Plaidoyer ,Prendre la défense de Claude GUEUX (V.Hugo)

Imaginez vous dans un plaidoyer, prendre la défense de Claude Gueux 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Jurés,

Monsieur le Procureur,

Nous sommes ici rassemblés à propos de mon client, Monsieur Claude Gueux, prisonnier dans la maison centrale de Clairvaux et accusé du meurtre de Monsieur. D, directeur des Ateliers daté du 5 novembre dernier.

        Confiant en une Justice républicaine, indépendante et droite mais aussi soutenu par des personnes ayant connaissance des faits, il a décidé de se pourvoir en cassation.

        Je serais particulièrement reconnaissante envers la Cour de diriger nos séances et de considérer sa réflexion uniquement guidée par le souci de suivre la stricte réalité de tous les faits sans recevoir la moindre influence d’autorité extérieure à notre affaire, quelle qu’elle soit.

        Vous constaterez, Mesdames et Messieurs de la Cour, que Monsieur Gueux a tenu à se rendre devant vous malgré un état encore extrêmement fragile.

        Avant toute chose, j’aimerais revenir sur les origines du comportement regrettable et regretté de mon client.

        Nous ne pouvons pas nier que son emprisonnement pour vol de pain peut être légitimement perçu comme une monumentale injustice aux yeux de quiconque possédant le minimum de réflexion pour pouvoir juger.

Comment Mesdames et Messieurs pouvons-nous dans notre société condamner un homme au seul reproche d’avoir essayé de trouver de quoi manger pour son enfant et sa compagne en ces temps de misère dramatique ? Évidemment le vol est condamnable mais n’y a-t-il pas eu abus dans la sanction et le jugement qui selon de nombreux observateurs fut reçu comme beaucoup trop sévère?

        Malgré tout, en bon citoyen, mon client a su trouver la force d’accepter le verdict même si ce dernier était synonyme de déchirement intérieur indescriptible ,d’abandon de sa femme et de son enfant, livrés à eux-mêmes, eux aussi presque condamnés à subir les conséquences tragiques puisque privés du chef de famille, seul moyen de subsistance.

Vous n’ignorez pas à quel point il est difficile de survivre pour une femme sans ressource et son enfant à notre époque : d’ailleurs, la misère s’est rapidement emparée d’eux très peu de temps après l’emprisonnement puisque sa compagne n’eut d’autre choix que la prostitution pour survivre et qu’à l’heure où je vous parle ,il est impossible de savoir où est l’enfant et surtout :est-il encore en vie?

        Je le répète, une nouvelle fois : alors qu’il aurait suffi à Claude Gueux d’alerter ses différents partisans ainsi que tous les défenseurs des droits les plus élémentaires de notre pays pour provoquer un scandale et menacer ainsi notre jeune République politiquement vulnérable à cause de certains politiciens indignes, mon client s’est tu et s’est soumis avec respect à la justice, honteux d’avoir commis un vol et déterminé à payer sa dette envers la société même si ,vous vous en doutez bien, il fut meurtri par l’injustice de cette décision de justice si sévère et surtout ravagé de chagrin en voyant sa famille à la dérive.

Non, non, Claude Gueux n’est pas de ceux qui prônent la violence, la haine et le sang ! Toute sa vie durant, il a pu montrer et démontrer qu’il était un homme vertueux, courageux, honnête, droit, sérieux, intègre, respectueux des institutions et des lois jusqu’à ce que la misère trop grande, trop insupportable l’oblige à tomber dans le vol d’un simple morceau de pain. Pouvons-nous sérieusement ,Mesdames et Messieurs, parler dans ce cas de crime ?

À sa place qu’auriez-vous choisi? Voler du pain ou laisser votre famille mourir de faim ?  

        Malgré tout cela, Monsieur Gueux sut conserver sa force et se faire respecter très rapidement au sein de la prison.

C’est d’ailleurs grâce à ses qualités d’homme qu’il put croiser Albin, un autre prisonnier, compatissant au sort de mon client. Une amitié sincère et saine naquit entre eux. Outre le partage de sa ration de pain pour limiter la faim extrême de son ami en partie causée par la cruauté gratuite des geôliers, Albin représentait une véritable lumière bienfaisante dans ces ténèbres glaciales...Nouveau coup du sort et nouvel acharnement de la tyrannie, de la méchanceté et de l’injustice : Albin et Claude furent séparés sur décision de ce directeur avide de coups tordus si je m’en réfère aux nombreux témoignages des prisonniers depuis des années qu’il est à son poste mais aussi si je lis les rapports disciplinaires de sa hiérarchie attestant sa perversité et son vice avéré dans ses rapports avec les prisonniers. Il faut le dire :Monsieur. D  prenait un malin plaisir à faire souffrir mon client qui ,une fois de plus, sut se montrer intelligent et respectueux face à cette décision blessante et injustifiée.

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