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Victor Hugo : Les contemplations

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Par   •  7 Mai 2022  •  Analyse sectorielle  •  2 247 Mots (9 Pages)  •  359 Vues

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Figure emblématique du romantisme en France, Victor Hugo se trouvait en exil à Guernesey lors de l’écriture du recueil Les Contemplations qui sera publié en 1856. Le quatrième livre de ce recueil, intitulé « Pauca meae », souligne le désespoir du poète endeuillé suite à la mort de sa fille Léopoldine. Avec le poème « Veni, vidi, vixi », la douleur prend une dimension plus universelle ; Victor Hugo ne parle plus seulement de la mort de sa fille mais d'une difficulté, plus générale, à habiter le monde. Ce texte fait donc écho à la préface des Contemplations dans laquelle Hugo dit justement vouloir dépasser le lyrisme « personnel » pour parler de tous. Le titre du poème fait d'ailleurs référence à une phrase célèbre qu'aurait prononcée César, mais dont le poète modifie le dernier terme. « Veni, vidi, vici » (Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu) devient « Veni, vidi, vixi » (Je suis venu, j'ai vu, j'ai vécu... et donc « je suis mort »). Le poète convoque une référence culturelle pour s'en emparer et dire autrement la douleur de la perte et de l'exil. Ainsi, comment le poème exprime-t-il la douleur de l'homme blessé pour qui la vie n'a plus de sens ? Tout d’abord, nous montrerons que le poète nous présente une vie passée ouverte sur le monde, avant d’envisager dans une deuxième partie un présent marqué par la mort et le désespoir.

Victor Hugo présente son recueil comme étant les « Mémoires d’une âme » (Préface des Contemplations). En effet, nous verrons dans cette première partie que le poème revient sur une vie passée ouverte sur le monde.

 Tout d’abord, ce poème dessine le portrait d’un homme sensible au monde. La présence de la première personne, souvent en position anaphorique, nous montre un lyrisme personnel où l’évocation de sentiments est prédominante. Victor Hugo se montre ainsi sensible aux enfants, à la nature (« enfants » v.3, « fleurs » v.4, « des parfums et des roses » v. 10), à Dieu (« Seigneur » v. 31), à l’« amour » (v. 6). Nous retrouvons, ici, les thèmes principaux de sa vision du monde : une unité de l’homme, de Dieu et de la nature et une harmonie universelle dans le « splendide amour ». Le poète fait le portrait d’un homme aimant la vie, ouvert au spirituel et à l’espoir (l’enfance comme une ouverture à la vie, le printemps comme le renouvellement de la nature), d’un homme à la fois optimiste et confiant dans l’avenir comme le prouve le champ lexical de la joie : « ris » (v. 3), « réjoui » (v.4), « fête » (v.5), « joie » (v.6), mais aussi attentif à la fraternité humaine.

D’autre part, le poète brosse le portrait d’un homme qui a pris sa place dans le monde. L’accumulation de verbes d’action conjugués au passé composé (« j’ai fait », « j’ai servi, j’ai veillé » v. 17) renforce l’idée d’un homme actif, qui a accompli de nombreuses tâches. Ainsi, le poète a tout d’abord accompli des tâches de solidarité humaine : « Je n’ai pas refusé ». Hugo refuse le statut du penseur isolé dans sa tour d’ivoire, mais se veut pleinement engagé dans l’existence humaine et terrestre : la répétition « chaînon » / « chaîne » (v. 13) exprime cette fraternité avec les autres. En conséquence, il a eu sa part de souffrances : « Ayant beaucoup souffert » (v. 20). Nous retrouvons, ici, l’idée de « solidarité dans la souffrance » qui s’exprime dans la préface et dans beaucoup de poèmes des Contemplations. On peut même penser à une vision christique du poète souffrant pour les autres à travers les expressions « saignant, et tombant sur les mains » (v. 22). D’autre part, l’expression « J’ai servi » est peut-être une allusion à son rôle politique qui se concrétise à partir de février 1848. Le verbe « veiller » (v. 17) renforce quant à lui l’idée que l’écrivain, pour Hugo, est un « veilleur », prêt à dénoncer les dysfonctionnements de la société, comme en témoignent ses œuvres engagées. Nous pouvons aussi comprendre « veiller » comme la mission du prophète qui doit discerner et annoncer l’avenir. Pour finir, à travers l’expression « souriant, toujours plus adouci » (v.15), le poète montre qu’il peut « adoucir» le sort des autres, en dévoilant la beauté du monde et par la compassion et en mettant des mots sur leur souffrance.

