Petits poèmes en Prose, Baudelaire, 1862

dessus. Tous les poèmes publiés dans La Presse en 1862 l'ont été sous le titre Petits Poèmes en prose mais Baudelaire parlait le plus souvent de son œuvre, dans sa correspondance par exemple, en se référant au Spleen de Paris.

Le titre PPEP est intéressant dans la mesure où il montre que Baudelaire tenait à insister sur le genre, ainsi qu'il le fait dans sa lettre à Arsène Houssaye, directeur de la revue La Presse: « Quel est celui de nous qui n'a pas dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience? »

SDP semble plus problématique: peu de poèmes traitent en effet de sujets propres à Paris. Mais le spleen de Paris peut être aussi bien celui que l'on éprouve à Paris que celui que le souvenir de Paris inspire au poète, ou encore celui que Paris lui-même éprouverait. Les sens peuvent se superposer. De toute manière l'épilogue lui-même tend à montrer que Paris est bien central dans cette œuvre (« Je t'aime, ô capitale infâme »). Évidemment il convient de souligner la diversité thématique du recueil qui envisage des sujets aussi variés que les femmes, les artistes, les pauvres, les foules, le temps, l'évasion...Baudelaire dépasse l'introspection qui caractérisait les FDM pour tourner son regard vers les autres.

Origines du genre du poème en prose et de l'expression elle-même

Baudelaire n' est pas l'inventeur du genre. Mais c'est lui qui forge l'expression « poème en prose ». Il est le premier à l'utiliser et à publier un recueil de prose s'affichant (par le titre) comme de la poésie. Il exprime clairement toujours dans la même lettre à Houssaye ce qu'il doit à Aloysius Bertrand (voir votre livre pages 161 et suivantes): « c'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins le fameux Gaspard de la Nuit,[...] d'Aloysius Bertrand que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque ».(pages 161 à 164).

quelles sont les caractéristiques du poème en prose?

Il s 'organise selon plusieurs aspects, qu'il combine ou présente isolément.

Un aspect narratif, qui le rapproche du conte ou de la nouvelle, du récit réaliste ou merveilleux. Dans « le Fou et la Vénus » par exemple , Baudelaire écrit « Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé ». Ou encore, « Il se disait en se promenant dans ce grand parc solitaire »(« Les projets »). L'importance de la narration est régulièrement soulignée. Le récit prend souvent le caractère d'un apologue ou d'une moralité.

Un aspect descriptif qui le rapproche du tableau. La description est très picturale en effet, soit avec des contours nets, précis (« le port », « la belle Dorothée ») soit plus flous, presque impressionnistes (« Un hémisphère dans une chevelure », « le gâteau »)

Un aspect musical car le poète se montre attentif à des effets de rythme et de sonorités. Par exemple dans « Un hémisphère », la scansion des strophes par la répétition de « de ta chevelure » introduit un refrain. Ou bien dans « les bienfaits de la lune », l'allitération en S qui suggère le glissement de l'astre: « Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages, et passa sans bruit à travers les vitres ». Ou encore ce vers blanc dans « Le désir de peindre »: « Et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond ».

une mise en page particulière dont Aloysius Bertrand rendait déjà compte dans ses Instructions à Monsieur le Metteur en pages:

« Règle générale: blanchir comme si le texte était de la poésie ».

Il évoque des « couplets » . La mise en page, on le voit, doit être très soignée, elle indique une recherche, une différence par rapport à un texte en prose non poétique.

« Ainsi qu'il se présente comme une alternative au poème versifié ou comme une manière de libérer l'écriture de ses contraintes, épousant plus simplement les contours de la rêverie ou de la méditation intérieure, qu'il rende compte du monde moderne avec l'acuité d'une forme condensée et brève, le poème en prose a le mérite de pousser le lecteur à s'interroger sur la définition même de la poésie ». (Manuel Soleils d'encre, page 323)

Après Baudelaire

D'autres poètes écriront des recueils de poèmes en prose

Arthur Rimbaud: Illuminations 1886. Recueil composite, dont la date d'écriture n'est pas connue. Marque une rupture très nette avec la facture des autres poèmes de Rimbaud, propose des textes souvent énigmatiques, d'interprétation parfois malaisée, mais toujours fulgurants et d'une écriture brillante et puissante. Allez voir, juste pour le plaisir! Laissez-vous porter.

Paul Claudel Connaissance de l'est 1907: recueil composé en Chine, textes descriptifs lyriques et souvent tournés vers l'observation du monde extérieur.

Victor Segalen Stèles 1912: recueil en partie inspiré par le précédent

Francis Ponge Le parti pris des choses 1942. Le recueil se présente comme une collection d'éléments du monde extérieur parmi les plus humbles (le cageot, la cheminée d'usine...) avec une attention très soutenue au langage.

Le XXème siècle a vu se généraliser cette forme, portée à son apogée par René Char par exemple dans La Fontaine Narrative en 1947. Le titre du recueil signale la quête de fluidité du genre.

La vidéo ci-dessous est en fait une émission de radio, consacrée à la vie de Charles Baudelaire.

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