractère sui generis de la foi. Par ailleurs, tout n'est pas objectif ni objectivable et l'être humain est capable d'élans et de transports ainsi que de torpeurs et de prostrations qui ne trouvent leur signification compréhensive, à défaut d'explication, que dans la foi au sens large du terme.
Au sens plus restreint, le terme de "foi" a une connotation plus spécifiquement religieuse.Peut-on, sans plus ou sans reste, affirmer avec Nietzsche, qu'elle est tout simplement un "interdit de penser" ou avec Voltaire que "la foi consiste à croire non pas
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