Le Rouge et le Noir, Stendhal
Commentaire de texte : Le Rouge et le Noir, Stendhal. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar sue470 • 29 Juin 2019 • Commentaire de texte • 1 502 Mots (7 Pages) • 1 398 Vues
Le Rouge et le Noir, Chapitre 4, Stendhal, Un père et un fils (« En approchant de son usine…il était toujours battu. »)
Première apparition du personnage principal du roman Le Rouge et le noir au chapitre 4. Le personnage s’oppose à son milieu familial et social pour construire son propre destin
I/ Le milieu social et familial de Julien
- La scierie : portrait des deux frères et du père (« ses fils »).
- Les deux frères de Julien sont des travailleurs manuels caractérisés par leur puissance physique / travail qui requière de la force (l. 2. 6. 3/5) / travail grossier d’équarissage des troncs d’arbres, « lourdes haches », « copeaux énormes ».
- Ces « espèces de géants », sont à l’opposé de ce que nous révèlera le portrait physique de Julien. Les frères ne sont qu’esquissés alors que le portrait de Julien sera ciselé, et le narrateur s’attardera sur ce que cachent ses yeux baissés.
- Pour le père de Julien, activités intellectuelles ne sont pas un vrai travail mais une « charge » (l. 61), une perte de temps et d’argent. Cet attachement à des valeurs matérielles ne doit cependant pas être méprisé. Il faut se replacer dans le contexte social de l’époque. Dans l’absolu, il va sans dire que le travail demeure une valeur fondamentale. Ces réflexions nous portent à considérer un des points essentiels à la compréhension du texte : il n’est pas seulement réaliste, mais symbolique. Il se veut une critique du déterminisme social dont a souffert la première génération des romantiques.
- Père et fils :
- La première rencontre dans le roman entre le père et Julien est caractérisée par la violence et la haine. Pourquoi ? Julien a abandonné son poste pour lire. Or la lecture est considérée comme une perte de temps. Plus que cela cette passion de Julien renvoie à son père l’image de son illettrisme (l. 13). D’où la violence de ce dernier. Il ne sait pas lire. Son fils évolue dans un monde qui lui est inconnu, et surtout, inaccessible. Le langage n’est pas pour lui un mode de communication aisé. Il n’a pas l’emprise qu’il voudrait sur son fils, d’où sa violence et sa haine, ainsi que le mépris qu’il affiche à l’égard de la passion de Julien pour la lecture : une « manie ». Il est démuni
- Tout oppose Julien et son père : le physique, probablement – la force du père est suggérée par la puissance de sa voix (l. 2) – « une voix de stentor » - nom du crieur de l’armée des grecs dans la guerre de Troie (στένειν = crier). Voix qui suggère la personnalité du père, autoritaire et brutal : « terrible voix »
- Si la force des frères s’exprime dans leur activité au travail, celle du père s’exprime à travers sa violence : il crie, il frappe. Il frappe Julien à deux reprises (l. 8/20). Le premier coup atteint le livre (l. 18/19). « un coup violent », « un second coup aussi violent ». « la force du coup » « frappa sur l’épaule » « chassa rudement » « le poussa » - observez le champ lexical. Le geste du père pour sauver Julien – de la main gauche, est symbolique : il peut être interprété comme un des prémices du destin funeste de Julien : certes il réussira son ascension sociale, mais il mourra en paria, condamné à mort, exclu de façon absolue par l’ordre établi de la société (relisez le passage du procès de Julien que nous avons projeté en classe).
II/ Un personnage en conflit :
- Le père Sorel voudrait inculquer les valeurs qui sont les siennes à Julien, par la force.
- Il incarne une forme de continuité. Ses fils doivent marcher dans ses pas – mode de vie, métier. Son autorité ne pose pas de problème aux aînés qui semblent taillés sur mesure pour la vie qui doit être la leur. Contrairement à Julien, chétif, « pensif ». Revenez sur la position élevée qu’occupe Julien dans la scierie, sur l’évocation de sa relation aux autres, exclu, « toujours battu » (ambigüité du terme « battu »). La figure du père s’inscrit donc dans la logique d’un déterminisme social que Julien refuse.
- La violence, expression de ce déterminisme, annonce la rupture, tout aussi violente, du fils avec le père (incarnant l’origine, la famille, le milieu social, certaines valeurs – ici très matérialistes).
