René Barjavel, La nuit des temps, 1968.
Cours : René Barjavel, La nuit des temps, 1968.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Lina Drici • 4 Février 2018 • Cours • 4 754 Mots (20 Pages) • 1 644 Vues
Séquence n°4
René Barjavel, La nuit des temps, 1968.
Objet d’étude : le roman et ses personnages, du XVII° à nos jours.
Lectures analytiques :
- Incipit, chapitre I, pages 9 à 10.
- La découverte des deux corps, chapitre XXVI, pages 86-87. « Le sommet de l’œuf constituait une salle en coupole » … « et d’y mourir ».
- La fête du Nuage à Enisoiraï, chapitre LVII, pages 247 -251.
- Le combat de Païkan, chapitre LXXVII, pages 378-379. « Païkan volé d’Eléa, volé de sa mort »… « aux mille paupières simultanées ».
Documents complémentaires :
- Platon, Le Banquet, extraits du discours d’Aristophane.
« Il me semble que jusqu’ici les hommes ont entièrement ignoré la puissance de l’Amour ; car, s’ils la connaissaient, ils lui élèveraient des temples et des autels magnifiques, et lui offriraient de somptueux sacrifices : ce qui n’est point en pratique, quoique rien ne fût plus convenable ; car c’est celui de tous les dieux qui répand le plus de bienfaits sur les hommes, il est leur protecteur et leur médecin, et les guérit des maux qui empêchent le genre humain d’atteindre au comble de la félicité. Je vais donc essayer de vous faire connaître la puissance de l’Amour, et vous enseignerez aux autres ce que vous aurez appris de moi. Mais il faut commencer par dire quelle est la nature de l’homme et les modifications qu’elle a subies.
« Jadis la nature humaine était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. D’abord il y avait trois sortes d’hommes : les deux sexes qui subsistent encore, et un troisième composé de ces deux-là ; il a été détruit, la seule chose qui en reste c’est le nom. Cet animal formait une espèce particulière et s’appelait androgyne, parce qu’il réunissait le sexe masculin et le sexe féminin ; mais il n’existe plus, et son nom est en opprobre. En second lieu, tous les hommes présentaient la forme ronde ; ils avaient le dos et les côtes rangés en cercle, quatre bras, quatre jambes, deux visages attachés à un cou orbiculaire, et parfaitement semblables ; une seule tête qui réunissait ces deux visages opposés l’un à l’autre ; quatre oreilles, deux organes de la génération, et le reste dans la même proportion. Ils marchaient tout droits, comme nous, et sans avoir besoin de se tourner pour prendre tous les chemins qu’ils voulaient. Quand ils voulaient aller plus vite, ils s’appuyaient successivement sur leurs huit membres, et s’avançaient rapidement par un mouvement circulaire, comme ceux qui, les pieds en l’air, font la roue. La différence qui se trouve entre ces trois espèces d’hommes vient de la différence de leurs principes. Le sexe masculin est produit par le soleil, le féminin par la terre ; et celui qui est composé des deux autres par la lune, qui participe de la terre et du soleil. Ils tenaient de ces principes leur forme et leur manière de se mouvoir, qui est sphérique. Leurs corps étaient robustes et vigoureux et leurs courages élevés ; ce qui leur inspira l’audace de monter jusqu’au ciel et de combattre contre les dieux, ainsi qu’Homère l’écrit d’Éphialtès et d’Otus (11), Jupiter examina avec les dieux le parti qu’il fallait prendre. L’affaire n’était pas sans difficulté : les dieux ne voulaient pas anéantir les hommes, comme autrefois les géants, en les foudroyant, car alors le culte et les sacrifices que les hommes leur offraient auraient disparu ; mais, d’un autre côté, ils ne pouvaient souffrir une telle insolence. Enfin, après de longues réflexions, Jupiter s’exprima en ces termes : « Je crois avoir trouvé, dit-il, un moyen de conserver les hommes et de les rendre plus retenus, c’est de diminuer leurs forces. Je les séparerai en deux par là, ils deviendront faibles ; et nous aurons encore un autre avantage, ce sera d’augmenter le nombre de ceux qui nous servent : ils marcheront droits, soutenus de deux jambes seulement ; et si, après cette punition, ils conservent leur audace impie et ne veulent pas rester en repos, je les séparerai de nouveau, et ils seront réduits à marcher sur un seul pied, comme ceux qui dansent sur des outres à la fête de Bacchus.
« Après cette déclaration, le dieu fit la séparation qu’il venait de résoudre ; et il la fit de la manière que l’on coupe les œufs lorsqu’on veut les saler, ou qu’avec un cheveu on les divise en deux parties égales. Il commanda ensuite a Apollon de guérir les plaies, et de placer le visage et la moitié du cou du côté où la séparation avait été faite : afin que la vue de ce châtiment les rendît plus modestes. Apollon mit le visage du côté indiqué, et ramassant les peaux coupées sur ce qu’on appelle aujourd’hui le ventre, il les réunit à la manière d’une bourse que l’on ferme, n’y laissant au milieu qu’une ouverture qu’on appelle nombril. Quant aux autres plis, qui étaient en très-grand nombre, il les polit, et façonna la poitrine avec un instrument semblable à celui dont se servent les cordonniers pour polir le cuir des souliers sur la forme, et laissa seulement quelques plis sur le ventre et le nombril, comme des souvenirs de l’ancien châtiment. Cette division étant faite, chaque moitié cherchait à rencontrer celle dont elle avait été séparée ; et, lorsqu’elles se trouvaient toutes les deux, elles s’embrassaient et se joignaient avec une telle ardeur, dans le désir de rentrer dans leur ancienne unité, qu’elles périssaient dans cet embrassement de faim et d’inaction, ne voulant rien faire l’une sans l’autre. Quand l’une des deux moitiés périssait, celle qui subsistait en cherchait une autre, à laquelle elle s’unissait de nouveau, soit que ce fût la moitié d’une femme entière, ce que nous appelons maintenant une femme, soit que ce fût une moitié d’homme : et ainsi la race allait s’éteignant. Jupiter, ému de pitié, imagine un autre expédient : il met par-devant les organes de la génération, car auparavant ils étaient par derrière : on concevait et l’on répandait la semence, non l’un dans l’autre, mais à terre, comme les cigales. Jupiter mit donc les organes par-devant, et, de cette manière, la conception se fit par la conjonction du mâle et de la femelle. Alors si l’union se trouvait avoir lieu entre l’homme et la femme, des enfants en étaient le fruit, et, si le mâle venait à s’unir au mâle, la satiété les séparait bientôt, et les renvoyait à leurs travaux et aux autres soins de la vie. De là vient l’amour que nous avons naturellement les uns pour les autres : il nous ramène à notre nature primitive, il fait tout pour réunir les deux moitiés et pour nous rétablir dans notre ancienne perfection. Chacun de nous n’est donc qu’une moitié d’homme qui a été séparée de son tout de la même manière qu’on coupe une sole en deux. Ces moitiés cherchent toujours leurs moitiés.
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