La symbolique d'Oedipe

La symbolique d'Œdipe

Que ce soit dans la version de Sophocle ou de Pasolini, Œdipe apparaît à la fois comme celui qui résous l'énigme et comme le sujet même de l'énigme. Il est l'« homme » de l'énigme du Sphinx et tout l'intérêt du film comme de la tragédie est de résoudre « l'énigme qui est en [lui] ». Et si l'enquête qu'il mène est si difficile à résoudre, c'est qu'il est lui même un personnage ambiguë, étranger aux autres comme à lui-même. Quelles est la symbolique d'Œdipe dans la pièce comme dans le film ? Nous montrerons d'une part qu'Œdipe est un personnage complexe puis nous verrons en quoi, il est victime de sa démesure.

I Œdipe, un personnage complexe et ambiguë

A Solitude de l'homme face à son destin

Œdipe, en plus de donner son nom à l’œuvre, y est omniprésent. Tout le récit tourne autour de son identité et il est au cœur de chacun des événements, de la prospérité de Thèbes après qu'il a vaincu le Sphinx aux ravages auxquels elle doit faire face des années plus tard à cause de la peste. Cette omniprésence est manifeste : dans la pièce de Sophocle, il n'est absent que de trois scènes – la discussion entre Créon et le coryphée, l'accueil du corinthien par Jocaste et l'annonce du suicide de Jocaste par le messager qui prépare l'arrivée d'Œdipe. Il est présent le reste du temps et compte à lui seul près de la moitié des paroles prononcées.

Cette caractéristique est encore renforcée chez Pasolini, en particulier dans la partie mythique, puisque Œdipe ne disparaît que rarement de l'écran. Les épisodes où Œdipe n'est pas présent sont souvent les plus significatifs : ils peuvent être dus à une caméra subjective qui présente un événement à travers les yeux d'Œdipe, comme la rencontre entre Jocaste et Œdipe à la fin de la partie mythique, montrer les réactions d'autres personnes par rapport aux paroles d'Œdipe, comme les inserts sur le visage de Jocaste, ou présenter les conséquences d'une action d'Œdipe, comme les plans de la peste à Thèbes ou du cortège funèbre. Quoi qu'il en soit, dans la pièce comme dans le film, Œdipe est le centre de toutes les conversations, on ne parle que de lui.

 Pourtant, cette importance du personnage est paradoxale. En effet, même si on ne parle que de lui et s'il est constamment entouré d'autres personnes (sauf dans la partie mythique), il reste un personnage solitaire. Il est souvent présenté seul, dans un paysage désertique et inhospitalier, ou entouré de personnes qui ne lui adressent pas la parole, le dévisagent, comme Tirésias, ou cherchent à l'écarter, comme Laïos. De même, chez Sophocle, il est seul lorsqu'il s'adresse aux suppliants pour leur venir en aide, seul pour mener l'enquête et seul à la fin quand, alors qu'il souhaite s'exiler, Créon l'empêche de partir avec ses enfants.

B Roi ou tyran

L'ambiguïté d'Œdipe se manifeste également par son statut de dirigeant. En effet, Œdipe peut être considéré comme le roi de Thèbes, il en est l'héritier légitime et accède au trône après la mort de son père dont il récupère les attributs royaux. Mais il peut également être considéré comme un véritable tyran, dans le sens où cette fonction lui a été donnée en récompense pour avoir tué le Sphinx. C'est d'ailleurs le sens de la formule orgueilleuse d'Œdipe qui accuse Créon de vouloir un trône que l'on obtient que « par la faveur du peuple ou par l'argent » qui met bien en valeur le fait qu'il se place lui-même dans la première catégorie.

De plus, son statut de dirigeant n'est jamais remis en cause : quand Thèbes est en danger, son peuple se fie à lui pour les sortir de l'embarra dans la mesure où il est « le premier des mortels dans les incidents de [leurs] existences et les conjonctures crées par les dieux ». Même quand Tirésias accuse Œdipe d'être la souillure qui tache ce pays, le choeur ne lui retire jamais sa confiance. Il est le bon pilote.  

La légitimité d'Œdipe ne semble pas pouvoir être remise en cause. Pourtant, paradoxalement, c'est quand ses droits sur la couronnes apparaissent comme les plus légitimes -  il gouverne à la fois par le sang et la faveur du peuple – qu'il est forcé de les abandonner.

C Victime

Œdipe-roi est une tragédie de la déchéance. En effet, du roi tout puissant, admiré par ses sujets, Œdipe devient aveugle, mendiant et n'inspire plus que dégoût et pitié. Dans la tragédie, le choeur dit ainsi qu'il aurait voulu ne jamais l'avoir connu « si je pouvais ne jamais t'avoir vu ». Malgré tout, Œdipe n'est pas renié complètement, le choeur le plaint mais ne lui souhaite aucun mal. Il reste l'homme qui a délivré Thèbes du Sphinx. Le rôle d'Œdipe n'est donc pas tant celui du pharmakos que celui du bous émissaire qui prend sur lui d'expier ses crimes pour le bien de la Cité.

Œdipe est le symbole de la grandeur de la victime. Le caractère pathétique du personnage est ainsi mis en avant à l'exodos, lorsqu'il sort du palais, aveugle, après son automutilation. La force d'Œdipe est qu'il ne conteste pas la volonté divine, il accepte et assume son destin, comme s'il était le seul à pouvoir supporter un tel fardeau, « mes maux à moi, il n'est point d'autre mortel qui soit fait pour les porter ».

Œdipe est à la fois victime des dieux et de lui-même « c'est moi-même qui me trouve aujourd'hui avoir lancé contre moi-même les imprécations que tu sais ». Il est donc son propre bourreau : c'est de sa propre volonté qu'il s'exile quand le choeur voudrait le retenir à Thèbes, c'est lui-même qui se crève les yeux en condamnation pour l'aveuglement passé et pour ne plus voir ce qu'il a accomplit sans le savoir « aucune autre main ne m'a frappé que la mienne ».

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