- Différences physiques et intellectuelles
- Dès les premières lignes que lui consacre l’auteur, Julien est présenté comme à part, hors (et même au-dessus) de son milieu familial et social. Il se singularise déjà par sa position physique. Il délaisse la tâche qui lui a été confiée. Il est en train de lire = rêve, univers intellectuel, aspirations élevées. Aucun intérêt pour le travail demandé « aurait dû s’occuper », « au lieu de surveiller » Lecture / passion : « larmes aux yeux », « livre qu’il adorait »
- Le réalisme de la scène révèle la problématique du personnage et préfigurent un destin tragique : décalage, surplomb, solitude, incompréhension, aspirations élevées // coups reçus, perte du livre incarnant les rêves et les ambitions de Julien, sauvetage de Julien in extremis. Ainsi l’histoire de Julien sera celle d’une ascension et d’une chute.
- Lorsque le père Sorel entre dans la scierie, il surprend son fils est en train de lire Le Mémorial 1de Sainte-Hélène : héritage napoléonien à l’opposé du monde pragmatique de l’argent et du déterminisme – la notion de mérite était chère à l’Empereur. Julien est étranger : à sa famille, à son milieu. Inadapté dès sa naissance aux attentes de son père. En rupture avec les convictions paternelles, Julien fréquente le curé, un homme lettré (l. 28/31). Pensez aux significations envisageables du titre : le rouge de la carrière militaire (uniformes) et le noir de la « carrière » ecclésiastique. (On peut y lire aussi le rouge de la fougue et du sang, et le noir d’un destin funeste). Il éprouve de la haine (donc réciprocité de ce sentiment) à l’égard des valeurs prônées par son père. Il est malheureux, méprisé, brutalisé. La première opinion que le lecteur se fait des rapports entre Julien et son milieu sera confirmée par le portrait final. Concernant sa psychologie, il en va peut-être autrement : Julien, dans la première partie du récit, semble soumis, vaincu en tout cas. Le portrait final laisse au lecteur une tout autre impression.
III/ Portrait de Julien, ses aspirations
- Le récit de la querelle entre Julien et son père
- Est ponctué d’indications relatives au portrait physique et à la fragilité de Julien. Julien est présenté progressivement et par contraste avec l’évocation de son père et celle de ses frères. Il est fluet (l. 11). L. 57/59. Il est faible.
- Contrairement à ses frères, et par nature, il n’est pas prédisposé à suivre la voie tracée par le père. Son physique autant que ses aspirations lui valent le mépris.
- Portrait final :
- Il reprend les traits évoqués dans le récit qui le précède mais révèle une personnalité différente de celle que le récit peut laisser imaginer (Julien qui lit, qui est battu par son père, qui ne se défend pas, qui tombe et que son père sauve). La faiblesse de Julien n’est qu’une apparence, elle n’est que physique : Julien est animé d’une grande énergie qui s’exprime à travers ses aspirations, mais aussi par la haine qu’il éprouve pour son père, la révolte qui est la sienne. Cette énergie contenue – par force - est suggérée par l’expression de son visage ténébreux (romantique) l. 51/54. L’implantation basse de ses cheveux : un air obstiné.
- Le portrait n’est pas sans évoquer la figure de Napoléon Bonaparte. L’Empereur incarne les rêves de Julien, mais aussi la nostalgie des romantiques – jeunes-gens dépossédés de leurs rêves par ce qu’ils vivent comme un retour vers le passé : la Restauration. C’est cet ordre établi et sclérosé que fuit, de façon symbolique, le personnage de Julien. Il nie les valeurs paternelles, valeurs du passé, d’un monde qui refuse de changer. La lecture, jugée inutile par l’entourage du jeune-homme, représente ses aspirations : nostalgie de l’époque napoléonienne. Napoléon a mis fin à un ordre ancien. L’Empereur représente une rupture et l’ascension au pouvoir d’une nouvelle génération. Après le désastre de Waterloo, la jeunesse s’est vue condamnée à l’inactivité. Les anciens ont repris le pouvoir – retour à l’ « Ancien Régime ».
- La présentation du personnage principal, à travers actions et portrait, donne les clés du roman :
- Un contexte agressif, frustrant ; un milieu social auquel on est « condamné »
- Une jeunesse méprisée, sensible, éblouie par la figure de Napoléon.
- Une écriture à la fois réaliste et symbolique, empreinte aussi d’une dimension romantique.
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