Le pain de Francis Ponge
Commentaire de texte : Le pain de Francis Ponge. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar evariste1 • 28 Avril 2020 • Commentaire de texte • 1 947 Mots (8 Pages) • 1 286 Vues
LA POÉSIE DU 19Es. AU 21Es | |||
Œuvre Intégrale - Alcools, Apollinaire, 1913 Parcours Associé : Modernité poétique ? | |||
EL2 : Francis Ponge, « Le Pain », Le Parti pris des choses, 1942. | |||
Introduction : - Présentation générale : auteur, œuvre, date de parution ; - Présentation de l’extrait : Poème en prose ; « Le pain » s’intègre dans la série des objets banals évoqués dans le recueil (cf.titre) mais c’est aussi un aliment, au même titre que « L’orange » ou « L’huître ». Cependant, à la différence des fruits ou animaux comestibles, l’objet « pain » possède dans notre culture une valeur métonymique qui en fait la nourriture de base par excellence - Problématiques : (1) nous verrons comment, dans son poème, Ponge fait d’un objet prosaïque une représentation poétique. (2) En quoi le pain est-il une métaphore de l’activité poétique ? | |||
- Plan de commentaire : Pour répondre à cette problématique, nous observerons tout d’abord de quelles manières est évoqué le pain dans le texte pour mettre ensuite en évidence le travail de « pétrissage » effectué sur le langage. / 1) Une nouvelle façon de voir le pain ; 2) Métaphore de la croûte terrestre ; 3) Métaphore de l’activité poétique - Plan d’EL : Poème = tentative de description organisée d’un objet du quotidien comme l’annonce le titre ; Se trouvent énumérées les différentes parties qui le constituent ; Les phases de la fabrication du pain organisent la composition du poème | |||
Le Pain | titre | - GN qui n’est pas sans rappeler un article de dictionnaire | |
1er paragraphe : Une apparence extérieure ; présentation d’un monde de relief avec trois chaînes de montagne (vocabulaire de la nature, de la géologie 🡺 c’est par le toucher que s’effectue le glissement de la pâte vers le paysage) | |||
1& | La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. | "La surface du pain" | - le titre n’est pas repris ; - 1ère étape de la description : intérêt pour l’extérieur ; - polysémie du terme "surface" qui permettra, plus tard dans le texte, l’analogie avec la "croûte" terrestre |
« est » | - présent de vérité générale // article de dictionnaire | ||
"merveilleuse" | 1) - adj. qualificatif, attribut du sujet "La surface du pain" 🡺 introduit l’admiration du poète + le merveilleux ≠ réalité triviale du pain ; prise de distance 🡺 l’objet du quotidien prend alors une dimension totalement nouvelle. 2) texte descriptif mais présence de procédés poétiques + présence du regard de FP 🡺 dc, pas un texte objectif (≠ art. de dictionnaire) | ||
"d’abord" | - connecteur logique : effort d’organisation (// art. de dictionnaire) | ||
"impression" | - Nc révélateur de la présence du poète (subjectivité ≠ art. de dictionnaire) + polysémie du terme = "impression" : effet opéré par la croûte du pain, impression photographique dans l’œil du poète + la pression qui pèse sur le poète pour décrire cette réalité jusqu’à son impression sur la page blanche. 🡺 Le poète est en train de faire exister le pain par l’écriture // démiurge | ||
"impression quasi panoramique" | - GN qui introduit l’analogie (= ressemblance établie par l’esprit - association d’idées - entre deux ou plusieurs objets de pensée essentiellement différents ; analogie directe = comparaison ; analogie indirecte = métaphore) qui permet d’associer le pain au globe terrestre (rotondité commune même si celle du pain reste implicite) ; changement de point de vue en grossissant l’échelle de l’objet contemplé ; effet de zoom qui transforme la croûte du pain en paysage de montagne ; - « pan – oramique » = du latin ‘pan’ = tout ; du latin ‘orama’ = ce que l’on voit depuis une hauteur MS ‘pan’ = préfixe du latin ‘panis’ = pain DONC « panoramique » = ‘nouvelle façon de voir le pain’ | ||
"sous la main" | - Ponge semble aborder l’objet pain, de forme ronde, comme la terre. Il joue de cette rondeur et peut l’observer avec précision puisqu’il indique qu’il a l’objet "sous la main". Insiste sur une vision globale. - humour ? présence du merveilleux au cœur du quotidien - synecdoque : indique la présence de l’humain - annonce le travail poétique et l’analogie que FP va faire à la fin du poème avec des mots du quotidien | ||
: | - ponctuation qui introduit une explication, ici une hypothèse ; permet de développer l’explication amorcée par « quasi panoramique » | ||
"comme si" | - Locution conjonctive de subordination indiquant une manière de faire/de procéder | ||
"les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes." | - Le rapprochement à la terre permet la comparaison à des chaînes de montagnes qui appartiennent à divers continents terrestres. (Europe ; Turquie ; Amérique du sud) - La suite de majuscules semble dessiner visuellement sur le papier, les montagnes évoquées comme sur un globe ou un planisphère 🡺 montrer le relief du pain. | ||
2è paragraphe : les origines du pain | |||
2& | Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... [pic 1] | Le texte progresse en mimant une description scientifique d’un terrain : à la vue d’ensemble succède l’explication historique, ou plutôt géologique, du visible au caché. | |
« Ainsi donc » | - locution adverbiale introduisant la conséquence évidente de la vision initiale du 1er & | ||
« masse » | - du latin ‘magma’ = pâte, d’un point de vue étymologique | ||
« amorphe » | - du grec ‘amorphos’ = sans forme, mou, flasque | ||
« masse amorphe » | - sujet réel de la voix passive, qui subit l’action, ici la transformation | ||
