Faut-il s'identifier à Julien Sorel pour comprendre le Rouge et le Noir?

Dissertation - Faut-il s’identifier au personnage de Julien Sorel pour comprendre le roman Le Rouge et le Noir, Chronique de 1830?

Lors de l’écriture du roman Le Rouge et le Noir, Stendhal songeait à nommer son livre “Julien”, mais il préféra au dernier moment lui donner le titre que l’on connaît aujourd’hui. Le titre est le premier élément qui oriente le lecteur, et ce choix non anodin reflète la lecture que Stendhal voulait que le lecteur ait. Nous allons donc nous questionner sur s’il faut s’identifier à Julien Sorel pour comprendre Le Rouge et le Noir, Chronique de 1830. Certes, il pourrait falloir s’identifier à Julien pour comprendre le roman lors de sa première lecture. En effet, c’est durant la première immersion que le lecteur prend une posture de découverte innocente. Mais est-ce la lecture que Stendhal voulait que nous ayons sur son œuvre après que le lecteur ait pu avoir une réflexion sur ce qu’il a lu? Que veut-il nous montrer quand nous lisons son roman?

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Il pourrait falloir s’identifier à Julien pour comprendre le roman, et nous allons voir comment.

Pour commencer, nous devons définir ce que représente l’identification à un personnage de manière générale. Cela peut se présenter sous la forme d’un rapprochement entre la perception que le lecteur a sur lui-même et les traits du personnage. Mais, on pourrait aussi interpréter cette identification en une admiration, de telle sorte que Julien serait un modèle à suivre, à la manière dont il ressent lui-même de l’admiration pour Napoléon. Julien est un personnage ambitieux qui souhaite s’élever dans la société, et malgré ses qualités telles que son charme naturel tel qu’il est décrit dans le roman, sa capacité à mémoriser facilement toute information comme quand il apprend par coeur les discours des royalistes sur l’ordre de M de la Mole, ou encore sa force de caractère, il possède aussi des défauts qui font de lui un personnage très humain comme son opportunisme, son immaturité, sa jalousie quand il compare ses vêtements à ceux de Norbert ou sa timidité au début de l’histoire quand il rencontre Mme de Rênal pour la première fois. En ce sens, l’idée que Julien est un personnage humain et non exempt de défauts rend possible une identification personnelle à lui. Il est bien loin du héros caricatural tel le roi Arthur de la légende bretonne, qui incarne un roi fort et sage qui a uni son peuple. L’aspect le plus humain de son caractère est son esprit romanesque, par exemple quand il s’impose la volonté de tenir par la main Mme de Rênal avant minuit ou de mourir. Julien est un personnage amoureux et sentimental, et la plongée que Stendhal nous donne dans son caractère permet de s’identifier à lui et de percevoir les difficultés qu’a Julien comme les difficultés que le lecteur pourrait rencontrer. Le Rouge et le Noir est un roman de formation qui suit le parcours de Julien de sa rencontre avec Mme de Rênal jusqu’à la mort. Nous suivons tout au long de l'œuvre le parcours du personnage et voyons tous les aspects de sa vie, allant de ses rencontres amoureuses, ses moments difficiles comme avec son départ de Verrières, ses réussites quand il devient Julien Sorel de La Vernaye et obtient la main de Mathilde. L’idée que nous suivons toute la vie du personnage principal et son parcours du bas jusqu’à la culmination permet au lecteur de s’y identifier et de voir en lui un reflet de sa propre vie. Ainsi, il est possible de faire une symétrie entre la vie de Julien et la vie réelle. De cette façon,  il est possible de voir en Julien son propre reflet et donc de s’identifier à ce personnage pour comprendre les enjeux de la vie et le sens du livre. Julien par sa simple appellation est un personnage très proche de son lecteur, la preuve en est que nous le nommons toujours Julien, et rarement Julien Sorel. Cela fait de lui un personnage qui sort du contexte fictif pour presque devenir quelqu’un de réel et de concret. Nous pouvons aussi ajouter que Stendhal en écrivant Le Rouge et le Noir classe ses personnages dans deux catégories, celle des personnages attachants et détestables. Dans cette première partie, nous pouvons clairement identifier Mme de Rênal, Mathilde de la Mole et Julien, tandis que nous pouvons mettre dans l’autre M de Rênal qui ne pense qu’à l’argent, le comte Norbert ou encore les abbés dans le séminaire. En ce sens, l’idée qu’on s’attache à Julien puisqu’il a en face de lui d’autres personnages attachants ou alors des personnages détestables, pousse le lecteur à s’identifier à lui et éprouver de l’empathie à son égard. Le romantique a pour principe de permettre l’évasion de celui qui le lit, ce qui justifie le succès des romans. On peut se projeter dans les personnages et ainsi s’évader du réel pour profiter d’une histoire à laquelle on s’identifie. Lorsqu’il entre dans le roman pour la première fois, le lecteur a un point de vue naïf et n’a aucun recul sur l'œuvre qu’il lit, et c’est la lecture qu’il possède en voyant le Rouge et le Noir comme une oeuvre romantique. Cependant, après avoir lu entièrement le roman et avoir pris du recul et de la réflexion sur son contenu, est-ce réellement la lecture que Stendhal voulait donner sur son livre?

