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Le mythique et le rationnel

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Par   •  7 Mars 2020  •  Dissertation  •  9 674 Mots (39 Pages)  •  483 Vues

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Le mythique et le rationnel dans les « théories limites » de la science contemporaine, Raison Présente, n°146, 2e trim. 2003, 97-120.

Le mythique et le rationnel dans les « théories limites » de la science contemporaine

Michel Paty[1]x

Retour de la pensée mythique ?

        On peut constater fréquemment de nos jours, de par le monde, une curieuse juxtaposition entre, d’un côté, des connaissances scientifiques très élaborées, dans un environnement dominé par des réalisations techniques liées à ces connaissances (dont elles sont en grande partie l’application) et, de l’autre coté, des croyances et des pratiques qui représentent plutôt le contraire des premières, et se rattachent au mythologique ou à l’irrationnel. Il serait trop simpliste et anachronique de décrire cette juxtaposition comme celle de la connaissance et de l’ignorance, notamment parce qu’on ne la rencontre pas seulement pour des individus différents d’une même société, et qu’elle s’observe parfois chez les mêmes individus, qui acceptent en eux-mêmes cette « schizophrénie douce » d’une conjonction de dispositions si opposées et, à vrai dire, incompatibles.

        L’un des derniers présidents de la République d’un pays que je connais bien, par ailleurs promoteur du progrès scientifique et du développement de la recherche, faisait appel, dit-on, à des voyantes et cartomanciennes. Telle organisation boursière notoire, aux Etats-Unis, s’est attachée les services, selon une information devenue publique, d’une prêtresse des rites afro-brésiliens de candomblé. Une thèse de doctorat en sociologie de plus de mille pages a été soutenue dernièrement en France, en 2001, sur l’astrologie, par l’une des professionnelles les plus connues de cette pratique, non pas seulement dans le but de décrire le phénomène social d’une demande importante d’horoscopes de la part du public, ce qui serait légitime, mais pour faire valoir la nécessité d’un enseignement officiel d’astrologie dans les universités. Je me suis laissé dire que certains parmi les plus fanatiques des radicaux islamistes en Algérie (et ailleurs), avaient été recrutés parmi les élèves d’écoles d’ingénieurs. Nous pouvons ajouter gobalement à cela le succès grandissant, au détriment des grandes religions, de sectes fondamentalistes et obscurantistes, fonctionnant comme de grandes entreprises, notamment dans les pays en voie de développement, mais aussi aux Etats-Unis (d’où, d’ailleurs,  elles viennent en général) et en Europe.

        Il s’agit là d’aberrations, certes, mais ce sont avant tout des données que l’on ne peut ignorer et qu’il nous faut essayer de comprendre. Plus que des simples données, ce sont des signes, révélateurs d’un certain hiatus, dans les sociétés industrielles avancées, entre les exigences intellectuelles normalement attachées aux connaissances scientifiques, et des croyances très peu raisonnées auxquelles bon nombre de nos contemporains se raccrochent ; peut-être, dans certains cas, la cause en est-elle une difficulté réelle d’accès au monde de la connaissance scientifique ; mais la raison en est clairement, dans d’autres, la pente de la facilité, popularisée à la faveur de l’insertion de ces thèses, de ces conceptions, et des mouvements qui les portent, dans des cercles influents de la société. Elles font très bon ménage avec une idéologie du profit (et ces activités sont souvent lucratives) et profitent du manque de probité de certains medias. Quant au cas du fanatisme religieux intégriste (sectes musulmanes, évangélistes ou autres) juxtaposé chez des adeptes à une formation technologique, on doit considérer que, pour le moins, cette formation ne s’est pas accompagnée d’un épanouissement et d’une libération des esprits dans les lumières de la raison, comme on l’espérait, à l’âge d’or de la science naissante, au siècle des Lumières.

        Mais il est un phénomène plus intéressant encore, sinon surprenant, par sa valeur de signe : quand des scientifiques, eux-mêmes engagés dans la recherche au plus haut niveau, mêlent à leurs connaissances et à leurs hypothèses des éléments qui relèvent du mythologique ou de l’irrationnel. Ces derniers se présentent, certes, sous des dehors moins frustes que les croyances « populaires » (d’ailleurs fort anciennes) que nous venons d’évoquer. Ce phénomène touche à certains aspects de la connaissance scientifique, de sa nature et de ses motivations, qui se manifestent à propos de « domaines-limites » conçus hier encore comme en dehors des possibilités de la science, voire que l’on n’imaginait même pas. Au moment où ils commencent à être légitimement l’objet d’approches scientifiques, ils suscitent, non pas seulement de la part du public, mais aussi de la part de spécialistes, des considérations et des interprétations qui débordent le cadre de la pensée rationnelle et paraissent plutôt se rapprocher d’une forme de pensée mythique. C’est à ce phénomène que nous consacrerons les réflexions qui suivent, dans la mesure où il est révélateur de certains aspects de l’activité de la pensée aux prises avec des problèmes nouveaux posés dans le champ des sciences, par-delà ses dimensions relevant de la sociologie des milieux scientifiques, qu’il serait d’ailleurs utile de considérer aussi.

        Proposons en préambule un relevé rapide de quelques unes de ces « théories-limites » de la science contemporaine, avant d’y revenir plus avant et de nous arrêter aux « néo-mythologies » qu’elles ont pu susciter ou qu’elles suscitent aujourd’hui même. Le terme d’ensemble de « théories-limites » pour la connaissance scientifique recouvre des cas d’espèce très différents, comme nous le verrons.

        Considérons l’accès indirect de la physique au domaine atomique et subatomique, au « monde quantique » ou, si l’on préfère, au domaine des phénomènes quantiques : la théorie fondamentale de ce domaine, la mécanique quantique, a pu susciter des « interprétations » très diverses sur des registres variés, qui vont du raisonnement scientifique strict à des spéculations, qualifiées de « métaphysiques » mais qu’il vaudrait mieux dire « para-scientifiques », telles que l’action physique de l’esprit sur la matière ou l’existence d’« univers parallèles ».

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