« éructer » | - les gaz de la fermentation du pain/de l’activité sismique de la terre, s’échappent ; « éructer » peut aussi signifier ‘exprimer bruyamment’ et rentrer dans le cadre de la création poétique | ||
« fut glissée » | - passé simple passif ; passivité de la pâte au moment de la cuisson ; celui qui fait l’action (Dieu-ou la Nature/poète/boulanger) n’est pas nommé : au lecteur de choisir) ; - présence d’une main qui crée le pain // avec la main qui crée la poésie « pour nous » | ||
« pour nous » | - Le lecteur, le consommateur, du pain (texte et objet de consommation) | ||
🡺 la poésie c’est le quotidien transcendé par le prisme d’une subjectivité ; à partir d’une expérience personnelle, le poète va exprimer l’universel. | |||
« le four stellaire » | - « stellaire » du lat. ‘stella’ = étoile, renvoie au monde ; - « four » renvoie au pain - « stellaire » renvoie à la métaphore du pain vu comme un univers en train de se former par la magie des étoiles 🡺 dimension cosmogonique (=Une cosmogonie (du grec cosmo- « monde » et gon- « engendrer ») est un récit mythologique qui décrit ou explique la formation du Monde) du pain ; | ||
« durcissant … façonnée » | - Métamorphose de la pâte lors de la cuisson … transformation alchimique au moyen du feu (du ciel ou du four) = transformation de la boue en or ! | ||
« s'est façonnée » | - verbe pronominal qui laisse entendre une autonomie de la création (FP était athée) | ||
« en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... » | - Métaphore filée ; retour des reliefs du 1er& ; | ||
« … » | - au lecteur de compléter ; représente la place que laisse FP à l’imaginaire du lecteur. | ||
Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. | « Et » | - continuité de la transformation dans cette dernière phrase du & qui se construit comme une dernière étape grâce à la conjonction de coordination "Et" | |
« tous ces plans … ces dalles minces» | - vocabulaire géologique ; ref aux plaques tectoniques | ||
« lumière … feux » | - cf. « four stellaire » 🡺 cuisson 🡺 changement de couleur du pain 🡺 vision magnifiée due à une transformation alchimique 🡺 idéalisation de la cuisson | ||
" - " | - le tiret instaure une distance avec ce qui suit. | ||
« sans un regard » | - indifférence, mépris | ||
« pour la mollesse ignoble sous-jacente. » | - rejet de la mie désignée par « la mollesse ignoble sous-jacente » 🡺 Véritable antithèse entre la surface et le dessous. - « ignoble » : du latin ‘ignobilis’ = inconnu, obscur, de basse naissance 🡺 fait bien référence au sous-sol obscur du pain, c’est-à-dire la mie. - rejet de la mie en fin de paragraphe contrairement à tout le paragraphe précédent consacré à la croûte. | ||
🡺 phrase inachevée 🡺 la proposition principale n’a pas de verbe ! 🡺 sorte de brisure symbolique du poème qui nous permet de découvrir le sous-sol du pain : la mie. | |||
3è paragraphe : un sous-sol inquiétant | |||
3& | Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. | « Ce lâche » | - connotation morale : de la mollesse physique de la mie à sa mollesse morale … |
« et froid sous-sol » | - Versus la chaleur de la croûte ; de la vie à la mort ? | ||
« pareil à … comme » | - description de la mie par comparaisons : avec « des éponges » : 1) du latin ‘spongi’ : animal marin ; mais aussi 2) du latin ‘sponda’ : tumeur que les chevaux contractent aux coudes 🡺 visions dépréciatives avec un végétal « feuilles …fleurs » avec « des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois» : vision presque monstrueuse, étrange ; prolifération inquiétante. DONC la mie = tissu organique végétal qui prolifère comme la tumeur des chevaux ≠ métaphore cosmique du reste du poème | ||
Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : | « rassit … fanent … rétrécissent » | - étapes de son évolution et de sa dégradation qui mène à sa disparition en fin de phrase. | |
: | - fonction explicative | ||
elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable... | « alors » | - indique une étape supplémentaire | |
- le pain se désagrège comme la phrase qui se termine par des points de suspension telles des miettes de pain. 🡺 changement de perspective : le pain comme objet concret a disparu (où ? dans l’estomac ou dans l’esprit du lecteur) | |||
4è paragraphe : Un coup de théâtre qui nous ramène à la réalité | |||
4& | Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation. | « Mais» | - conjonction de coordination qui stoppe la description poétique et nous ramène au quotidien (cf. dernier mot du poème) |
« brisons-la » | - deux sens possibles : 1) « la » (pronom en position de COD) : brisons la masse du pain (afin de le manger) 2) « là » (adv de lieu) : cessons d’en parler | ||
: car | - ponctuation explicative + conjonction de coordination qui introduit la cause de l’arrêt de la description | ||
« le pain » | - Le pain = nourriture 1) de l’estomac ; 2) de l’intellect, sujet de poésie | ||
« bouche » | 1) permet la consommation du pain ; 2) lieu de la parole poétique | ||
« Respect … consommations » | « respect »[pic 2] - du latin ‘respectus’ : regarder en arrière 🡺 référence directe à l’ère chrétienne et à l’importance symbolique du pain (= le corps du Christ) | « consommation » - nourriture de l’esprit ; - nourriture de l’estomac, morale du plaisir, jouir des choses simples de la vie | |
Eléments pour une conclusion : « Le pain », objet du quotidien mais aussi métaphore de la création poétique. Avec ce « proème », l’auteur montre toute l’étendue des possibles de la création poétique : à l’image du boulanger, le poète effectue un travail d’artisan sur la langue, jouant avec les mots, leurs sens et leur étymologie … et nourrit l’imaginaire de son lecteur. |
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