L'historien et les mémoires de la Seconde guerre mondiale en France
Dissertation : L'historien et les mémoires de la Seconde guerre mondiale en France. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Inès Bonnin • 9 Juin 2019 • Dissertation • 1 597 Mots (7 Pages) • 629 Vues
L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale :
La France sort de la Seconde Guerre mondial profondément meurtrie et divisée par le souvenir de la défaite, des années noires de l’occupation allemande et de la collaboration du gouvernement de Vichy. Dans un contexte de nécessaire reconstruction du pays et d’unité nationale, les autorités issues de la Résistance souhaitent refermer au plus vite la « parenthèse vichyste ». Certains faits sont occultés ou réinterprétés et des mémoires concurrentielles divisent les Français. Peu à peu cependant, la France affronte les épisodes sombres de son histoire. Ces représentations du passé sont devenues pour l’historien un objet d’étude. Pourquoi les mémoires de la Seconde Guerre mondiale ont-elles longtemps été conflictuelles, et comment les Français ont-ils été amenés à revisiter cette histoire refoulée ? Nous étudierons tout d’abord les troubles de la mémoire collective des 1945 à la fin des années 1960, puis le réveil des mémoires des années 1970 à nos jours.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Français avaient pu se rassembler pour célébrer ensemble leurs glorieux Poilus et commémorer la mémoire victorieuse du conflit. Rien de tel en 1945. La France sort dévastée et honteuse d’un conflit qui a profondément divisé la population. C’est pourquoi, une fois passée la période de l’épuration, l’objectif du gouvernement est de minimiser l’expérience vichyste. Cette amnésie collective perdure jusqu’à la fin des années 1960.
Un « mythe résistancialiste », tel que l’historien Henry Rousso l’a décrit dans son ouvrage de 1987, Le syndrome de Vichy, est alimenté à la fois par les gaullistes et les communistes. Au delà de leurs divergences politiques, ils enracinent le culte d’une France massivement résistante. La mémoire gaulliste privilégie la dimension militaire et bien sûr le rôle prépondérant du général de Gaulle. De leur côté, les communistes affirment être « les parti des 75 000 fusillés ». Ils cherchent à faire oublier l’entrée tardive du PCF en résistance après la rupture du pacte germano soviétique en juin 1941 et présentent la Résistance comme une vaste insurrection populaire.
Une mémoire officielle sélective alimente le résistancialisme. Des nombreux établissements publics, rues – ou stations de métro comme « Guy Môquet » à Paris – sont renommés d’après les héros des la Résistance. Plus d’une vingtaine de musées sont construits entre 1960 et 1969, tous consacrés à la France combattante. Ces célébrations culminent lors de la cérémonie organisée pour le transfert des cendres de Jean Moulin en 1964.
Cette politique bien qu’elle redore l’image de la France amène l’État à minorer, voire à ignorer la part prise par les Alliés dans la libération du pays. Elle suppose aussi de nier les responsabilités du régime de Vichy dans la collaboration et la déportation des juifs. En 1954, l’historien Robert Aron popularise la thèse du double jeu de Vichy. Collaborant malgré lui, Pétain aurait été le « bouclier » défendant la France des excès de l’occupant tandis que de Gaulle aurait été « l’épée », préparant la reconquête du territoire. Tous deux auraient agi de concert. L’État choisi aussi de taire les sujets qui fâchent, comme en 1956 lorsque la censure frappe le film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Elle impose de masquer le képi d’un gendarme français gardant le camp de Pithiviers où des juifs sont internés avant d’être envoyés à Auschwitz, rendant ainsi la nationalité du personnage difficile à identifier.
Parallèlement, l’unité des mémoires se fait difficile et certaines, qui dérangent, sont refoulées. On assiste après-guerre à une multiplication des associations ayant pour but de défendre les droits matériels et moraux de chaque groupe, ce qui contribue à la fragmentation des mémoires. Les anciens combattants, les prisonniers de guerre, cherchent une reconnaissance qu’ils peinent à trouver. La FNDT (Fédération Nationale des Déportés du Travail), créée en 1945 rassemble entre 400 000 et 500 000 membres en 1946. Elle cherche en vain à faire reconnaître la qualité de « déportés du travail » aux requis du STO. Le statut des « malgré-nous », ces Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée allemande en 1942 veulent être considérés comme des victimes de la barbarie nazie. En 1953, le procès de 14 d’entre jugés pour le massacre de la population d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 est un exemple marquant de l’affrontement de deux mémoires de la guerre que tout oppose : celle du Limousin et celle de l’Alsace.
Plus encore que les autres, les rescapés de la Shoah peinent à se faire entendre. Les juifs de France ont pour première préoccupation de réintégrer la communauté nationale dont ils avaient été exclus, non de revendiquer un statut à part. Les survivants du génocide trouvent aussi une société relativement indifférente à leurs témoignages, les Français sont tout à l’euphorie de la Libération. La mémoire juive est occultée ou confondue dans le souvenir global de la déportation et aucune différence n’est faite entre camps de concentration et d’extermination.
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