Le Rouge et le noir, un roman de la désillusion

Le roman est un genre qui se répand tout au long du XIXème siècle et connaît

un engouement durable. C’est à tel point que les lecteurs se prennent d’affection pour

les personnages qui deviennent parfois aussi importants que des relations

personnelles. Ils suivent en effet leurs aspirations, leurs tribulations, leurs espérances

et leurs rêves. Ils se heurtent par conséquent avec eux à une réalité qui peut

également tout autant s’avérer décevante. Il est fréquent que les personnages

connaissent des déboires et des déceptions. Le roman Le Rouge et le Noir n’échappe

pas à ce constat : paru en 1830, il met en scène des personnages en quête d’idéal,

romanesques pour les plus importants d’entre eux. Ce roman d’apprentissage est une

manière d’invitation au lecteur à découvrir un parcours fait d’obstacles et de

déceptions.

Il paraît possible d’envisager que Le Rouge et le Noir soit un roman de la déconvenue.

Le Rouge et le Noir est-il ainsi un roman de la désillusion ? Par désillusion, il faut

entendre le sentiment de déception qui résulte d’un écart trop manifeste entre les

espérances et la réalité. N’est-ce pas parce que la réalité se fait abrupte pour le

personnage du roman, qui ne peut faire vivre ses rêves devenues illusions, qu’il y a

désillusion face au réel ? De plus, et comme par ricochets cette désillusion ne

provoquerait-elle pas celle du lecteur déçu dans ses propres attentes ?

Nous observerons dans un premier temps les différents types de désillusion auxquels

sont confrontés les personnages. Nous n’ignorerons pas ensuite que Le Rouge et le

Noir est un roman de la désillusion non seulement des personnages mais aussi du

lecteur. Enfin, par-delà les désillusions des personnages et du lecteur, nous saisissons

que le roman d’apprentissage est à l’œuvre.

I Les personnages éprouvent de nombreuses désillusions

1. Les personnages font face à des désillusions amoureuses

Ex 1: le personnage de Mme de Rênal vit une déception amoureuse : elle s’imaginait

que Julien serait sien, alors qu’elle se heurte à son manque de constance. Aussitôt

qu’il quitte Verrières, il se prend de passion pour d’autres personnages féminins.

Élargissement ex 2 : nombreux personnages de roman vivent des déceptions

similaires. C’est le cas de Mme Bovary qui voit Rodolphe tomber de son piédestal :

elle réalise avec effroi que cet homme n’est qu’un vil séducteur et aussitôt conquise, il

la repousse définitivement, la laissant dans une errance désespérée.

2. Les personnages vivent une désillusion de leurs aspirations sociales

Ex 1 : L’ambition de Julien se heurte à un réel décevant dans cette société de 1830

dans laquelle la jeunesse n’a pas de perspective. Julien ne peut devenir un héros

napoléonien selon ses rêves.

Élargissement ex 2 : Alfred de Musset dans son roman La confession d’un enfant du

siècle (1836) avait des considérations semblables sur l’impossibilité d’une classe

d’âge à pouvoir prendre place dans une société jugée bornée. Les êtres romantiques

ne peuvent que se sentir à l’étroit. Il déclarait ainsi dans son livre I, chapitre 2 : « Trois

éléments partageaient donc la vie qui s’offrait aux jeunes gens : derrière eux, un passé

à jamais détruit ; s’agitait encore sur des ruines, avec tous les fossiles des siècles de

l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de

l’avenir ; et entre ces deux mondes…quelque chose de semblable à l’océan ». Musset

signale qu’il fait ainsi partie comme Julien Sorel de cette génération charnière entre

l’Ancien régime absolutisme et la Société bourgeoise individualiste, entre les

valeurs de la noblesse et celles de l’argent, entre le dévouement à un destin

collectif et la quête individualiste du bonheur.

Si Le Rouge et le Noir paraît un roman de la désillusion des personnages en

but avec une réalité qui ne tient pas les promesses escomptées, la désillusion

concerne tout autant le lecteur.

II Le lecteur vit une désillusion de ses premières impressions

1. Le lecteur est déçu du manque de moralité des personnages ou /et du

manque d’héroïsme des héros.

Ex1 : Le lecteur éprouve une déception face au personnage de Julien Sorel qui n’a

pas l’étoffe d’un héros. Julien apparaît fragile voire efféminé dans de nombreuses

scènes du roman. On se souvient de la scène qui succède à celle où M de Rênal

s’entretient avec le père Sorel. Julien trouve refuge pour lire tandis qu’il insupporte son

père. Si le lecteur entre en sympathie immédiate avec Julien, les monologues

intérieurs révèlent une personnalité peu sympathique. Julien est centré sur luimême et semble

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