Electre est-elle une « tragédie bourgeoise » ?
Dissertation : Electre est-elle une « tragédie bourgeoise » ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar SmartWater • 10 Octobre 2017 • Dissertation • 880 Mots (4 Pages) • 1 058 Vues
Electre est-elle une « tragédie bourgeoise » ?
L’expression est surprenante, c’est un oxymore. La tragédie classique met en scène des princes ou des nobles : elle exclut précisément les « bourgeois » qui appartenaient à l’univers de la comédie. Diderot élabore au XVIIIe siècle la théorie du « drame bourgeois » : un drame qui « aurait pour objet nos malheurs domestiques », c’est-à-dire familiaux et professionnels et qui campe des personnages plus ordinaires, des pères de famille, des avocats, des commerçants, excluant les rois et les empereurs ; il rejette le mot de tragédie où les « malheurs » sont tous plus ou moins politiques.
Giraudoux, qui qualifie lui-même Electre de « tragédie bourgeoise » dès sa création en 1937, désacralise ainsi la légende mais, loin d’affadir son sujet par le mélange des genres, il réalise l’exploit de faire de sa pièce une tragédie plus authentique.
- Une volonté de rendre la tragédie plus ordinaire
- Un lieu quelconque
Le lieu de la tragédie classique était toujours un lieu prestigieux, souvent redoutable (un palais imposant, un camp militaire, un temple). Ici, Argos est un gros bourg de campagne, avec sa « place à bestiaux », qui ressemble un peu au Limousin natal – et champêtre – de Giraudoux. Certes, la légende imposait de situer l’action dans le « palais d’Agamemnon », mais la description qu’en fait le jardinier enlève au palais son prestige et sa somptuosité architecturale : l’aile droite est construite en pierres gauloises et le corps gauche en marbre.
- Un quotidien sans originalité
Les anachronismes (confusion volontaire d’époques différentes, le XXe siècle et l’Antiquité) banalisent eux aussi la scène. Les bienséances classiques proscrivaient toute allusion à la vie quotidienne dont l’évocation était jugée incompatible avec la dignité des personnages de la tragédie. Giraudoux multiplie au contraire les détails. (Les Théocathoclès ont un vétérinaire et un médecin pour voisin, le président mange de la laitue cuite, boit le café que lui prépare sa femme, fume le cigare… Agamemnon prit un bain et glissa sur les marches « savonnées » de sa piscine). La volonté de Giraudoux est de rendre ses personnages ordinaire est évidente.
- Une désacralisation de la légende
- Des bourgeois caricaturaux
La présence des Théocathoclès accentue le caractère bourgeois de la pièce. Ils incarnent une caricature de l’idéal bourgeois : la réussite matérielle compte autant pour eux que la respectabilité sociale. Il est certes magistrat, mais il préfère le bonheur et le confort à la justice (« c’est avec la justice, la générosité, le devoir que l’on ruine l’Etat, l’individu et les meilleures familles »). Les disputes conjugales entre Agathe et le président sont déplacées dans une tragédie ; elles font penser aux couples de valets de comédie qui reproduisent, sur un mode plus vulgaire, la mésentente du couple des maîtres (Cf. Molière au XVIIe siècle et Marivaux au XVIIIe siècle).
- Un banal adultère
La haine de Clytemnestre s’explique par le dégoût d’une femme pour un mari qu’elle n’a pas choisi. Les malheurs qui frappent les Atrides sont rabaissés : le meurtre du « Roi des Rois », Agamemnon, est un adultère qui finit mal. La tragédie devient un drame passionnel dans lequel deux amants éliminent un mari trop encombrant. Clytemnestre revendique « le droit d’aimer » comme n’importe quelle femme. C’est contraire à la dignité des reines de la tragédie classique qui font taire leurs passions devant les exigences de la raison d’Etat. Quant à Agamemnon, sa veuve en dresse un portrait ridicule : « il était pompeux, indécis, niais. C’était le fat des fats, le crédule des crédules ». Un mari grotesque, une jeune épouse délaissée et malheureuse, un jeune amant, un crime : Electre n’est-elle qu’un mélodrame bourgeois ?
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