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Nous avons vu comment il était possible de s’identifier au personnage de Julien en prenant une interprétation romanesque sur Le Rouge et le Noir mais la lecture que Stendhal nous donne nous  incite à remettre en cause cette affirmation initiale.

Pour en revenir à l’introduction, nous savons que Stendhal pensait à nommer son œuvre “Julien” avant de lui donner le titre que nous lui connaissons aujourd’hui. Le choix de titre est très important car il agit comme le tout premier élément qui introduit le lecteur dans le livre. Ici, le choix de présenter Julien comme l’élément principal du roman aurait pu être saisi, mais l’auteur en a décidé autrement. Nous pouvons comprendre au travers de ce choix qu’il ne voulait pas que le lecteur se concentre sur Julien en tant que personnage. Délibérément, Stendhal a souhaité éviter qu’on ne prête attention qu’au personnage de Julien, et donc, cela passe par l’identification au personnage. En effet, vu que Julien n’est plus au centre des objectifs, on comprend que la volonté de l’auteur n’était pas que le lecteur ait une approche romanesque et qu’il s’identifie à lui. Au cours de la lecture du roman, le narrateur n’hésite pas à prendre ses distances de ses personnages, et en plus particulier de Julien. “Julien n’avait pas assez d’usage pour distinguer que c’était du feu de la saillie, que brillaient de temps en temps les yeux de Mademoiselle Mathilde”. On observe que dans cet extrait durant la rencontre entre Julien et Mathilde, le narrateur n’hésite pas à montrer le manque d’expérience du personnage principal et qu’il est incapable de distinguer les aspects du regard de Mathilde. Cette distance mise en place par le narrateur vis-à-vis des ses personnages apparaît tout au long du roman : “notre héros”. Ici le narrateur prend un ton ironique en désignant Julien par l’emploi du “notre”, qui suggère que Julien n’est pas un héros aux yeux de Stendhal et du lecteur en se moquant de l’ambition de Julien, qui lui se prend pour un héros. “J’avoue que la faiblesse dont Julien fait preuve dans ce monologue me donne une pauvre opinion de lui”. Ici, le narrateur prend lui-même la parole et exprime lui-même au lecteur comme s’il était son confident l’opinion que lui donne son propre personnage. Ce recul dont fait preuve Stendhal est une marque très voyante du regard critique et distancé qu’il souhaite donner à son lecteur, en dévoilant les défauts de Julien et en le critiquant ouvertement. Ainsi, par ce choix du narrateur de souvent exprimer son opinion, il empêche le lecteur de prendre une lecture au premier degré en s’identifiant à Julien et à avoir tout de suite un regard critique sur lui. Stendhal possède une façon assez particulière de présenter son histoire, puisqu’il donne à chaque chapitre une citation réelle ou inventée qui a pour but de guider le lecteur et de lui donner dès le début du recul. “Ils ne savent toucher le cœur qu’en le froissant”. Il s’agit d’une des citations de début de chapitre, plus précisément un chapitre détaillant la vie à Verrières dans la maison des Rênal et la relation entre Julien et Louise. On comprend qu’ici en parlant du “ils”, l’auteur fait référence aux bourreaux des coeurs tels que Julien qui sont obligés de blesser le coeur d’une femme pour l’atteindre et avoir son amour. Après le choix des sous-titres Stendhal donne à ses chapitres, il choisit aussi de donner des titres de chapitre qui orientent dès le début sur le point de vue que devrait prendre le lecteur. Le chapitre 30 du Livre Premier a pour titre “un ambitieux”, qui fait référence à Julien. En donnant cette appellation à son personnage, on comprend très rapidement le point de vue que Stendhal veut donner à son lecteur, et le regard critique qu’il porte sur les valeurs de Julien.

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