Enfin, le poème nous présente la vision romantique un poète conscient de sa mission sur terre. Les métaphores du travail de la terre qui parcourent le poème, comme le « sillon » (v. 14), sont dotées de nombreuses connotations : la ligne ou le vers que l’on écrit, mais aussi le chemin parcouru pendant la vie. La « gerbe » (v. 14) évoque la semence jetée par le poète dans son œuvre, qui va produire des fruits chez le lecteur. Toutes ces images décrivent un travail poétique qui n’est pas stérile ni centré sur le poète, mais qui s’offre aux autres. L’image « incliné du côté du mystère » (v. 16) rend compte de la mission du poète prophète, à la fois tendu vers Dieu et attaché au monde terrestre et à la nature, donc à ses frères humains, capable de déchiffrer le monde, de percer le mystère de l’infini et de l’expliquer aux lecteurs.

Victor Hugo laisse ainsi au lecteur l’image d’un homme actif et engagé, un poète conscient de sa mission. Ce portrait est néanmoins assombri par l’irruption de la douleur, et laisse place à un présent marqué par la mort et le désespoir.

En effet, le désespoir et la douleur semblent contaminer le présent mais aussi le passé. La structure du poème composée de trois parties en est révélatrice : les trois premières strophes, encadrées par la répétition « J’ai bien assez vécu », insistent sur l’idée de « fin (de la vie, de l’espoir et de la joie) ». La deuxième partie, composée des strophes quatre à six, sont unies par l’emploi constant du passé composé. Le poète y porte un regard rétrospectif sur son existence. Enfin, la troisième partie, composée des deux dernières strophes est marquée par le l’adverbe « Maintenant » et le changement de temps au présent. Cette partie apparaît comme la conséquence de tout ce qui précède et exprime la volonté de mourir. Nous pouvons remarquer que chaque partie s’achève sur une vision de mort : appel à Léopoldine au fond de son tombeau avec l’euphémisme « l’ombre où tu reposes » v. 11 ; métaphore filée qui fait de la vie sur terre une prison (« bagne terrestre » v. 21) ; interpellation à Dieu pour « disparaître » (v. 31- 32). Ce poème révèle donc une structure générale fermée et circulaire : « J’ai bien assez vécu » (premiers mots du vers 1) / « je disparaisse » (derniers mots du dernier vers). Cette volonté de mort énoncée clairement semble tout assombrir, même le passé, encadré par les deux passages au présent ; le désespoir en cours contamine tout le poème. D’autre part, Victor Hugo fait référence au titre du poème à plusieurs reprises : « j’ai […] vécu » revient trois fois dans le poème (v. 1, 12 et 15) et martèle le début. Puis, « j’ai vu » intervient au vers 18, et enfin l’actif « j’ai vaincu » de César se transforme en passif « est vaincu » (v. 9). Toutes les reprises opérées par Hugo sont donc en opposition avec la phrase de César, phrase de triomphe, affirmation d’un homme victorieux et maître de l’avenir. César soulignait une action accomplie et efficace, dont les conséquences allaient marquer le futur. Chez Hugo, c’est le constat d’un temps révolu, d’un achèvement qui ne peut déboucher que sur la mort, d’une défaite sans espoir. La première phrase du poème, très structurée avec une accumulation de subordonnées causales et l’anaphore de « puisque » exprime l’accablement du poète, écrasé sous toutes les raisons de son mal-être. Cette structure syntaxique qui donne à la phrase un rythme pesant traduit encore l’absence d’échappatoire et d’espoir, le poète n'a plus rien à attendre de la vie. Enfin, le thème du désespoir est rappelé tout au long du poème, notamment par le champ lexical de la douleur physique et morale : « douleurs » (v. 1), « esprit sans joie » (v. 6), « ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé » (v. 20) ; cette douleur est martelée par l'allitération en « t » au v. 8 : « et sens de tout la tristesse secrète » ; ou encore par la mise en valeur de l’adjectif « saignant » à la césure v. 22. Nous pouvons également relever un certain nombre de tournures hyperboliques, qui insistent sur l'intensité de la souffrance : « de tout » (v. 8), « mon cœur est mort » (v. 12) et la profonde tristesse (interjection « hélas ! » v.8).

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