Le temps est-il l’ennemi du bonheur ?
Dissertation : Le temps est-il l’ennemi du bonheur ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Marie - Paul Nadal • 17 Mars 2022 • Dissertation • 1 855 Mots (8 Pages) • 728 Vues
Le temps est-il l’ennemi du bonheur ?
Les grandes lignes de notre vie se résument à naître, grandir, vieillir et mourir. La vie est essentiellement temporelle et mortelle et ce qui caractérise l’homme en particulier, c’est justement d’en avoir conscience. Aussi vit-il douloureusement son rapport au temps, qui le sépare de ce qu’il désire, qui emporte ce et ceux qu’il aime, qui le rapproche inéluctablement de sa fin. Le temps semble bien être en permanence l’ennemi (c’est-à-dire tout ce qui dans notre vie nous nuit, joue contre nous en nous mettant en échec : nous n’aimons pas nos ennemis et nous nous efforçons, en conséquence, d’échapper à leur pouvoir.) du bonheur. Seulement le temps peut aussi apporter avec lui son lot d’événements passionnants et de relations épanouissantes qui nous procurent de nombreux et très diversifiés moments de bonheur. Ainsi, le temps pourrait également être considéré comme notre allié, c’est-à-dire celui que l’on accueille avec reconnaissance, qui nous apporte son aide, concourt à nos projets et à nos actions. Ces deux fonctions du temps (l’ennemi et l’allié) sont donc antinomiques et il nous semble naïvement qu’une même chose ne peut pas être les deux à la fois. C’est que d’ordinaire l’ambiguïté nous échappe, or ce qui est précisément en jeu ici est l’ambiguïté de notre expérience du temps.
« Avec le temps, va, tout s'en va » (Léo Ferré, Avec le temps, 1972) se lamente-t-on comme si nous vivions le temps de la même manière qu’une malédiction, qu’un adversaire nous confrontant à notre impuissance et suscitant révolte, désespoir voire ressentiment. Mais d’autres expressions attestent du contraire. « Fais confiance au temps, il guérit toutes les blessures » dit-on parfois. Quel est donc le statut du temps dans l’existence humaine face à la recherche du bonheur ? Un ennemi et adversaire seulement, ou aussi une chance, la condition de notre liberté et l’occasion de déployer les ressources sublimes de notre humanité ? Et d’où vient cette ambiguïté ? Dépend-elle de la nature du temps ou de notre manière de nous projeter vers lui ?
On dit que le temps passe ou s’écoule à l’image du sable retenu dans son sablier. Notre expérience du temps est celle de la constatation du changement des êtres et des choses autour de nous, ainsi que de nos changements propres. Nous nous représentons le temps comme un fleuve emportant tout sur son passage, à l’instar de l’aphorisme d’Héraclite disant : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». La fuite du temps est donc une expérience de la finitude. Le temps nous est compté, non par un caissier qu’il faudrait payer pour continuer à vivre, mais par un bourreau qui nous attend de pied ferme et auquel nous ne pouvons échapper. Nous sommes tous des condamnés à mort en sursis et chaque moment qui passe nous rapproche de l’échéance ultime où nous devrons poser un pied sur l’échafaud. D’où l’angoisse procurée par cette conscience de l’inextricable.
Toutefois, c’est parce que la vie est mortelle et fragile qu’elle a une infinie valeur. Sa puissance d’émotions et d’aventures justifie sa brièveté. En effet, une vie ne possédant aucune fin ne s’apparenterait pas tant à un don précieux qu’à une exposition éternelle à l’ennui. C’est aussi parce que la vie est menacée par sa fin qu’il y a une urgence de vivre, c’est-à-dire de cueillir le jour et d’agir pendant qu’il est temps « carpe idem ». Enfin, le sablier qui s’écoule est l’illustration parfaite du fait que, l’homme, hanté par le caractère destructeur du temps, produit des œuvres par lesquelles il cherche à se le représenter et à lui survivre.
La locution « Tempus fugit » traduit le vieillissement, l’essoufflement de la vitalité juvénile, les offenses diverses de l’âge, la perte des illusions. Cette fuite du temps nous confronte à notre inexorable perte, or il y a en l’homme une horreur de ce qui le détruit. Néanmoins, pour certains, vieillir est l’occasion d’acquérir de l’expérience, de mûrir et de construire aussi, en inscrivant son effort dans une durée nous liant à ceux qui nous ont précédés et à ceux qui nous suivront.
Si l’espace peut se parcourir d’un point A en allant vers un point B et de ce point B en retournant vers A, le temps, lui n’a qu’une unique direction. Nous ne pouvons jamais revenir en arrière, il ne se parcourt que dans un seul sens.
Ce qui a été n’est plus et ne se retrouvera jamais, d’où la nostalgie des jours heureux et le soulagement de la fin d’un événement sollicitant. Ce qui est fait ne peut être défait. Tous les parfums d’Arabie n’effaceront pas la tache de sang qui souille la main de Lady Macbeth, d’où le regret et le remords.
Mais l’expérience de cette impuissance existentielle peut conduire les hommes à libérer les ressources les plus sublimes de leur nature. Le pardon, par exemple qui selon Hannah Arendt, libère du poids du passé et offre une nouvelle chance à la liberté. Mais aussi, la justice comme souci de la réparation, même purement symbolique et surtout le sentiment de responsabilité. Éteint donné qu’on ne peut défaire ce qui a été fait, il importe de bien mesurer les conséquences de ses actes et d’éviter de commettre l’irréparable.
L’irréversibilité, c’est aussi la fatalité de l’oubli. Marcel Proust s’obstine à retrouver le temps perdu parce que l’oubli abîme dans le néant ce qui fut ; il expose à recommencer les erreurs passées que seules la transmission et la mémoire peuvent faire éviter.
Il y a donc certes un aspect négatif à l’oubli, mais il y a aussi un aspect positif. La mémoire est, en effet, dangereuse lorsqu’elle emprisonne l’esprit, rend indisponible au présent et à son imprévisible nouveauté, réactive en permanence les blessures passées et cultive le ressentiment. Le souvenir peut être une plaie ouverte dont l’oubli nous libère utilement. Paul Valéry, de même, souligne la nocivité d’une certaine culture de la mémoire et de l’histoire : « L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à, celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines » dans Regards sur le monde actuel, 1945. Ainsi, le temps qui passe apaise les douleurs, éteint les regrets et les remords. Il guérit les plaies.
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