La technique, marque d'intelligence?
Dissertation : La technique, marque d'intelligence?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Baptiste Debaeke • 30 Janvier 2018 • Dissertation • 3 564 Mots (15 Pages) • 828 Vues
Le développement technique, marque d’intelligence?
Le film « 2001: l’odyssée de l’espace » s’ouvre sur la naissance de l’outil. D’un os, un singe se fabrique une arme et domine la tribu adverse. Ce rapport homme-outil est l’un des fils conducteurs du film. Cette relation connait trois étapes. Tout d’abord le singe crée l’outil; il s’en sert alors pour chasser et pour se défendre. Après un raccord cinématographique où l’os lancé en l’air devient un satellite, retentit le beau danube bleu de Strauss. Le synchronisme entre les images et la musique donne un sentiment de maîtrise; l’homme a dominé la nature par la science et la technique, il voyage ainsi dans l’espace. Il n’est plus un singe mais un homme et se sert désormais parfaitement de l’outil. Mais, dans la dernière partie du film, il perd le contrôle de cet outil. L’ordinateur HAL 9000 se rebelle contre Bowman, un astronaute, et refuse de lui ouvrir le sas. Cet exemple montre l’ambiguïté des rapports humains au progrès technique. La technique, du grec technê, désigne un savoir-faire dont l’utilisation permet d’obtenir volontairement un résultat. S’il est d’abord synonyme d’art, il dérive de dernier par sa finalité: l’art est désintéressé la où la technique vise l’utile. La technique nécessite une réflexion, donc une intelligence. L’intelligence est la faculté de comprendre, de s’adapter à son environnement et est propre à l’être humain. Ainsi, peut-on vraiment dire que le développement technique est marque d’intelligence? N’aliène-t-elle pas plutôt l’intelligence humaine, comme Bowman en fait l’amère expérience? Si pendant longtemps la technique était effectivement la preuve d’une intelligence mise au service de l’humanité, elle est aussi, depuis son développement fulgurant ces derniers siècles, largement critiquée pour s’être détournée de son objectif originel, et d’exercer sa puissance aux dépens de celle de l’homme et de sa pensée. Il faudra aussi s’interroger dans quelle mesure l’intelligence technicienne peut être contestée, en lui opposant d’autres formes d’intelligence.
La première manifestation de l’intelligence humaine a été d’abord, et avant tout, la technique; comment l’homme a acquis la maitrise du feu, de la métallurgie, de la poterie, de l’agriculture etc. Dans la mythologie grecque, c’est Prométhée qui fait don de la technique aux hommes. Il dérobe le feu sacré aux dieux afin de l’offrir aux humains pour leur permettre de s’instruire et de se développer. La technique est donc la démarche originelle de l’intelligence humaine. En remontant aux origines de l’humanité, on constate à quel point la technique a orienté l’homme et le développement de son intelligence, en favorisant son sens pratique, son adaptation à toutes les situations. Le corps humain est en effet bien plus fragile que celui des animaux; pour compenser ce désavantage l’homme dispose d’une faculté, l’intelligence, qu’il met au service de la technique. C’est aussi un épisode du mythe prométhéen: Epiméthée a oublié de fournir à l’homme un instrument naturel pour se nourrir et se protéger. Il va ainsi cuire la viande, se fabriquer des armes, des maisons. On pourrait objecter que la technique n’est pas le propre de l’homme; l’oiseau se construit bien un nid, le lapin son terrier, et l’araignée n’utilise-t-elle pas sa toile pour attraper des mouches? La différence fondamentale entre la technique humaine et animale est qu’elles font respectivement appel à l’intelligence et à l’instinct. Avant d’agir, l’homme pense. Toute technique humaine implique un projet conscient; l’homme doit d’abord se représenter mentalement l’action à accomplir, tuer un animal par exemple, et ensuite chercher un raisonnement pour accomplir le projet, ici se créer une arme. Transformer la nature par la technique nécessite une intelligence. La technique, comme le langage, est dès lors indissociable de la pensée. Le castor qui construit son barrage le fait sans se demander pourquoi ni dans quel but. Cette différence fondamentale entre l’homme et l’animal est notée par Pascal dans ses Pensées: « le bec du perroquet qu’il essuie, quoiqu’il soit net ». A l’inverse des animaux qui sont programmés pour agir dans un sens déterminé, l’homme est libre de varier ses techniques, de les perfectionner et en somme, de les renouveler indéfiniment. Cela se remarque par une conséquence très simple: le progrès technique n’existe pas chez l’animal. Le nid des oiseaux ne s’est jamais perfectionné; les huttes des hommes se sont transformés en gratte-ciel. La technique humaine, elle, fournit une capacité d’action inventive et adaptative qui manque à la « technique » animale, qui est figée, fermée et ne se renouvelle pas. L’homme est ainsi un animal qui modifie la nature de manière suffisamment singulière pour qu’on puisse le distinguer du reste des espèces animales.
Henri Bergson, dans L’évolution Créatrice , reprend cette thèse, à savoir que la démarche originelle de l’intelligence humaine est la technique, et affirme que l’homo sapiens est en réalité l’homo faber, celui qui place des outils entre lui et le monde. Le véritable homme « savant » est un technicien. Il confronte deux visions de l’intelligence: l’une théorique et désintéressée, l’autre pratique et utilitaire. Avant de chercher à connaitre, l’homme s’occupe principalement de sa survie. La vocation de notre intelligence était peut-être de nous aider à survivre en nous faisant créer des outils. Et ce n’est qu’une fois que l’homme a pu vivre sans danger qu’il s’est occupé à un savoir désintéressé. Cette idée rejoint la phrase de Benjamin Franklin «Man is a tool-making animal ». La technique reflète d’abord l’intelligence de l’homme à s’adapter à toutes les situations et à maitriser son environnement en sa faveur, comme nous l’avons vu précédemment. Mais au-delà du bénéfice immédiat utilitaire de la technique, cette dernière a un impact bien plus important sur l’humanité. La maitrise d’une technique est un état intérieur, qui conduit à une amélioration intellectuelle de l’homme et à toute une série de modifications intérieures. Ces connaissances vont en susciter de nouvelles, et stimuler l’évolution humaine. Si on se penche sur le passé, l’importance d’une innovation technique n’est pas déterminée par son impact utilitaire, mais par son retentissement sur l’esprit humain. La roue a bouleversé les rapports commerciaux et militaires de ses contemporains. Les inventions techniques modifient en profondeur les sentiments et les idées
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