Pour écrire des poèmes et atteindre un haut degré de perfection la souffrance du poète est elle nécessaire ?
Dissertation : Pour écrire des poèmes et atteindre un haut degré de perfection la souffrance du poète est elle nécessaire ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Aménis • 19 Avril 2021 • Dissertation • 2 966 Mots (12 Pages) • 521 Vues
L’idée de souffrance et l’expression de celle-ci a toujours été une thématique centrale et une source d’inspiration profonde pour les poètes, comme l’illustrent si bien Alfred de Musset dans son poème La nuit de mai où il écrit « Les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Et j’en sais d’éternels qui sont de purs sanglots », ou encore Guillaume Apollinaire dans Tristesse d’une étoile, où il épanche ses maux et peines par le vers « Et je porte avec moi cette ardente souffrance ». Ils suggèrent ici que le poète, pour atteindre un état de création poétique approchant de la perfection, se doit d’être dans le ressenti d’une souffrance intime pour ainsi puiser en lui toute la profondeur de son expérience et en saisir l’intégralité de la portée dans sa poétique afin de mieux la faire traverser au locuteur. En effet, la poésie a depuis longtemps été assimilée à l’expression de la peine, de la douleur intérieure ressentie car propre à la sensibilité particulièrement développée du poète ; et ce depuis la mythologie avec le mythe d’Orphée, premier poète, qui se lamente de la perte de son épouse Eurydice le jour de leur mariage. Mais cette conception est toujours présente aujourd’hui en conséquence de l’héritage romantique que nous avons intégré - par exemple avec l’œuvre Les Contemplations de Victor Hugo - époque à laquelle cette thématique du poète transi à la quête de la perfection par l’expérience de la souffrance traversant sa poétique a été poussée à son apogée. Nous nous demanderons alors en quoi le poète a-t-il été amené à entamer une introspection révélatrice de la sensibilité singulière accordée par son statut, notamment par l’expiation de la souffrance, dans une logique d’amélioration de sa poétique visant à tendre vers la perfection, et si celle-ci se révèle vraiment nécessaire et fructueuse. La poésie ne naît-elle que de cette douleur ressentie par la poète dans cette optique de perfection ? L’expression de ce pathos du poète est-elle cruciale ou immanquable dans une logique de création poétique ? Nous verrons dans un premier temps la souffrance en tant que moteur pour écrire : elle est nécessaire puisqu’elle se voit être pour beaucoup de poètes une source d’inspiration ; mais nous nuancerons ce propos en soulignant le fait que la poésie introduit également d’autres émotions et ne peut se contenter d’exprimer le pathos. Enfin, nous émettrons quelques réflexions sur le développement mené afin de noter les limites que celui-ci peut rencontrer.
Depuis l’Antiquité, et particulièrement chez les Grecs, s’est dégagée une conception du poète en tant que personnage au dessus de l’humanité, à la quête de perfection. Platon, dans Ion, désigne le poète en tant qu’élu des dieux : ceux-ci lui insuffleraient l’inspiration à laquelle le poète serait prédisposé à recevoir l’insufflation de l’inspiration divine grâce à sa profonde sensibilité contrairement aux autres êtres humains. Ce concept se retrouve dans l’origine du mot poésie : poïesis induit une idée d’ensorcellement. L’inspiration poétique serait donc un don divin ayant pour objectif de faire traverser un message à ces deniers, ce qui confère au poète un rôle de guide de la population. Il fournit par son travail artistique et son expérience personnelle sensible un message qui doit toucher ses congénères et les garder sur un chemin considéré comme juste. En cela, le poète réside perpétuellement dans un système de dépassement et d’amélioration personnelle : il est constamment à la recherche de l’inspiration créatrice afin de tendre vers la perfection de sa poétique, démarche qu’illustre bien Baudelaire dans Les Fleurs du Mal, où il tend indéniablement vers ce qu’il appelle l’Idéal.
Afin de s’efforcer d’atteindre cette perfection, les poètes ont stimulé leur inspiration et donc leur créativité poétique par l’expression de leurs maux, de leur souffrance et de leur douleur intérieure, souvent dûes à de tristes expériences personnelles vécues par le passé. Souvent, il s’agit d’un sentiment négatif résultant de l’amour, comme c’est le cas dans le poème romantique Le Lac de Lamartine, où il épanche ses sentiments dans la nostalgie du souvenir d’un amour transi par la perte de l’être aimé. Cette thématique se retrouve aussi chez Du Bellay dans son poème Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure et le point, où il dépeint une souffrance physique comme morale. Le poète mène une introspection en lui-même (« Je est un autre », disait Rimbaud) et insiste sur sa singularité qui le différencie de la société, voire le met à part. Ainsi Baudelaire dans son poème L’Albatros dessine le poète comme voué à une souffrance indéniable et fait pour évoluer dans un monde différent de celui des autres êtres humains qui ne sont plus totalement ses semblables. De même, Vigny, lui, montre un poète éternellement incompris dans Stello ou encore dans Moïse. Cette singularité semble être dûe à sa profonde sensibilité qui accroît l’impact de l’expérience de la souffrance sur son esprit comme sur son être.
Certains genres poétiques sont voués à la célébration de cette souffrance comme la poésie élégiaque qui, très présente chez les latins, relate les thématiques de la mort, du deuil, du malheur ou encore de l’amour perdu. La souffrance est un thème de prédilection pour les poètes. Elle peut être un moteur pour écrire, comme ce fut le cas pour Victor Hugo dans son recueil Les Contemplations qui a été foudroyé par la nouvelle de la mort de sa fille, Léopoldine, ouvrage toutefois continué (après une pause de trois ans) et inspiré par l’expérience de la souffrance de la perte de son enfant vécue par un père, expérience qu’il appréhende par la poésie et partage à son lecteur : il écrit dans Demain dès l’aube : « Seul, inconnu, le dos courbé, les bras croisés, triste, et le jour pour moi sera comme la nuit ». Malgré le ressenti du profond désarroi et désespoir du poète, ce recueil a aussi été le lieu de l’expérience d’une douleur qui progressivement s’est estompée pour donner lieu à un renouveau et à la recompréhension ainsi que la réappréhention de la poésie et des ses grands thèmes tels que l’Amour ou le Divin, renouveau poétique comme personnel ressenti dans un arc qui y est dédié : « En Marche ». De la même manière, Villon dans sa Ballade des Pendus trouve refuge dans la poésie afin de déployer l’ampleur de l’appréhension et de la douleur qu’il ressent puisqu’il écrit peu avant sa mise à mort. C’est le vécu de ces expériences douloureuses qui procurent de l’inspiration et génèrent de la créativité poétique. La souffrance est donc
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