L'Ingénu, Souper chez les Huguenots (explication linéaire)

L’Ingénu. Étude Linéaire 1 :

Le souper chez les Huguenots, ch. 8, p. 44-45, l.13 à 48

Introduction

Composé en 1767, le conte philosophique de Voltaire intitulé l’Ingénu   connut un très grand succès. Voltaire a conquis un lectorat d’esprits éclairés qui ont déjà lu Candide, paru quelque années plus tôt. Voltaire reprend ici le principe du personnage naïf qui découvre le monde et s’étonne des usages en vigueur.
Le lecteur suit avec plaisir les aventures d’un personnage « ingénu », un bas breton qui a été élevé par des Hurons, doté d'un esprit droit et d'une intelligence naturelle. L’auteur  se sert de cet oeil étranger pour mener les principaux combats des Lumières en matière de politique, de société et de religion.

Le passage se situe après le départ de l'Ingénu, qui quitte la Bretagne pour aller demander au roi l'autorisation d'épouser Mademoiselle de Saint-Yves, sa marraine. Il fait étape à Saumur, une ville qu’il trouve déserte et où il rencontre des huguenots qui lui font part de leur situation.
L’histoire de l’Ingénu se situe en 1689, quatre ans après la révocation de l’Edit de Nantes.

- Lecture à voix haute

- Par quels procédés Voltaire met-il en place la critique de la révocation de l’Édit de Nantes? (ou « Quels sont les procédés de la satire dans cet extrait ? »)

- Mouvements du texte

1) L’étonnement de l’Ingénu devant la persécution des protestants, la question de la reconnaissance du pape (l.13-22)

2) L’intervention du pasteur sur l’Édit de Nantes et la réaction de l’Ingénu (l. 22-30)

3) Les paradoxes du pouvoir. L. 31-39

1ère partie : la question de la reconnaissance du pape, que l’Ingénu ne comprend pas car il la rapporte à lui-même l. 13-22

1. L’étonnement de l’Ingénu b) les explications du huguenot sur l’Edit de Nantes

1. L’étonnement de l’Ingénu

• L’Ingénu est la figure du naïf qui interroge la réalité. Principe du regard étranger pour remettre en question les principes de la société de l’époque. Il s’étonne à de multiples reprises. Saumur  est  célèbre à cette époque pour être le lieu de résidence de beaucoup de protestants, mais l’Ingénu n’a aucune information au préalable. De plus, le Huron porte un regard rempli d’ingénuité sur les habitants de la ville, il ignore le sort réservé aux protestants à cette époque

• D’où, dans le dialogue, phrases interrogatives au discours direct : «Et pourquoi fuyez‐vous votre patrie, messieurs?» (l’Ingénu montre sa surprise par cette interrogation), «mais, messieurs, de quelle profession êtes‐vous?», «de quoi vous mêlez‐vous?» (l. 13‐22).

Les questions = technique la plus utilisée par Voltaire, poser des questions qui paraissent naïves et auxquelles le lecteur a déjà parfois les réponses

🡪 Les nombreuses interrogations du personnage mettent en évidence l'absurdité de la politique  antiprotestante menée par Louis XIV et le parti dévot

.

• Deux occurrences du pronom « ON » l.13, 16. Pronom indéfini. Sorte de pouvoir impersonnel, occulte donc effrayant.

« on veut que nous » = les Huguenots ne sont pas libres de leur propres opinions/croyances.
🡪Voltaire critique l’absence de liberté religieuse.

« on m’a dit » « ce pape dit » : beaucoup de on dit, parole contre parole, mais qui dit la vérité ? Beaucoup de confusions dans ces débats, sans qu’on sache si quelqu’un a raison. Pourtant on persécute au nom de ces dires.

• le pouvoir du pape est tourné en ridicule. 
  La naïveté du personnage est soulignée par le fait qu’il ne peut comprendre une situation qu’en la rapportant à ses propres épreuves : « Il n’y a donc pas de marraine que vous vouliez épouser ? ».

Question incongrue :  décalage ironique entre le sort du héros et la situation dramatique des protestants provoque dans un premier temps le sourire du lecteur mais c’est aussi un moyen pour faire comprendre le drame que vivent les huguenots : l’explication qui sera donnée est autant une réponse à l’Ingénu qu’une mise au point de l’auteur sur ce qu’il juge une erreur majeure

Le pape apparaît comme l’ennemi principal des protestants. Il est ridiculisé dans sa fonction car bien qu’incarnant l’autorité religieuse suprême, il présente de nombreux défauts proprement humains. Il semble donc fort éloigné de l’ordre spirituel. À travers le regard naïf de l’Ingénu, il apparaît comme un empêcheur de mariage, personnage fréquent dans la comédie, ou du moins comme celui qui détient le pouvoir d’accéder à une demande ou de la rejeter : « car on m’a dit que c’était lui qui en donnait la permission » (l. 16).

• La profession des protestants ;: « drapiers et fabricants », répété par l’Ingénu. Termes très concrets qui tranchent avec l’élévation des termes « maître » et « domaine des rois » (renforcé par le pluriel, « rois »). Voltaire souligne par là deux absurdités : la discordance entre une figure spirituelle, le chef de l’Eglise, qui se mêle de gouverner la vie de simples artisans (avec son regard naïf, l’Ingénu ne voit pas quel rapport il peut y avoir entre l’un et l’autre « leur affaire », « de quoi vous mêlez-vous ? ») ; d’autre part, ces métiers, pluriels et génériques (pour les « fabricants ») montrent qu’il s’agit des forces vives de la nation, qui font la richesse de la France, et dont le roi va priver son pays en les forçant à l’exil

• Le pape est ambitieux et veut être à égalité avec le roi (« ce pape dit qu’il est le maître du domaine des rois ! », l. 17), allusion à la confusion entre le pouvoir temporel et spirituel à cette époque

Voltaire montre aussi à quel point les sources du conflit entre catholiques et protestants sont , à ses yeux, futiles; En effet, les protestants refusent de reconnaître le pape comme souverain de l'Eglise ; ce pape dit qu'il est le maître du domaine des rois" et limitent sa sphère d'influence au sein du domaine religieux; or, le Pape Innocent XI conteste au roi de France le pouvoir d'administrer temporairement les diocèses français qui n'ont pas d'évêque ; il prétend devoir en être l'administrateur légitime; cette querelle qui remonte à 1763 porte sur le droit de régale, c'est à dire l'étendue des pouvoirs du roi en matière de juridiction religieuse. "pour les rois, c'est leur affaire : de quoi vous mêlez-vous? ajoute l'ingénu; Il provoque ainsi les explications du pasteur protestant.

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