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La peur est désormais susceptible d'élargir la rationalité

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Par   •  18 Mars 2017  •  Dissertation  •  1 601 Mots (7 Pages)  •  1 968 Vues

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la peur est désormais susceptible d'élargir la

rationalité

L’opinion commune oppose la peur, incitation régressive aux fantasmes, à la raison logique, spécificité de l’être humain. Mais, dans l’actuel climat d’aveuglement et d’inconséquence, Alexandre Lacroix juge la peur contemporaine «susceptible d'élargir la rationalité» car elle alarmerait nos contemporains sur de réels dangers.

Faut-il pour autant assimiler la peur à un puissant ressort de la raison ? Certes, elle peut inciter les hommes à l’action mais elle les égare aussi en accroissant leurs dissensions et ces désordres ne peuvent instaurer l’entente nécessaire à une prise de décision collective; source de panique, le catastrophisme peut s’avérer contre-productif: la peur «contemporaine» doit alors se tempérer et s’exprimer avec modération.

La peur naît de l’angoisse de l’homme devant le monde et de la conscience de sa propre insuffisance à traiter les problèmes ou à surmonter les difficultés. En ce sens, comme le dit Alexandre Lacroix, elle «élargit» une rationalité refermée sur elle-même. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières critiquaient l’esprit de système développé par ceux qui imaginent être toujours dans le vrai. La peur devient une alliée de la raison parce qu’elle lui permet de se mettre elle aussi en question. Ainsi, l’inquiétude ne peut qu’inciter les scientifiques et les penseurs à alerter les politiques et les populations du risque écologique engendré par les retombées du développement industriel. Rien ne serait pire que de vivre dans le déni et de multiplier les manœuvres dilatoires pour éviter de prendre des décisions dont l’urgence devient de plus en plus criante. La peur fait alors réfléchir.

Parfois elle ne paraît pas assez puissante pour lutter contre la force d’inertie induite par les égoïsmes nationalistes. Le relatif échec de la Conférence de Copenhague (décembre 2009) peut nous le faire croire puisque ni les Américains ni les Chinois ne semblent avoir pris la mesure des décisions à prendre. Le philosophe Edgar Morin3estime que les chefs politiques actuels n’ont pas suffisamment peur des changements climatiques pour adopter les dispositions nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis le début des années 1970, il alerte les autorités sur les risques encourus par l’écosystème; l’écologie elle-même commence

à prendre forme dans les années 1950, comme en témoigne, entre autres, le très beau roman de Romain Gary intitulé Les Racines du ciel, qui prend pour sujet l’extermination des éléphants en Afrique. Selon Edgar Morin, l’inconscient collectif n’est pas assez convaincu et sollicité. Combien faudra-t-il de pluies acides, d’accidents semblables à celui de Tchernobyl et de tsunamis pour emporter l’adhésion? Pour l’instant, leurs retombées restent dans l’abstraction, peu propice à l’inquiétude.

La compréhension globale des phénomènes requiert une anticipation plus large des retombées possibles des actions menées. Les attentats terroristes, la crise financière, le risque nucléaire, etc. constituent des violences que l’homme exerce à l’encontre de l’humanité. Elles s’ajoutent à celles qu’il exerce contre la nature. Mais les unes comme les autres sont liées parce qu’elles résultent d’une utilisation mal contrôlée de la science et des techniques qui en découlent. Or, pour l’instant, le risque qui fait peur, c’est le danger visible; en réalité, le danger réel n’est peut-être pas à la portée de l’intellect humain. Il faut que l’imaginaire se représente les retombées d’un important accident nucléaire. Comme le disait déjà Blaise Pascal, au XVIIe siècle, la raison humaine est limitée aux dimensions de notre planète. Il lui est difficile d’outrepasser les catégories intellectuelles liées à notre monde. L’imaginaire du pire pourrait lui ouvrir d’autres perspectives.

Ainsi, la peur peut rendre l’homme sujet de lui-même et maître de ses actions, mais, à l’échelon collectif, elle constitue une arme majeure dans la manipulation, cynique, des masses par les politiques.

Certains hommes politiques utilisent la peur pour manipuler les peuples et les inciter à partir en guerre. Ainsi, George Bush a-t-il incité les Américains à faire la guerre en Irak ou en Afghanistan pour «terroriser les terroristes» –ce qui relève de l’illusion: la lutte contre le terrorisme passe par une évaluation lucide des mouvements et leur capacité de mobilisation idéologique. Toute guerre constitue un échec et Al-Qaïda est un produit de la mondialisation liée au capitalisme américain qui, faute d’anticipation et de modestie, engendre les mêmes monstres que l’inconséquent docteur Frankenstein. La politique de la terreur s’assimile à une entreprise de déshumanisation de l’homme par l’homme puisque les deux forces en présence régressent au niveau de l’animal par le recours à la violence primaire. En ce sens, la peur représente l’ennemie de la raison.

Dans nos sociétés occidentales, la peur de l’autre constitue aussi une source de désordre social, à l’intérieur des nations mais aussi sur le plan international. Il est facile à certains hommes politiques de polariser l’opinion contre les étrangers ou les nationaux d’origine récente en développant un discours de défiance, voire d’exclusion. Ils conduisent l’être humain à la désespérance en l’incitant à vivre replié sur lui-même, dans le culte du conformisme conservateur, dans l’impuissance à atteindre l’adaptation nécessaire à la vie. Dès lors, la peur s’avère contraire au développement de l’humain dans l’homme.

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